« Opération Vasectomie » d’Élodie Serna (éditions Libertalia)

On ne le sait pas forcément mais dans quelques jours nous fêterons l’anniversaire des 20 ans de l’adoption en France d’une loi autorisant la stérilisation sexuelle comme contraception définitive. Dès lors, plusieurs méthodes sont disponibles. Pour les femmes : la ligature des trompes, l’électrocoagulation, la pose d’anneaux ou de clips. Une seule pour les hommes, la vasectomie.
Présentée comme permanente et irréversible, simple, efficace et rapide, cette dernière est de plus en plus évoquée voire racontée à travers des podcasts, des articles ou des interviews. Elle se « dédiabolise » et ne se restreint plus à un cercle d’initié·e·s. Pour preuve, de plus en plus de français y ont recours. En 2018, ils étaient cinq fois plus nombreux qu’en 2010.  Ne nous voilons pas la face quand même, la contraception reste une responsabilité « assumée » quasi exclusivement par les femmes.
Comme pour marquer le coup et fêter comme il se doit les noces de « porcelaine » de ladite loi de 2001, Élodie Serna revient sur un siècle de vasectomie à travers un livre passionnant intitulé « Opération Vasectomie, Histoire intime et politique d’une contraception au masculin » publié aux éditions Libertalia. On l’a lu et beaucoup apprécié.

Interview

ALTER1FO : Comment vous êtes-vous intéressée au sujet de la contraception masculine et en particulier la vasectomie ?

Elodie Serna : Il y a une dizaine d’années, alors que je reprenais mes études en histoire, je cherchais un sujet de mémoire pour mon Master 2. Un peu par hasard, je suis tombée sur une information très intrigante. Elle tenait en une seule phrase et évoquait l’ouverture en 1935 d’un procès à Bordeaux de plusieurs personnes pratiquant clandestinement la vasectomie, procès connu sous le nom des « Stérilisés de Bordeaux » (La justice applique alors l’article 316 du code pénal, qui réprime la castration et l’article 311 qui vise les violences, « coups et blessures volontaires », NDLR). Cela m’a donné envie d’en savoir plus et j’ai travaillé sur ce thème. Ensuite, j’ai poursuivi avec une thèse de doctorat, étendant mes recherches à d’autres cas de stérilisations.
Les éditions « Libertalia » m’ont contactée pour écrire ce livre, qui est une sorte de prolongement du travail de ma thèse, avec un autre regard et une approche plus resserrée sur des questions en lien avec l’actualité.

Pouvez-vous nous expliquer le choix du titre « Opération vasectomie, Histoire intime et politique d’une contraception au masculin »

Le mot vasectomie n’est pas assez parlant pour la plupart des gens. Le titre a donc été choisi avec des mots clefs. Le terme « Opération » renvoie à la notion de chirurgie. Le fait d’avoir le mot contraception paraissait évident et important, car il ne s’agit pas là d’une simple étude chirurgicale mais bien d’une réflexion globale sur les pratiques contraceptives abordée à travers le prisme du masculin.
Enfin, le terme « politique » exprime le fait que les rapports sociaux entre les femmes et les hommes mais aussi les rapports de classes sont primordiaux dans les analyses faites autour de la stérilisation.

Quelle est pour vous la meilleure définition de la vasectomie ?

La vasectomie est une technique de stérilisation qui consiste à sectionner les canaux déférents par lesquels les spermatozoïdes sont déversés dans le liquide spermatique. Elle a pour seul effet de rendre stérile et ne change rien pour la sexualité.
Il est important que toutes les personnes qui s’intéressent à la vasectomie prennent bien en compte qu’aujourd’hui, il est impossible de garantir la réversibilité de l’opération. Même si certains hommes le demandent et qu’elle est souvent obtenue, la vasectomie est donc à considérer comme une méthode contraceptive définitive.

Vous avez réussi à découper votre livre en trois grandes parties rendant la lecture très fluide et captivante, pouvez-vous les résumer ?

La première partie évoque l’émergence de la vasectomie comme méthode contraceptive. L’opération se pratique dès la fin du 19e siècle dans un cadre thérapeutique, généralement employée par des urologues. D’une pratique purement médicale, la vasectomie prend un autre sens au fil des années, et se destine à un usage plus politique avec les thèses eugénistes et néomalthusiennes. Elle devient alors une méthode contraceptive grâce aux mouvements militant en faveur du contrôle des naissances.

Dans la deuxième partie du livre qui couvre la période des années 1950 à 1980, je m’intéresse aux politiques démographiques en me penchant plus particulièrement sur le cas de l’Inde. Dans ce pays à fort taux de natalité, il y a eu des stérilisations masculines massives parfois employées de manière autoritaires. Il est alors intéressant de faire un parallèle avec ce qu’il se passait dans les pays occidentaux au même moment, notamment aux Etats-Unis ou même en France, où la vasectomie se libéralisait.

Enfin, pour clore le livre, j’évoque les questions d’actualité. J’invite à nous interroger sur le partage de la responsabilité contraceptive, entre femmes et hommes. Où en sommes-nous ? Et pourquoi les hommes sont si peu engagés sur ce terrain ?

[22 Mars 2017] – Un jour, une photo… Contraception : vers un meilleur partage des responsabilités

Même si la vasectomie se pratique de plus en plus, ce moyen contraceptif est ultra minoritaire en France. Comment pouvons-nous l’expliquer ?

En Grande Bretagne, la vasectomie est utilisée par plus de 20% des couples. En Espagne, la proportion s’élève à environ 8%. En France, c’est dix fois moins. Cette pratique reste clairement encore très marginale. Il existe plusieurs explications mais une des raisons principales est sans doute liée au manque d’information. Rappelons que cette opération n’a été rendue légale que depuis 2001. La diffusion de l’information sur cette pratique a donc pris beaucoup de retard.

Le milieu médical est lui aussi réticent à en parler, il faut souvent faire des recherches et des démarches personnelles pour obtenir des réponses, soit en contactant des associations (ARDECOM, planning…), soit à partir d’internet via des groupes Facebook par exemple. L’institution est défaillante sur cet aspect. Des urologues pleinement investi·es dans la cause de la contraception masculine témoignent de l’existence d’un désintérêt sinon un rejet de cette méthode chez beaucoup de leurs collègues.

Encore aujourd’hui, peu d’hommes parlent « contraception » avec leur médecin, d’ailleurs des études montrent que ces derniers connaissent très mal les méthodes contraceptives masculines. Enfin, la vasectomie est rarement évoquée comme pratique contraceptive auprès des femmes.Il semble évident qu’à cause d’un machisme encore ancré dans les mentalités françaises, la vasectomie est associée de manière erronée à une sorte de castration, à une perte de virilité où l’identité masculine serait en crise. Il est étonnant d’observer que l’on s’interroge plus des effets « potentiels » de l’opération sur la sexualité des hommes (impuissance, éjaculation moindre… ) plutôt que sur la répartition de la charge contraceptive entre les femmes et les hommes.

La conclusion du livre ouvre plusieurs pistes de réflexions. Le sujet de la contraception « au masculin » est rudement complexe…

Effectivement, le nombre de vasectomies ne doit et ne peut pas être considéré comme un indicateur de l’égalité qui existe au sein d’une société entre les femmes et les hommes. Dans des pays où elle est largement plus pratiquée, la domination masculine n’a pas disparu !
D’ailleurs, le livre n’est pas à proprement parler un objet de prosélytisme. Que certains hommes adoptent une méthode de contraception, tant mieux ! Est-ce uniquement des motivations féministes qui amènent les hommes à la vasectomie ? rien n’est moins sûr. Ces derniers ont aussi des intérêts matériels ou symboliques à être stériles : maintien du niveau de vie, obtention de la gratitude, vie sexuelle…

La finalité du livre est de nous interroger sur ce que la charge contraceptive révèle des rapports F/H et des enjeux politiques et économiques de la reproduction. La réflexion qui en découle et ne peut être détachée ni du rapport de domination que les hommes exercent sur les femmes ni d’une analyse critique de l’organisation sociale dans son ensemble : l’histoire montre que le rapport de classe est aussi au cœur de l’évolution de la question.

La contraception ne se conjugue pas qu’au féminin !

La contraception est l’affaire de tou·te·s !

 

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires