L’aile du Papillon – Pierre Schoendoerffer

Schoendoerffer

Certaines œuvres laissent sur nous une marque indélébile. Pour Pierre Schoendoerffer, ces marques furent posées par Kessel, Conrad, Melville ou Jack London. Généralement ce sont des livres que l’on découvre jeune quand la personnalité est encore malléable. Quand c’est plus tardif, c’est comme un coup de poing que l’on reçoit au creux de l’estomac. Ça coupe le souffle et fait chavirer les tripes. L’œuvre de Pierre Schoendoerffer que j’ai pu appréhender aussi bien à travers ses films que ses livres, a ce goût là.

Bien évidement, adolescent j’avais vu la « 317ème section » comme un peu tout le monde mais le propos du film m’avait alors échappé. Là où je voulais voir un western avec des bagarres, on y découvrait des hommes perdus dans la jungle et qui malgré la guerre, la maladie et les coups durs, restaient des hommes, humbles et droits face à l’adversité. Pour la première fois au cinéma, on voyait la guerre au travers de ceux qui la font, avec leurs yeux creux, les sangsues et la dysenterie. Pas de charge héroïque, mais juste une fuite à travers la jungle d’une section lâchée par tous après la chute de Diên Biên Phu. A l’époque de « La nouvelle vague », la « 317ème section » marque une cassure dans laquelle les cinéastes auraient dû s’engouffrer. Mais Schoendoerffer ne fera que peu d’émules. Aujourd’hui, seul Jacques Perrin son acteur fétiche, passé de l’autre côté de la caméra peut revendiquer la filiation. Le film permettra de réaliser la « section Anderson » un autre docu-fiction sur une section américaine pendant la guerre du Vietnam qui gagnera l’Oscar du meilleur documentaire à Hollywood. « La section Anderson » servira 20 ans plus tard de base au Platoon d’Oliver Stone.

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En 1969 il publie son 2ème Roman (après « la 317ème section »), « L’adieu au roi » qui inspirera le scénariste John Millius pour la dernière partie d’Apocalyse Now quand Willard arrive au bout du fleuve dans le repaire de Kurtz. Pour Schoendoerffer c’est un joli clin d’œil d’être associé à Conrad (« Apocalyspe Now » est la transposition à la guerre du Vietnam du roman « Au coeur des ténèbres » de Conrad), même si le film de Coppola est à mille lieux du réalisme de Schoendoerffer. Millius finira par porter à l’écran « L’adieu au roi » en 1989 avec Nick Nolte dans le rôle principal.

Crabe-Tambour

Puis en 1976, c’est la sortie du Crabe Tambour, son roman puis son film le plus connu. C’est une épopée qui débute en Indochine pour se finir sur les Grands Bancs du côté de Terre-Neuve. C’est l’histoire de 2 marins séparés par une promesse non tenue pendant le putsch des généraux à Alger en 1962. Le Crabe Tambour (Jacques Perrin) fera de la prison et sera radié de l’armée tandis que le personnage de Jean Rochefort ralliera le gouvernement de De Gaulle et gardera son poste de commandant dans la marine. Au début du film, Jean Rochefort, malade accepte le commandement du bâtiment, le Jauréguiberry qui doit surveiller la pêche à Terre-Neuve. Il sait qu’il va y retrouver Willsdorff, le Crabe Tambour qui y commande un chalutier. Le voyage est l’occasion de raconter l’histoire singulière du Crabe Tambour jusqu’au Clash en Algérie. Schoendoerffer signe un film d’une grande sobriété où les personnages, joués tout en retenue traversent les lieux les époques et les drames.

Rochefort

«L’aile du papillon », son 5ème et dernier livre, s’inscrit dans la lignée de ses films. Le narrateur est écrivain. C’est un ancien légionnaire réfugié dans un port du bas pays Bigouden. Son filleul, Pierre de Roscanvel est sous le coup d’une mise en examen pour mutinerie sur le cargo qui l’a recueilli alors qu’il sombrait avec son trimaran dans les eaux froides du courant du Labrador. Le filleul raconte les événements qui l’ont conduit jusqu’à la prise du cargo, tandis que son parrain tente d’en romancer le propos pour en faire un livre. Roscanvel est un pur produit des grandes écoles françaises. C’est un scientifique, un rationnel, dans la vie comme sur la mer. On pourrait imaginer Roscanvel sous les traits d’un Tabarly, précis dans ses descriptions, mais austère pour le non initié. A l’opposé son parrain (Pierre Schoendoerffer??) est le littéraire. Il a besoin d’émotion, de paysages grandioses, d’hommes aux caractères puissants pour donner densité et vie au livre.

Mais la trame du livre importe peu. Ce qui fait la force du récit, c’est l’antagonisme entre les deux personnages principaux. Ce sont deux visions du monde qui s’affrontent et se complètent. Pierre Schoendoerffer croit au destin des hommes et c’est ce dont il est question ici. Pourquoi Roscanvel devait prendre possession du cargo ? L’homme a t-il vraiment le choix sur sa destinée ? J’aurais tendance à parler de fatalisme, ou de déterminisme, mais ici comme dans le Crabe Tambour, la cruauté de la vie, magnifie le destin des hommes.

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L’autre moitié du livre raconte la vie d’un port de pêche Breton pendant l’une de ses terribles tempêtes hivernales. Les terriens impuissants face à la fureur des flots se regroupent dans les bistros pour suivre les dernières nouvelles à la VHF. Une nouvelle fois, on suit la destinée d’hommes qui n’ont d’autres choix que de retourner encore et toujours pécher quelque soit l’état de la mer. Pierre Schoendoerffer réussit la prouesse de capter l’essence même de la Bretagne, entre fatalisme, austérité, alcool et mysticisme. L’alsacien né en Auvergne est devenu au fil du temps, un breton d’adoption plus breton que ceux estampillés 100 % pur beurre.

Pierre Schoendoerffer nous a quitté il y a un an, le 14 mars 2012.

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