La tragédie du Rock Khmer !

La particularité du Rock Khmer par rapport à d’autres musiques issues d’anciennes colonies, (Afrique de l’ouest, Jamaïque) c’est que celui ci fut totalement anéanti après l’arrivée au pouvoir des Khmers rouges et la chute de Phnom Penh le 17 avril 1975. Le régime de terreur de Pol Pot va en 4 années décimer entre 20 et 30 % de sa population (On estime que plus de 2 millions de personnes auraient disparu). Les Khmers rouges vont s’attaquer à tout type de savoir et pousser la population urbaine vers des bagnes agraires dont beaucoup ne reviendront pas.

Khmers_rouges

Les élites, les intellectuels, les artistes sont systématiquement chassés et éliminés. Pour les musiciens, les enregistrements, les disques et tout ce qui rappelle l’ancien régime est détruit. En 1979 lors du renversement du Kampuchea Démocratique par les ennemis de toujours, les Vietnamiens, il ne reste pour ainsi dire .. rien. Néanmoins, même sous les dictatures les plus dures, certains fous conservent des fragments du temps jadis. Un disque par ci, des cassettes en plus ou moins bon état par là et à force de recherche on réussit à dérouler le fil, le fil de l’âge d’or du Rock Cambodgien.

Sinn-Ros

Tout a commencé avec « City of Ghosts  » un film de Matt Dillon en 2002 dont l’action se passait à Phnom Penh. La Bande originale du film contenait un certain nombre de perles de cette époque, et on y retrouvait tous les grands noms de la musique Cambodgienne, notamment son trio de tête : Ros Sereysothea, Sinn Sisamouth et Pan Ron. Ceux qui voient le film tombent complètement fous de cette musique vénérée par les Cambodgiens. La spécificité du Rock Khmer, c’est l’émotion qui se dégage du chant grâce à une mélancolie qui tranche avec la sauvagerie et la gaité de la musique. Comme pour le Highlife, les artistes mélangent les rythmes occidentaux avec leur musique traditionnelle. La proximité de Saigon, la capitale Sud-Vietnamienne, permet de capter les radios américaines et de baigner dans les musiques des GI’s : Rock And Roll, Surf, Garage, Soul, Funk, etc. Les instruments traditionnels peuvent être utilisés ou sont remplacés par ceux du Rock (guitares, orgue, etc). Ces enregistrements sont effectués à la chaine dans des studios qui sont loin d’être équipés des dernières technologies. Cela donne une patine inimitable aux chansons qui sonnent un peu « lo-fi » selon nos critères actuels mais d’une force et d’une authenticité difficilement égalables.

Dengue

Un autre groupe, Dengue Fever issu lui aussi de la bande son de « City Of The Ghost » va significativement oeuvrer pour la reconnaissance de la musique Khmer. Le groupe créé par 2 frères, Zac et Ethan Holtzman s’associe avec une chanteuse Cambodgienne Chhom Nimol et propose une version moderne du Rock Cambodgien. Le groupe dans un premier temps va surtout puiser dans le réservoir Khmer, puis s’en affranchit au fur et à mesure en proposant ses propres compositions . Ils recyclent aussi habilement les ôdes du passé, comme le duo « Yuvachon Yuvatey Samai Tmai » de Sinn Sasamouth et Ros Sereysothea devenant le merveilleux « Tiger Phone Card ». The Cambodian Space Project un nouveau groupe Cambodgien, dans la même veine que les Dengue Fever vient lui aussi de sortir son premier album « 2011: A Space Odyssey » qui se réclame explicitement du Rock Khmer. L’album porté par la voix puissante de Srey Thy tape juste et on retrouve très logiquement « Chom 10 Kae Theav » et « Cham Oum Dop Pram Mouy », deux des plus belles pépites de la musique Cambodgienne. Je défie quiconque de ne pas se retrouver irrésistiblement emporté par les rythmes endiablés de ces chansons.

Cambodia Space Project

Le Rock Khmer à l’évidence se porte bien et même étonnamment bien alors que l’on aurait pu penser qu’il avait été complètement annihilé par les Khmers rouges. Il est difficile de savoir ce qui est réellement arrivé à ces artistes. La très grande majorité n’a pas survécu au génocide Khmer. On en sait un peu plus sur la fin du Roi et de la Reine du Rock Khmer. Un co-détenu aurait partagé les derniers mois de Sinn Sisamouth avant que celui ci ne soit éliminé. La légende voudrait qu’il ait demandé à ses bourreaux de chanter une dernière fois avant qu’ils ne l’abattent froidement. Ros Sereysothea, elle aussi se retrouva en camp de travail. Reconnue, elle fut mariée de force à un haut dignitaire communiste. Malheureusement pour elle, des disputes incessantes la conduiront à sa perte. Peu avant l’invasion Vietnamienne, on perd définitivement sa trace ainsi que celle de sa famille. Avec plus de 30 ans de recul on peut désormais constater que l’on peut tuer les corps des artistes, mais l’âme des chansons est elle, immortelle.

Pour approfondir, la discographie complète des Dengue Fever (à écouter de préférence par ordre chronologique), et le nouveau disque du Cambodian Space Projet sont à découvrir en priorité. Le choix des reprises et la qualité du son en font des marchepieds idéaux. Pour se plonger au coeur de l’âge d’or du Rock Khmer, il existe maintenant un peu plus de choses à se mettre sous la dent. Le Label « Khmer rocks » a sorti il y quelque temps, une anthologie en 4 volumes assez complète sous le titre « Cambodian Rocks » et dont le volume 3 « All Psyched Up » est assez remarquable. Enfin le label « Lion Production » vient de sortir 2 excellents volumes « Groove Club Vol. 3: Cambodia Rock Intensified! » et « Groove Club Vol. 2: Cambodia Rock Spectactular! » Mais attention, « Groove » ne signifie pas « Lounge », ce serait peut être même l’exact opposé. Ce genre de truc ne peut pas s’écouter en sirotant une coupe de champagne et en balançant 2/3 banalités la bouche pleine de petits fours … qu’on se le dise.

Cambodia

Liens :
Le Highlife sur Alter1fo
Biographie des principaux acteurs du Rock Khmer
Le label Lion !
Une discographie assez exhaustive du Rock Khmer.
Le myspace de Dengue Fever
Le site officiel de Dengue Fever
Le myspace du Cambodian Space Project
La page facebook du Cambodian Space Project

Playlist :

3 commentaires sur “La tragédie du Rock Khmer !

  1. Muri

    Wooow merci Tom !

  2. sophanby

    chanson dise khmerl s il vous plait

  3. Jomrarn

    There are also local Khmers reviving this music other than the Khmer-Barang musician mixed bands… https://www.youtube.com/watch?v=6uR32dmSxCM

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