Bars en Trans 2012 – Krismenn, Titan Parano, Cafetera Roja : un vendredi après-midi en goguette

Vendredi, 16 h. Direction le Bar’Hic, ses odeurs de cabane québécoise, effluves d’heures creuses, à quelques pas de la place des Lices, pour le premier entretien de la journée. À l’intérieur, trois types bidouillent la sono avec des airs contrariés. Accueil circonspect : qui irait boire un verre à cette heure-là ? Et bien ma pomme… Krismenn, le rappeur breton du Kreiz Breizh, me sauve de la solitude verre à la main en arrivant quelques temps plus tard. Un chic type déjà interviewé la semaine passée, pour un focus.

KRISMENN

Krismenn

Alter1fo : Tu aimes les questionnaires de Proust ?

Krismenn : Bof, une journaliste m’a fait le coup il y a peu. Une couleur, un souvenir d’enfance…

Bon. Je te propose un questionnaire de Proust version rock. On a fait ça il y a deux ans, ça a plutôt bien fonctionné. Hop, c’est parti. La plus grande qualité de ta région d’origine, le Nord-Finistère ?

Et bien… (il cherche longuement). Pouvoir boire du rouge qui tâche avec des vieux du coin. Tout simplement.

Bravo ! Un truc rock’n’roll réalisé sur scène à ton actif, dernièrement ?

J’ai chanté un slow, torse nu, sur la cabine d’un tracteur, à Morlaix. Je me suis aussi baigné dans le Gange, et je ne suis pas mort.

Pas mal… Et si Krismenn n’avait pas été musicien ? T’y as déjà pensé ?

(Silence) Si Krismenn n’avait pas été chanteur… il aurait été musicien (rires). Je n’ai toujours voulu faire que ça. Bon, allez sinon, il aurait été réalisateur de documentaires.

Des auteurs favoris ? Des Bretons, tant qu’à faire.

Bernez Tangi ! (NDLR poète, chanteur et peintre breton, qui a fondé l’un des premiers groupes de rock breton, Storlok).

Une devise qui colle à ta pratique musicale ?

Faut que ça kick sale ! Je t’explique, il y a un double sens… En breton, kig-sall, c’est de la viande salée, le petit lard… Ce qui est marrant, c’est que les Bretons l’entendent pas comme les autres, cette expression. Forcément.

Et bien justement, une petite expression bretonne, comme tu le parles ?

Je vais plutôt en balancer une en français : c’est pas dire qu’y faut dire et c’est faire qu’y faut faire, et c’est pas rester jouer que c’est.

(Grimace) Ok ! Bon, une question qui me tient à cœur, tu penses quoi de Brest ?

Il faudrait que la Penfeld soit aux Brestois. Pas à l’armée.

Un duo rêvé ? Une personne avec qui tu souhaites jouer ?

Marc Ribot, le guitariste de Tom Waits.

Pourquoi tu t’es installé à Saint-Servais, près de Callac (Kreiz Breizh, Centre-Bretagne) ?

C’est simple, c’est la frontière orientale de la gavotte ! Avant ça, j’habitais dans un camion.

De bonnes relations avec les voisins ? Il ne doivent pas tous être très jeunes ?

Oh, non, c’est sûr. Et puis la plupart sont de simples chevreuils… On cohabite bien.

Tu fais combien de représentations par an ?

Une soixantaine environ.

Des projets pour 2013 ?

Oui, certains, mais je n’en parle pas trop encore. Je ne veux pas me lancer dans un big-band. En même temps, j’aime beaucoup voir la musique se construire au fur et à mesure, collectivement… Là, avec l’hiver, je vais me lancer dans une nouvelle réflexion. Je prépare un album. Je veux insister sur la pratique du beat-box (il se lance dans un démo de human beat-box pour se réchauffer).

Bon, et tiens, j’ai aussi des questions bizarres en stock. Si tu étais un dictateur ? Ou chef d’état ?

Hum. Facile. Il existe déjà. C’est Gavotte 1er  ! Olivier Urvoy (NDLR musicien breton), surnommé le roi de la gavotte.

Tu veux dire que dans ton état totalitaire fantasmé, tout le monde serait contraint de danser la gavotte ? C’est terrible.  Pour finir, comme tu as vécu au Québec, une petite expression de là-bas ? T’en as-tu a’c’teure ?

Beh… Criss, men (« putain, mec », expression à partir de laquelle est forgé le blaze Krismenn).

Évidemment !

On quitte Krismenn, qui doit travailler le son et répéter dans le bar avec une tripotée de copains, pour rejoindre la place du Champ-Jacquet, quelques centaines de mètres plus loin. Au Bar du Champ-Jacquet plus exactement. Jamais mis les pieds. Au fond du bistrot, un groupe en train de jouer comme si c’était le grand soir. Nos hommes, Titan Parano, groupe de Desert-Folk, excusez du peu, venus tout droit des latitudes septentrionales. Le Nord, Lille, tout là-haut.

Le temps de boire un verre ou deux, devant un serveur qui joue la partie de sa vie, comme s’il était en stage chez Roellinger, que Sam, l’un des membres du groupe, section rythmique, est disponible pour un petit entretien en terrasse. Ses deux amis le rejoignent rapidement.

TITAN PARANO

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Alter1fo : Salut. Ou bien on fait un entretien conventionnel, sinon je vous pose des questions un peu stupides et vous répondez du tac-au-tac.

Sam : Je préfère la seconde option.

Ok. Titan Parano en un mot ? Un seul.

Stone Folk, pour le style de musique que l’on joue.

Ah. Je croyais que c’était du Désert Folk ?

Sam : Ouais, c’est pareil.

David : Le mot Paradoxe. Comme dans Titan parano, le nom du groupe. Tout est paradoxal dans notre musique. Dans l’orchestration, le choix des instruments. On joue des thèmes amérindiens, avec des méthodes modernes. On évoque le côté animiste des objets qui nous entourent. Dans le choix des instruments aussi, on valorise le mélange. L’harmonica, le lapsteel, la mandoline, ou encore la guimbarde, cet instrument typiquement blue grass fermier… (sourire)

La qualité première du coin d’où vous venez, le Nord ?

David : C’est une région musicale, qui bouge. J’aime beaucoup le Nord.

Oui, ça bouge pas mal. Du coup, à force, vous avez bien un raté mémorable un jour de concert, à force de trop bouger ?

Oui. Bon, ça ne venait pas tant de nous, sinon du lieu. Au Tri Postal, à Lille. Le lieu était tellement résonnant… C’était terrible. Ça influence le jeu des musiciens, ça tire tout le monde vers le bas. On a aussi eu du gospel en première partie, une fois. Jouer après ça, c’est pas facile. Surtout quand tu connais notre musique…

Un lieu où vous aimeriez jouer ?

Austin ou Tucson, USA.

Evidemment. Quelque chose de vraiment rock’n’roll à votre crédit ?

David : Oh, il y a bien Steve qui s’est mis à poil sur scène, à Dunkerque.

Steve : Non, je ne vois pas.

Une citation, une devise rock à votre crédit ?

On va faire dans le classique. Une citation de Nietzsche : « Sans la musique, la vie serait une erreur. »

Vous êtes cultivés ! Un livre à me conseiller, du coup ?

Enterre mon cœur à Wounded knee. Un livre sur le massacre des indiens Navajos.

J’ai lu que vous interveniez dans les écoles de la région Nord ?

On a été invités. C’est quelque chose qui nous plait. Quand on intervient dans des quartiers défavorisés, les gosses découvrent parfois la musique live, les concerts avec nous. C’est très bien, de jouer ce rôle. On a fait de la musique avec eux, on les a fait participer. Ils devaient jouer à l’aide d’objets, reproduire le son de la pluie, le timbre de certains objets ou instruments…

Ok. Comme on a commencé un peu en retard et que je n’ai plus de questions, je vous laisse partir (l’attaché de presse explique en fait qu’il est temps).

Seulement dix mètres à faire. La Place nous attend pour un dernier entretien avec la Cafetera Roja, groupe multi-tout, symbiose culturelle parfaite, les enfants de Barcelone et de l’Auberge espagnole. Romain Duris qui court sur du Daft Punk, c’est eux. Ils viennent d’Espagne, de France, d’Autriche, et même de Lituanie. Ils manient et triturent le violoncelle, le trip-hop, la guitare acoustique… Un genre nouveau qu’ils ont appelé Fusion / Indie’n’pop. L’accueil se fait en musique, à l’étage. On pensait être en retard, en fait non. Là encore, l’intensité de la répétition impressionne. Aurélia, la chanteuse, donne tout. Anton, la caution rap, lâche ses dernières bribes de flow. Après un petit moment de flottement, tout le monde se retrouve autour d’une table. Nico, le batteur français, fait présent d’une tournée de bières fraîches. Il y a aussi les parisiennes Aurélia et Chloé, la Lituanienne Zermena, l’Autrichien Anton et le Barcelonais pure souche Matthias. Là encore, le groupe préfère une interview Rock’n’proust à un entretien conventionnel. Soit. Ils ont la maîtrise.

CAFETERA ROJA

La Cafetera Roja au complet (crédits Label rock)
La Cafetera Roja au complet (crédits Label rock)

Alter1fo : Allons-y ! Le groupe en un mot, un seul !

Nico : Rouge.

Aurélia : Family.

Matthias : Joyeux-bordel.

Zermena : International-bordel.

Matthias : Bon, là tu vas trop loin… les gens vont plus vouloir écouter !

Un bordel rouge. Oui ! D’ailleurs, d’où il vient, ce nom, Cafetera Roja ?

Bon, l’histoire est un peu stupide…

Allez-y.

On allait se produire en concert, et on n’avait pas encore de nom. Situation étrange, n’est-ce pas ? Le gérant voulait un nom. J’ai regardé autour, j’ai vu une cafetière sur le comptoir, j’ai sorti « cafetera » spontanément. Comme Nico pense qu’il faut absolument rajouter le nom d’une couleur à tout, il a sorti « roja », rouge. Et voilà…

Une très belle histoire ! Mais dites-moi, vous venez de plusieurs pays, certains ont l’espagnol comme langue principale, d’autres l’anglais, l’allemand, le français… Comment vous faites pour communiquer entre-vous ?

Tout le monde parle un peu le français. Sinon, on mélange un peu tout, le premier mot qui vient dans la langue qui vient, et souvent, ça fonctionne.

Je confirme ! Et venant de tant de lieux différents, comment vous parvenez à vous retrouver pour jouer, répéter ?

Aurélia : On est cinq à vivre à Barcelone, aujourd’hui, sur six.

Zermena : Je vis à Aix. On se retrouve à Perpignan, parfois. Notre label a été créé en Auvergne.

L’histoire qui veut que tout a débuté avec une rencontre Erasmus, c’est un fake ? Ca semble un peu trop parfait, comme histoire…

Chloé : Oui, c’est un peu n’importe quoi, c’est vrai. Une légende… Bon, on était trois en Erasmus, Anton, Zermena, et moi. Après, Matthias jouait de la musique à Barcelone, et Nico, après plusieurs projets, s’est fixé dans la ville avec nous.

Nico : C’est qui Erasme ?

Oui, on s’est retrouvé grâce à la musique. C’est devenu une chose difficile, de faire musicien à Barcelone, d’ailleurs. Avec la crise, il y a de moins en moins d’argent pour la culture.

LA question : le concert que vous avez le plus foiré ? Ou dont vous gardez le pire souvenir ?

Aurélia : C’était en France, à Laval (NDLR Mayenne. Oups). On ne sait pas comment tout ça a pu nous arriver… On est tombé, pendant le festival Bar Bars, sur un rade où trois mecs bourrés décuvaient sur le comptoir, sans savoir ce qu’il se passait exactement dans la salle.

Nico : Le patron nous prenait pour des Portugais. Un FAF (NDLR : un type du genre « la France aux Français »). Forcément, on a eu du mal à terminer le concert.

Aurélia : Il y a aussi la fois où on a joué après un groupe de reggae. La salle s’est vidée dès qu’on a commencé.

Anton : Et la Hacienda aussi. Tu as oublié ? Tu étais très fatigué ce soir-là, Nico…

Ça suffira ! Une ville dans laquelle vous aimeriez jouer ?

(Les réponses fusent) Berlin. La Réunion. Vilnius.

Anton : Le Mexique, j’aime beaucoup la culture mexicaine.

Zermena : Vilnius est la seule ville d’origine du groupe dans laquelle nous n’avons pas joué.

C’est loin. Si vous n’étiez pas dans la musique, que feriez-vous, là ?

Chloé : du théâtre, du cinéma.

Zermena : Docteur.

Aurélia : dans la décoration d’intérieur (rires). Non, c’est nul comme réponse, oublie.

Une expression qui vous tient à coeur, qui colle bien au groupe ?

Anton : Groovear !

Groovear ?

Anton : Ouais, c’est une expression qu’on a inventé ! Du verbe groover, tu vois. En espagnol, ça donne plutôt grufear.

Matthias : Tous à poil à La Réunion !

Un peu de sérieux ! Y-a-t-il un écrivain, un livre qui vous a marqué ?

Matthias : Aristotéles.

Chloé : Vian.

Zermena : Henry James.

Anton : Yo… no léo (grimace) –je ne lis pas- (rires).

Aurélia : On peut donner des noms de livres ? Tristan et Iseut.

Vous saviez que certains historiens du coin situent la légende de Tristan et Iseut dans la baie de Douarnenez ?

Ah, cool. On est allé en vacances à Douarnenez et été.

D’où vient votre idée de jouer dans les CCAS (Centre communaux d’action sociale) ?

Nous avons été invité une dizaine de fois sur l’année. C’est une démarche délicate, qui nous plait. Les gens qui viennent, tu es en quelque sorte « chez eux », ils ne choisissent pas le spectacle, tu leur imposes ta musique. Ce sont parfois des familles, des gens âgés, un public que l’on ne rencontre pas ailleurs. On va ainsi chercher des gens qui ne seraient jamais venus nous voir. Des personnes qui nous expliquent après coup qu’elles ont aimé ! Pas évident de faire aimer le rap ou le trip-hop à une personne âgée. Ou encore le violoncelle à des des jeunes.

Votre prochain concert en décembre, c’est avec les Hurlements de Léo à Barcelone. Vous nous expliquez ?

Tout est parti d’une rencontre. Ils sont allés jouer près de Clermont-Ferrand, à la Puce à l’oreille. Là, le patron leur a dit que nous jouions souvent sur Barcelone et de nous contacter, tout simplement.

C’est l’heure de la question bête. Si vous étiez un dictateur ? Un chef d’état ?

Aurélia : Obama, pour voir ce que ça fait d’être un beau gosse black.

Zermena : Lénine.

Anton : Ghandi. Je suis Peace.

Nico : Je ne vois pas. Je ne voudrais pas être chef d’état, ça ne m’intéresse pas. Directeur de piscine, c’est cool.

Matthias : Moi, directeur des vestiaires de la piscine !

Il y a bien quelques musiciens que vous aimeriez voir disparaître à jamais. Les tuer en leur faisant écouter leurs propres compositions ?

(Les réponses fusent) Elton John. Ouais, Elton John. Et Johnny Haliday. Phil Collins (NDLR : évidemment). (Murmuré) Carla Bruni.

Aurélia : Le Roi Heenok. Tu connais ?

Anton : David Guetta.

Et son fameux piano à queue à trois notes… Une dernière question qui me tient à coeur : vous aimez Brest ?

Aurélia : Brest, mmmh, c’est loin. C’est une ville qui sent le soja.

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