[2019] Des bouqu’1 sous le sap1 #13 : Sombres eaux et rivières

Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso qui va dans le mur ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. Après la Suède et la Commune de Paris, voici une proposition toujours noire avec trois romans autour de l’eau, entre mers et rivières. Buvez la tasse, ou pas !

La glace et le sel

Un court roman qui vous convie à bord d’un brick, voilier à deux mâts. Mais pas n’importe lequel ! José Luis Zárate vous fait embarquer sur le Demeter. Souvenez-vous de Dracula, le roman de Bram Stocker ! Quand Dracula arrive à Londres, l’écrivain évoque brièvement l’arrivée inattendue et étrange du Déméter, navire russe. Il ne reste plus à son bord que le capitaine, mort attaché à son gouvernail, un crucifix à la main droite.


José Luis Zárate se saisit de ce détail du récit de Bram Stocker pour écrire La glace et le sel. Son roman raconte ce qui s’est passé sur ce bateau transportant des caisses de terre depuis la Transylvannie. Le récit est subtilement angoissant. Le huit-clos d’un vieux navire en pleine mer subissant les affronts de l’océan est éminemment oppressant. Le capitaine relate dans son journal les disparitions successives et mystérieuses de ses matelots. Temps, solitude, promiscuité, folie naissante, possession des âmes et des corps : les chapitres se suivent et happent le lecteur dans une étrange fantasmagorie.
La sensualité présente dans le Dracula de Coppola est aussi présente ici. Le capitaine lutte contre ses fantasmes marins et son homosexualité (fort décriée en ces temps un peu obscurs). Il s’interroge sur sa monstruosité, en miroir à celle du vampire. Une réflexion approfondie sur le désir et la rédemption du capitaine qui tue ses pulsions en affrontant le monstre qui gît dans les entrailles de son propre navire.

Un roman haletant quand on est fan de vampires. Un roman qui appelle à découvrir cet auteur mexicain, pionnier des littératures fantastiques au Mexique.

Les morts de Beer Creek

Direction le Montana et ses rivières poissonneuses sous la houlette de Keith McCafferty. Il signe là son 2è roman, après Meurtres sur la Madison, où l’on retrouve Sean Stranahan, peintre, guide de pêche et enquêteur privé à ses heures perdues. Il file encore volontiers un coup de main à Martha Ettinger, la shériff du coin.

Prêts à crapahuter dans la montagne, à trempoter dans les rivières pour chasser la truite ? Les morts de Beer Creek, ce roman « nature writing », est donc pour vous.

Il y est question de cadavres exhumés malencontreusement par une femelle grizzly affamée, d’une enquête autour de gros calibres de chasse africaine et d’une recherche de mouches à pêche de collection disparues.

On se laisse porter dans ce roman comme dans le courant d’une douce rivière peuplée de truites :
– Il y a la poésie de ces mouches à pêche de collection (oui, oui, cela existe vraiment, on a du mal à y croire) disparues qu’un cercle de pêcheurs recherche avec nostalgie.
– Il y a la violence d’armes ancestrales et la passion de la chasse aux gros, très gros animaux.
– Il y a ce pacte de vie et de mort que les homems tissent entre eux, pour « mourir honorablement ».
– Il y a des histoires d’amours improbables, qui avancent doucement, comme chiens et chats peuvent s’ausculter pendant des heures.
– Il y a cette nouvelle « The Most Dangerous Game » (Le plus dangereux des gibiers) écrite en 1925 par Richard Connell, écrivain américain, qui sert de fil rouge à toute l’histoire du roman.
– Il y a de l’humour, heureusement, pour dénouer les tensions.

Un roman étonnant, où l’on se surprend à ne pas s’ennuyer devant ces histoires de pêche à la mouche et de leur fabrication. A conseiller aux amateurs de nature sauvage, feuillue et escarpée.

Coup de vent

Un vaudeville à la sauce traders et Bahamas ? C’est tout le sujet de Coup de vent,  le dernier roman de Mark Haskell Smith !

BryanLeBlanc n’a qu’un rêve : naviguer dans les eaux chaudes des Caïmans, en buvant du vin et en mangeant du fromage. Il doit juste auparavant détourner 17 millions de dollars et s’enfuir. Plutôt facile quand on est trader… Le voilà réfugié aux Caraïbes, mais poursuivi par son ancienne collègue Seo-yun et Neal Nathanson, limier de la compagnie habituellement chargé de mettre la main sur des clients indélicats.

Une course-poursuite loufoque, un humour strident à la Christopher Moore, un enchaînement de quiproquos à la Caarl Hiaasen. En 250 pages, Mark Haskell Smith fait vivre un tourbillon à ses personnages : Seo-yun, l’analyste financière surdouée, qui s’est enfermée dans une vie bien rangée, va tout faire voler en éclat (et envoyer promener son fiancé qui l’interroge sans cesse par SMS sur la couleur des serviettes du repas de leur futur mariage). Une navigatrice solitaire craque face aux obligations de ses sponsors et cède à l’argent facile… Un détective nain au sex-appeal affolant s’octroie du bon temps sous couvert d’une enquête. Un employé à la sécurité d’une banque se retrouve à faire brûler des billets de banque pour se signaler en perdition en pleine mer… Faites vos jeux, rien ne flotte plus !

Mark Haskell Smith n’oublie pas d’égratigner au passage l’économie offshore des Caraïbes et les traders bien propres sur eux de Wall Street… : « Bryan LeBlanc n’avait jamais vu une telle bande de trous du cul. Certes, ils étaient bosseurs et intelligents, ces battants qui trimaient quatre-vingts heures par semaine sans jamais se plaindre. Ils restaient assis à leur bureau des journées entières à regarder les images clignoter et défiler sur leurs moniteurs, alignés dans l’open space telles des vaches laitières branchées à des machines qui leur pompaient la vie du corps. Et ils adoraient ça.
Ils n’avaient aucune vie sociale, aucun ami en dehors du travail. Ils surfaient sur l’algorithme, ils chevauchaient les marchés pour exécuter des combines toujours plus complexes afin d’extraire le lucre du système et d’engraisser leur employeur. Ils oubliaient de dormir et enchaînaient les nuits blanches. Ils gonflaient les résultats. Ils bouffaient des chiffres. Ils faisaient le nécessaire pour mériter leur pécule, pour décrocher leur bonus, pour goûter aux délicieux fruits du système. Ils étaient les héros de l’économie libérale, les marines du capitalisme, les heureux élus, si fiers et totalement imbus d’eux-mêmes. »

Un moment de lecture léger, le sourire aux lèvres, à se moquer gentiment des financiers de Wall Street. Coup de vent est une folle course-poursuite sanglante et déjantée dans les Caraïbes, aux rebondissements multiples et à l’humour féroce, qui renouvellera un peu les polars sombres qu’on a pu vous présenter jusqu’alors…

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La glace et le sel – José Luis ZARATE
Titre original : La ruta del hielo y la sal (1988), traduction de Sébastien RUTES, illustration de Mark OWEN
Chez Actes Sud, collection Exofictions (2017), 176 pages, 15,80€

Les Morts de Bear Creek – Keith McCafferty
Titre original : The Gray Ghost Murders, traduit par Janique Jouin-de Laurens
Publié chez Gallmeister, collection Americana (juin 2019), 373 pages, 23,50€

Coup de vent – Mark Haskell Smith
Titre original : Blown, traduction de l’américain par Julien GUERIF
Chez Gallmeister, Collection Americana (5 septembre 2019), 256 pages, 22,00€

Retrouvez notre sélection 2018 par là.

 

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