Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso qui va dans le mur ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. On poursuit avec un incandescent polar qu’a niché au cœur des terribles dernières heures de la Commune de Paris, l’indispensable Hervé Le Corre.
Pour faire simple, le bordelais Hervé Le Corre est un de nos auteurs français actuels préférés. Nous n’avons pourtant découvert le bonhomme que tardivement en 2009 avec son tétanisant Les Cœurs déchiquetés, sorti chez Rivages/Thriller. Nous avons tout de suite adoré son écriture au scalpel, son sens aiguisé du suspense suffocant et sa noirceur abyssale. Nous avons donc par la suite suivi de très près chacune de ses nouvelles sorties. Bien nous en a pris. Après la guerre, sorti en 2014 toujours chez le même éditeur, a confirmé de brillante manière le talent du monsieur. Ce récit saisissant de l’après guerre dans un Bordeaux hanté par de terribles fantômes est une lecture indispensable à tous ceux qui aiment leur polar très très noir mais aussi à ceux qui aiment leur littérature fiévreuse et intense. Hervé Le Corre change ensuite radicalement de sujet avec Prendre les loups pour des chiens, sorti lui en 2017. Polar extrêmement intime, écrit au plus près du corps de son malheureux narrateur pris dans un piège aussi insidieux qu’irrésistible, le livre est lui aussi un diamant noir hautement recommandé.
Nous étions logiquement totalement ravis d’apprendre que pour son ouvrage suivant, le monsieur s’attaquait à une période qui lui allait comme un gant : la Commune de Paris. De façon complètement cohérente avec le reste de son œuvre, il choisit cependant de ne situer son histoire que dans les dix derniers jours de ce souffle fou d’espoir. Cette période comprend bien sûr la terrible semaine sanglante durant laquelle une répression d’une férocité inconcevable va s’abattre sur les parisiens révoltés. L’auteur explique ce choix par le fait qu’il était trop intimidé par l’événement pour s’y frotter frontalement mais on soupçonne que la noirceur de la nuit qui tombe sur cette Révolution n’est pas non plus pour rien dans son choix. Au plus près du chaos qui va progressivement envahir la capitale et laminer deux mois d’expériences sociales et d’espérances de justice, Le Corre oppose deux formes de détermination. La première est celle de Monsieur Charles, photographe à la perversité sans bornes, du mercenaire lettré et psychopathe Henri Pujol et d’un mystérieux cocher au corps tordu. C’est celle de profiter au maximum des troubles pour assouvir sans limite leurs maléfiques appétits. La seconde, c’est celle de trouver le courage d’aller jusqu’au bout malgré l’évidence, malgré l’inéluctable. C’est celle qui va pousser l’inspecteur tout fraichement nommé Roques et un trio de camarades du 105ème bataillon fédéré : le sergent breton Nicolas Bellec, un géant rouquin surnommé le Rouge et le jeune Adrien, apprenti boucher au Bourget, à partir à la recherche de Caroline, jeune infirmière de la Commune et amoureuse de Nicolas qui a mystérieusement disparu. C’est aussi celle qui va pousser cette dernière à tout tenter pour survivre au sort terrible qui l’attend.
En dix chapitres, égrainés au fil des dix journées du 18 au 28 mai 1871, Le Corre bâtit un récit d’une tension rare dans le suffocant suspense qui vous tiendra à bout de souffle jusqu’à la dernière page. Le bonhomme a de plus l’habileté de nous faire vivre les événements de façon plutôt ténue et indirecte. On les vivra dans les coursives et les chemins de traverse qu’empruntent les protagonistes pour échapper aux balles des Versaillais. Cela lui permet de plus de faire apparaitre, de manière plus ou moins brève, une foule de personnages qui dressent un portrait aiguisé et subtilement nuancé du peuple de Paris. Dans cette galerie l’auteur fait d’ailleurs la part belle aux femmes afin, dit-il, de remettre en lumière une partie trop souvent ignorée de la Commune.
Oubliez tous les clichés que vous pouvez avoir sur l’étiquette « polar historique » et plongez-vous à vos risques et périls dans cette superbe démonstration de l’acuité et de la force avec laquelle l’écriture peut nous plonger au cœur de la tourmente et nous faire explorer notre condition humaine dans son immensité de nuances, de la plus sombre à la plus lumineuse.
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Dans l’ombre du brasier d‘Hervé Le Corre
384 pages
chez Rivages Noir (janvier 2019), 22,50€