Route du Rock 2013 – Ready for the dance-Fort

Cette dernière soirée au Fort Saint-Père était résolument placée sous le signe de la danse, entre les sonorités hypnotiques et glaciales de Suuns et les imparables beats discoïdes des impressionnants Hot Chip. Retour sur l’excellente soirée de ce samedi.

Widowspeak

Signe avant-coureur d’une belle affluence, le concert de Widowspeak débute devant un public bien fourni pour ce dernier jour de festival. On apprécie les entrées en matière délicate qui permettent un échauffement en douceur pour des esgourdes fortement sollicitées ces derniers jours. On s’attendait à un trio, mais c’est un duo de guitaristes qui se présente sur la petite scène des remparts, soutenu par une boîte à rythmes. Bon, pour être honnête, on s’est copieusement ennuyé : Molly Hamilton et sa voix vaporeuse nous rappelle Hope Sandoval, mais on est très loin du talent de la chanteuse de Mazzy Star. Elle joue quelques accords graves sur sa guitare, apportant les fréquences basses, quand Robert Earl Thomas s’attache à la ligne mélodique, entrecoupée de quelques soli. Est-ce l’absence d’un batteur ? Les pains sur la reprise de Wicked Game ? La fatigue du dernier jour ? Probablement un peu de tout ça réuni, mais on rejoint la scène principale sans avoir été convaincus par le duo new-yorkais.

Junip

On était resté sous le charme des arpèges alambiqués et enchanteurs de Jose Gonzalez lors d’une précédente Route du Rock (collection hiver). Il est de retour ce samedi soir avec le projet Junip : deux albums en quinze années d’existence, dont le tout dernier Junip, sorti il y a quelques mois. Du trio d’origine, il ne reste que Gonzalez (guitare, chant) et Tobias Winterkorn (claviers), Elias Araya ayant quitté le groupe peu avant le début de la tournée. Le duo est entouré d’un nouveau batteur et de trois multi-instrumentistes pour la version concert : mais on retrouve les délicates mélodies associant guitare et claviers, et surtout l’inimitable voix légèrement nasillarde de Gonzalez. Le groupe débute avec In Every Direction, tiré de leur premier album Fields. Les mélodies pop légèrement teintées de folk sont rehaussées de temps en temps par des chœurs aériens et légers, comme sur So Clear. Ça chaloupe par moment, le concert est très agréable, mais on a parfois la sensation que ça ne décolle pas vraiment. Le groupe va nous prouver le contraire à la fin du set, avec un très bel enchainement Without You et Line of Fire : les titres montent tranquillement en puissance et dévoilent ainsi tout leur potentiel scénique. Une mention particulière pour le merveilleux rappel After All Is Said and Done, et sa subtile montée post-rock, sur laquelle chaque musicien quitte la scène à tour de rôle. Un très beau moment qui lance véritablement cette ultime soirée.

Concrete Knives

On avait découvert les Caennais de Concrete Knives fin 2010 à l’occasion des Trans Musicales et leur fraicheur scénique nous avait séduits, même si le groupe était encore très jeune (la chanteuse Morgane Colas n’avait intégré le groupe que quelques mois auparavant). Fondé en 2007, le groupe voit les choses s’accélérer il y a un an lorsque le patron de Bella Union, Simon Raymonde, les découvre lors d’un festival québécois. Ils sortent Be Your Own King sur ce label quelques mois plus tard et envahissent les radios avec Brand New Start. Les musiciens déboulent à six sur scène, et ne cachent pas leur plaisir d’être là, Adrien Leprêtre (claviers) en tête, intenable. Ils débutent sur un rythme soutenu qui ne faiblira pas. Leur pop est truffée de refrains aux accents d’hymnes, repris en chœur par le public (comme sur Greyhound Racing et ses Na Na Na). Ça ne fait pas forcément dans la finesse mais ça fonctionne assez naturellement. On a une petite préférence pour les mélodies plus subtiles, à l’image de Wallpaper ou du tribal Africanize. Alors forcément, la prestation des Concrete Knives ne séduit pas tout le monde, notamment les plus indés des festivaliers. Mais on n’a pas pas boudé notre plaisir : on a passé un bon moment, avec un groupe enthousiaste qui déroule des mélodies malicieusement efficaces. Et quand ils font monter un petit bonhomme sur scène ou quand Morgane vient dans la fosse, il y a suffisamment de fraicheur pour ne pas soupçonner un quelconque calcul de leur part. Concrete Knives aura réussi à faire monter d’un cran la température au sein du Fort Saint Père.

Parquet Courts

Parquet Courts par Mr B.

On se faufile alors avec plutôt de succès jusqu’à la petite scène pour ne pas louper le prometteur quatuor Parquet Courts. Ces Texans installés à Brooklyn nous ont enchanté les oreilles avec leur excellent album Light Up Gold et ils ont une réputation live de fou furieux. L’attentomètre était donc dans le rouge et nos relevés sur site ont plus que confirmer les hypothèses de départ.
Les plus blasés pourront trouver que c’est la meilleure imitation de Wire qu’on ait vu depuis longtemps mais le quatuor va vite montrer qu’il vaut bien mieux que ça. On retrouve avec un plaisir jubilatoire des compositions pots-punk vives et incisives, faussement cantonnées à un «One, two, three, four» endiablé, mais en fait redoutables mélodiquement. Les riffs distordus et les chants mitraillette et débraillés font mouche instantanément. Le public dense part instantanément en pogo sauvage et slams débridés (même en bottes Cotten). Là où les gars finissent de nous conquérir, c’est dans leur sens du détail et du soin derrières leurs airs de branleurs. Breaks et volte-faces s’accumulent avec gourmandise et les enchaînements entre les morceaux sont eux aussi particulièrement soignés. Un très beau moment de rock sauvage et bien moins crétin qu’il n’en a l’air qui donne envie de suivre ces garçons de près.

Tame Impala

Tame Impala par Isa

L’impatience de la toute la communauté pop malouine devient alors palpable. Les Tame Impala, dans une demi-pénombre, à peine rehaussée par des projections plus ou moins psychédéliques derrière eux (cercles colorés concentriques, images kaléidoscopiques) arrivent dans les acclamations. La faute à un second album (mais le premier, Innerspeak -2010- n’était pas mal non plus !) Lonerism (2012) qui a plongé dans l’extase public et critique, grand moment de bordel farfelu, grouillant d’inventivité débridée, avec huit cent cinquante idées par morceaux, pas une de moins. On espère alors juste que le foisonnement délirant ne se transforme pas en cacophonie ubuesque en live. Autant le dire tout de suite, il n’en sera rien, Kevin Parker et sa bande nous livrant un set d’un peu plus d’une heure particulièrement épatant, mélangeant dans leur marmite psychédélique mélodies pop, échos tourbillonnants et arrangements multicolores à la précision maniaque. Ils commencent en douceur, Kevin Parker, foulard autour du cou, jouant de ses pédales pied nu pour modifier les tonalités de sa Rickenbacker. Why won’t you make up your mind et sa structure à tiroirs entre électro hallucinée, pop mélodique et échos psychés est une parfaite entrée en matière. On s’étonne de voir que la première partie du set sonne quasiment comme sur les disques. Ça pourrait être un reproche. C’est tout le contraire : on n’imaginait pas que les morceaux des Australiens, avec leurs arrangements foisonnants pouvaient être reproduits sur scène. La seconde partie du concert en revanche, se permettra plus de digressions et d’expérimentations, prouvant là encore le talent de la bande à Parker (dont un batteur aux roulements dantesques particulièrement remarquable). Le set mélangeant à quasi égalité les titres d’Innerspeak et Lonerism (5 morceaux contre 7 si on a bien compté, dont les très acclamés Apocalypse Dreams ou Mind Mischief), deviendra progressivement plus rentre-dedans. Avec une seconde partie plus rythmée enchaînant la doublette Hall Full Glass of Wine / Elephant et leurs lourdes guitares à la cavalcade rythmique de Be above it. On se fera également cueillir par les virages mélodiques d’Alter Ego (la précision vocale de Kevin Parker étant parfois légèrement mise à mal par ses mélodies particulièrement casse-gueule). A la fin du concert, Christophe (Brault) nous glissera : « si son troisième album est aussi bon que les deux précédents, c’est sûr, il faudra considérer Kevin Parker comme un grand ». On acquiesce.

Suuns

On avait découvert les Suuns il y a deux ans sur la grande scène du fort Saint Père, et les pépites de l’imparable Zeroes QC. Ils ont sorti depuis Images du Futur, toujours chez les excellents Secretly Canadian, toujours dans la même veine électro-rock, tendance sombre et hypnotique. On avait clairement envie de leur donner une seconde chance, après un concert décevant donné il y a un mois à Carhaix, dans la pénombre et avec peu d’entrain. Malheureusement, le quatuor originaire de Montréal était programmé sur la scène des remparts, une étrangeté qu’il fallait anticiper pour espérer entraperçevoir quelque chose. C’est donc avec un bon quart d’heure d’avance que l’on prend place, car la foule se densifie rapidement dès la fin du concert de Tame Impala. Dès les premières notes, on est rassuré : rangs serrés, un son correct, des musiciens ravis d’être là, les ingrédients sont réunis pour assister à un set d’exception. Le groupe est excellent sur album mais déçoit parfois sur scène : leurs mélodies à la froideur clinique ne sont pas forcément évidentes à installer en live, car restituer leurs sonorités relève de l’exploit, surtout sur un set très court (à peine 50 minutes). Ce (trop) court concert confirme ce qu’on aime chez Suuns en live : un set exigeant, qui ne cède pas à la facilité, et qui ose les sonorités dissonantes. Il y a certes le phénoménal Arena : mais le quatuor fait l’impasse sur la plupart des bombinettes dansantes de Zeroes QC pour triturer les compos d’Images du futur. En point d’orgue, l’apocalyptique 2020 et son riff de guitare decrescendo ou encore le lent Edie’s Dream et la basse chaude et ronde de Joseph Yarmush. Le chant de Ben Shemie, souvent susurré, gagne même en plénitude, pendant que Max Henry triture les sonorités de ses claviers avec un bonheur jouissif. Le groupe aime le festival, et les festivaliers le lui rendent bien. On aurait juste aimé danser au ralenti quelques minutes de plus.

Hot Chip

Le charme d’un festival se résume parfois dans le contraste des transitions. Le pas lent et hypnotique sous sonorités glaciales devient frénétique dès les premières notes discoïdes d’Hot Chip. On se souvient de cinq garçons planqués derrière leurs laptops il y a 9 ans aux Trans Musicales. Poussant à son paroxysme la panoplie vestimentaire du geek, ils nous avaient cependant collé une magistrale claque qui résonnait encore quelques minutes avant leur concert. C’est donc en rangs serrés que la team s’installe au premier rang, avec ce mélange d’excitation et d’inquiétude à l’idée de ces retrouvailles. Rarement un groupe aura dissipé aussi rapidement nos craintes : dès les premières notes, les Londoniens confirment leur capacité à remuer le popotin le plus récalcitrant. Le groupe s’est sérieusement étoffé depuis ces années : les instruments ont aussi fait leur apparition, renforçant encore plus le côté dansant, avec batterie discoïde, basse groovy, et petits riffs de guitares sautillants. A l’image d’un claviériste bondissant, ils prennent un plaisir évident à faire se remuer le fort tout entier. Le contraste entre le chant discret et éthéré d’Alexis Taylor et les rythmiques catchy fonctionne à merveille, et l’association entre instruments et sonorités électroniques est une réussite totale. Et quand on possède dans son répertoire une hallucinante ribambelle de tubes ravageurs, issus de cinq albums exceptionnels, on peut se permettre de composer tout type de set. Une louche de mélancolie, mais surtout beaucoup de beats remuants, avec un incroyable Over and Over, et un Ready for the Floor de circonstance. Le public du Fort Saint-Père avait envie de se dégourdir les orteils : les Londoniens nous ont prouvé qu’il est possible d’être dansant sans gesticuler en caleçon. Hot Chip, ou l’art d’être incroyablement groovy avec une classe folle. Le concert de la soirée.

Une petite demi-heure nous sépare du concert de Disclosure, ce qui nous permet de faire (enfin !) un petit tour du côté du stand des labels, notamment du côté des excellents In My Bed et Les Disques Normal, qui nous réservent une rentrée rennaise excitante (on vous en reparlera).

Disclosure

On était forcément curieux de découvrir La sensation électro du moment, le duo anglais Disclosure, composé des deux frangins Lawrence. Leur tout premier album, Settle, s’est placé en tête des charts en Angleterre en juin dernier. L’attente est grande, si l’on s’en tient à l’impressionnant public resté à une heure aussi tardive (02h40). Un écran en forme de losange projette différents visuels, pendant qu’Howard et Guy triturent leurs machines, les délaissant parfois au profit d’instruments (basse, percussions). C’est propre, très propre, trop propre : ça manque de vice et de crasse. De la house calibrée pour les radios, avec une petite louche de dubstep qui manque d’inventivité. Ça aura au moins le mérite de permettre à un public rajeuni de danser jusqu’au bout de la nuit. On quitte le Fort Saint-Père avec la délicieuse sensation d’avoir assisté à un excellent cru.

Photos : Solène, Mr. B

Retrouvez tous nos articles sur la Route du Rock 2013 dans notre dossier ici.

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Le site de la Route du Rock : http://www.laroutedurock.com/

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