Pas de répit pour nos lundis. Après la magie Powerdove au Terminus, nous avons eu droit à un coup de fièvre britannique lundi 22 mai à l’Ubu avec le sketch savamment déglingué de Mark Wynn et surtout le concert incandescent de l’épatant duo Sleaford Mods.
Depuis Key Markets leur album de 2015 et leur surpuissant concert de la Route du Rock, nous avions bien senti l’effervescence monter autour du duo Sleaford Mods, et ce bien au-delà de ceux qui suivent la bande depuis ses débuts. Ce constat se confirmait avec leur excellente nouvelle galette English Tapas et une date à l’Ubu très rapidement complète. Histoire de conjurer la malédiction du poteau et de savourer le duo dans des conditions optimales, nous sommes arrivés largement en avance et bien nous en a pris.
C’est Mark Wynn en solo, avec son laptop et son balai, qui démarre la soirée. Dans une autre vie, le gars connu un succès (modéré) avec son groupe Hijak Oscar et se tailla même la réputation d’être un des meilleurs guitaristes de la ville de York (sans le New) dans la Nord de l’Angleterre. Suite à une révélation (ou une dépression selon certain), il changea radicalement de style. En effet, plus qu’à un concert, nous aurons droit à une performance à base de baratin surréaliste débité sur un rythme d’enfer et d’happening karaokesque déglingué. Entre deux petites compositions persos où il scande avec morgue des paroles délirantes sur des riffs squelettiques de guitare balancées directement du laptop (dont un hommage fervent aux pantoufles du crooner canadien Michael Bublé), il nous gratifie d’une imitation d’Iggy Pop sur Shake Appeal ou d’un étonnant meddley entre l’horrible tube Hot Stuff et les paroles du Tied Up in Nottz des Sleaford Mods. Le tout est ponctué de délires verbaux sur le buffet de l’hôtel, son balai ou le rachat d’un ordinateur. Du bon gros n’importe quoi, mais fait avec verve et une telle fougue à se faire détester sans pour autant tomber dans le cynisme, qu’on ne peut s’empêcher de trouver le bonhomme hautement sympathique.
Au grand dam les deux tiers Est de la salle, l’Ubu est totalement bondé quand débarque sur scène le duo Sleaford Mods. Pas de surprise côté dispositif scénique : le trapu Jason Williamson agrippe avec la fermeté qu’on lui connait son pied de micro pendant que la tringle Andrew Fearn se plante derrière son ordinateur perché sur une tour de caisse de pinard en plastique bière à la main. D’une pression sur le clavier, il lance la déferlante.
On retrouve immédiatement tout ce qui nous plaît dans le duo : un débit mitraillette allié à un accent nasillard à couper à la tronçonneuse et des beats ciselés, grinçants et secs comme des coups de trique. Le contraste saisissant entre la folle énergie dégagée par le frontman et le flegme goguenard de son comparse fonctionne toujours autant. Alors que le premier postillonne sa rage avec la véhémence d’un seize tonnes lâché sans frein dans une pente, le second se contente de dodeliner en répétant les punchlines acérées de son comparse tout en répandant consciencieusement sa binouze au pied de son laptop.
La première partie du set fait la part belle à English Tapas, leur dernière galette et à TCR, l’E.P. qui l’a précédé. Après un Army Nights de chauffe, les beats ravageurs et les basses qui tabassent sont de sortie pour notre plus grande joie. On se laisse emporter par l’obsédante ligne rythmique d’I Can Tell et étourdi par la vivacité électrifiante de MopTop avant de cracher notre bile en cœur sur les rageurs You Fat Bastard de Carlton Touts. Williamson se révélera ce soir là moins bavard et cabot entre les morceaux qu’à la Route du Rock. Vu l’intensité qu’il va apporter vocalement et physiquement à chacun des titres de la soirée on ne se sentira absolument pas floué.
Alors que l’ambiance est déjà surchauffée, les fins limiers nous ménagent une petite pause respiration chaloupée avec le trio Silly Me, TCR et Time Sands avant de repartir en nous annonçant un retour à des vieux morceaux. Ce seront les redoutables Routine Dean et Jolly Fucker qui achèvent d’embraser un Ubu totalement acquis à leur cause. Un dernier retour à English Tapas avec Drayton Manored, Cuddly et le furieux BHS et on est déjà au rappel pour lequel ils décochent les imparables Jobseeker, Tied Up in Nottz et Tweet Tweet Tweet en guise de volcanique bouquet final qui nous laisse essoré et ravi.
On ressort de là heureux, d’abord d’avoir pu partager ce nouveau merveilleux moment de rage pure et d’humour ravageur si nécessaire à notre sale époque, mais également d’avoir constater de visu que le duo n’a absolument rien perdu de son mordant et de sa folle présence scénique.
Nous avons eu le plaisir de causer succès, jalousie et blogger avec Jason Williamson avant le concert. Retrouvez l’interview, hélas sans son merveilleux accent, par là.
Les photos du concert sont toutes du camarade Renan Péron. Merci à lui.