[Interview] Sleaford Mods : Parfois, je hais la musique

Nous avons eu le plaisir de causer succès, jalousie et blogger avec Jason Williamson, le monstrueux frontman du duo si anglais Sleaford Mods avant leur concert du lundi 22 mai à l’Ubu à Rennes. Hélas, pas moyen par contre de rendre à l’écrit et après traduction son merveilleux accent.

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Dans un Ubu blindé le duo Sleaford Mods nous a permis de vivre, lundi 22 mai, un merveilleux moment de rage pure et d’humour ravageur si nécessaire à notre sale époque. Avant ça, nous avons eu le plaisir de retrouver un Jason Williamson affable et extrêmement tolérant avec notre anglais pataud.

Alter1fo : Où en êtes de votre tournée européenne ?

On en est à la deuxième moitié. Ça fait un mois qu’on a démarré et ça se passe bien, vraiment bien. On est passé en Belgique, en Allemagne, en Autriche et après on va en Suisse.

Est-ce que vous une façon différente d’aborder vos sets en fonction des pays ? Est-ce que la barrière de la langue est parfois un problème pour vous ?

Pas vraiment. On ne change rien selon les pays. Pour la langue, j’ai plutôt l’impression que les gens de ce côté de la Manche comprennent une bonne partie de ce que je raconte et puis le plus important c’est plutôt la musique et l’atmosphère du concert.

Y a-t-il des différences entre le public anglais et les autres ?

Non, pas vraiment. Parfois, les européens sont plus réceptifs… plus polis.

Vous êtes passés à la Route du Rock l’été dernier. Le public rock peut être parfois assez « conservateur ». Est-ce que vous avez eu a faire face à des réactions hostiles ou des gens qui se barrent ?

Non, en général, ça se passe toujours bien. Jusque là, c’était plutôt calme pour nous au niveau de la France mais avec le nouvel album, on commence à s’intéresser plus à nous. Peut-être parce qu’il est bon ? Le passage à la Route du Rock a du aussi aider. On a eu pas mal de contacts après.

Est-ce qu’il y a une part d’impro dans vos sets ?

Il y a une part d’impro entre les morceaux mais pour le reste les paroles sont plutôt millimétrées. Pour la setlist, c’est pareil. Il y a beaucoup de préparations et je ne peux pas me permettre de ressortir un vieux morceau comme ça. Ça risquerait de ne pas être très bon.

Un des trucs les plus épatants dans vos concerts, c’est le contraste entre ton attitude et celle d’Andrew. Est-ce que ça a toujours été comme ça ou est-ce vous avez tenté d’autres façons ?

Ça a toujours été comme ça depuis le début. C’est ce que j’avais en tête dès le départ : Andrew sur scène qui appuie juste sur lecture. Il n’a pas voulu le faire pendant un long moment et puis, il a finalement accepté et ça fonctionne plutôt pas mal.

Depuis Key Markets, vous commencez à avoir un certain succès qui se concrétise par une signature avec Rough Trade. Vous faites de sacrément étranges popstars. Comment vous gérer cette reconnaissance ?

Au départ, ça a été un peu compliqué mais ça ne l’est plus. Je l’ai accepté. Ça fera peut être marrer des gens mais c’est dur à accepter. C’est dur parce qu’on se sent coupable. Ça m’a pris du temps pour m’y ajuster. Je reste prudent. Je reste vigilant à ne pas perdre le contact avec les choses. Ça peut arriver. Pour l’instant, je pense pas que nous en soyons là. Nous sommes toujours… comme nous sommes et j’ai le pressentiment que ça ne changera pas. Pour ma famille, c’est financièrement plus confortable. On peut faire un peu plus de trucs. Après, je me dis parfois qu’il ne faudrait pas non plus avoir trop de ces bonnes choses et surtout il ne faudrait pas que l’on devienne trop avide et rester conscient que ça durera ce que ça durera.

English Tapas, le dernier album prouve plutôt que vous n’avez pas perdu le contact. Voilà une question que j’ai un peu peur de poser ; C’est quoi des English tapas ?

C’est Andrew qui a vu ça sur un menu d’un petit boui-boui et ça nous a fait rire. C’était tellement absurde et c’était tellement révélateur sur le niveau d’ignorance, le côté toc et repoussant de notre pays à ce moment là. C’est toujours vrai aujourd’hui d’ailleurs.
(Après recherche, il semblerait que ce soit un œuf dur avec de la friture et de la chair à saucisse autour. Miam !)

Sur certains morceaux du dernier album, comme B.H.S., on retrouve la colère qu’on aime tant chez vous mais j’ai le sentiment que vous avez essayé de varier un peu plus les humeurs sur ce disque ?

J’avais envie de changement et je cherchais aussi une façon d’avancer dans mon truc. C’est important parce que j’ai quelque chose de passionnant à explorer et que ça mérite d’aller creuser. Je vais de l’avant, avec optimisme, et j’espère continuer à aller dans cette direction.

Il y a pas mal de gens qui ont l’impression que vous faites toujours la même chose alors que j’ai plutôt le sentiment que vous êtes le genre d’artistes a travailler encore et encore le même matériau pour le rendre meilleur.

C’est notre façon de faire et il y a pas mal de gens qui ne le comprennent pas. Notamment chez certains chroniqueurs de disques. Ils sont toujours à la recherche de quelque chose de différent. S’ils cherchent quelque chose de différent, ce n’est pas chez nous qu’il faut le chercher. On voit que ces gars là n’écrivent pas de chansons. Ils ne peuvent pas les comprendre ou en être aussi proche que ceux qui le font. Donner son avis sur un disque ou un morceau, c’est toujours un exercice d’équilibriste et la frontière entre un avis et un jugement est très étroite.

Le morceau Just Like We Do m’a fait beaucoup rire. Vous avez eu des soucis avec des bloggers ?

Ouais, c’est tous des branleurs ! (Rires) Laisse tomber. Nous ne sommes pas des vendus. Nous ne sommes pas devenus des fainéants. On est toujours à l’épreuve des balles (Il fait le bruit et le geste de la balle qui ricoche sur lui). On est toujours aussi putain de précis. C’est dingue comment les choses peuvent changer vite pour ces gars. C’est juste de la jalousie. Je le sais parce que je l’ai aussi été. C’est le genre de personne que j’ai été… et que je suis toujours. Je suis jaloux et envieux de plein de groupes. Le succès ne change rien à ça. Tu ressens ça et voilà que quelqu’un te pointe du doigt avec exactement le même sentiment. C’est ça qu’explore cette chanson.

A votre avis pourquoi il y a si peu de groupes qui parlent du monde d’aujourd’hui?

Parce qu’il y en beaucoup qui sont employés sur des gros labels. Malgré tout, ils ont encore un large monopole. Ils ne veulent pas avoir un propos politique parce que ça ferait fuir une partie des gens. C’est si facile de vendre une musique décervelée. Tu mets une musique insipide et floue. Tu prends un gars ou une fille et tu pousses à fond son côté sexy dans des vidéos sur-découpées. Tout ça, c’est un emballage qui s’adresse à des consommateurs. C’est ce que savent faire les gros labels et le reste ne les intéresse pas parce que ça ne le rapporterait pas assez d’argent. Les gars comme Ed Sheeran, les gens disent « Mais si, il est sympa. Il a quelques vraiment bonnes chansons ». Sauf que non, il ne peut pas nous tromper. Ça reste une machine, une machine avec quelque chose de vraiment mauvais et vicelard dedans. C’est ce qui consume et essore complètement les gens. Après, il y a quand même aussi beaucoup de groupes qui sortent du lot.

Lesquels pour toi ?

Il y a Jane Weaver. C’est une jeune chanteuse anglaise qui me plaît beaucoup. Il y a aussi la scène grime. Par exemple, les Giggs avec leur album Landlord qui est très intéressant. Le dernier album de Kendrick Lamar est vraiment bon. Il y a aussi Frank Ocean, ça n’a pas grand-chose à voir avec nous mais ce sont de sacrés chansons.

Comment as-tu été amené à jouer dans le film Lost dog ? Tu as juste joué dedans où tu as aussi participé à l’écriture ?

C’est un copain qui me l’a demandé. C’est un projet un peu obscur, un truc très militant dont on n’était pas trop sûr qu’il aille au bout. (Le film dénonce les coupes budgétaires dans les aides aux handicapés et la hausse des agressions envers cette population). J’ai adoré le faire. Ce type a des idées qui viennent vraiment d’ailleurs mais c’est pour ça que je l’aime bien.

Ça t’a donné envie de retenter l’expérience ?

Oui. Andrew Tiernan, le gars avec qui j’ai bossé, est un acteur anglais qui a aussi mis en scène quelques films. C’est toujours très politique et aussi un peu dingue. Je pense que je travaillerai encore avec lui.

Tu n’as jamais été tenté par le théâtre ? Il y a quelque chose de très théâtral dans tes concerts.

J’ai fait quelques trucs à la fac que j’ai adoré faire mais je n’y ai pas repensé depuis. Le théâtre, c’est comme la musique, si tu trouves le bon angle, ça peut être fantastique. Peut-être un jour ?

Je ne suis pas sûr de connaître tous vos morceaux mais je n’en ai pas trouvé sur le football. Tu en as écrit ?

Pas sur le foot directement mais j’ai écrit quelques trucs sur la violence et la culture du terrorisme que l’on retrouve autour de ce sport. La culture de ce sport m’intéresse mais sinon ce n’est vraiment pas mon truc. Après je ne le critique pas le sport lui-même, ça reste un jeu magnifique, une des plus grandes inventions humaines (rires).

Pour finir, qu’est-ce que tu écoutes comme musique en tournée ?

Actuellement, c’est plutôt Kendrick Lamar, Frank Ocean, Drake, le Wu Tang des groupes de grime… C’est à peu près tout. Parfois, je hais la musique. Quand je sature j’essaye alors plutôt de me tourner vers la lecture.

Est-ce qu’Andrew et toi écoutez les mêmes musiques ?

Ho, non ! On a des goûts très différents. Andrew écoute… Dieu sait quoi ? (Rires)

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Retrouvez le report de la soirée qui a suivi par ici.

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