Cette année encore, la session hiver de la Route du Rock se délocalisait avec classe. Jeudi 29 février, elle passait du côté de l’Antipode à Rennes pour une soirée bien énervée. Elle regroupait en effet sur la grande scène : les volcaniques Lysistrata qui démarraient la tournée de leur très attendu troisième album, les punkettes so british de Lambrini Girls et un DJ set de Maxime Pilori. Retour en mots et en images sur une soirée diablement vivifiante.
L’édition 2024 de la Route du Rock hiver nous proposait bien sûr deux soirées bien riches les 1er et 2 mars à la Nouvelle Vague (avec Gaz Coombes, Water Astral, bdrmm, Bruit Noir, The Big Idea le vendredi et Slift, Decius, Hooveriii, Baby’s Berserk, Eat Girls le samedi) mais elle passait également son chemin par le cinéma Arvor (avec le doc Meet Me in the Bathroom de Will Lovelace et Dylan Southern sur le renouveau de la scène rock new-yorkaise des années 2000), la Grande Passerelle de Saint Malo (avec la conférence de notre musicologue favori Christophe Brault qui proposait un panorama du rock indé du XXIe siècle) et enfin l’Antipode pour une très belle soirée d’indie rock bien vénère. C’est cette escale du jeudi 29 février sur laquelle nous allons revenir ici.
Initialement prévue sur l’impeccable et chaleureuse scène du club, succès oblige, elle avait finalement lieu sur la grande scène. On avait un peu peur d’y perdre en impact et en chaleur. On avait bien tort. C’est le trio de Brighton : Lambrini Girls qui démarre la soirée bille en tête. Pas d’échauffement préalable, ni de mouillage de nuque, Phoebe Lunny (voix, guitare), Fox O’reilly (basse) et Catt Jack (batterie) démarrent leur set bille en tête en fendant un public compact qui a largement répondu présent à cette proposition. On apprécie les versions bien débraillées des meilleurs morceaux (Boys in the band, Help me I’m gay) de leur premier EP : You’re Welcome sorti en mai 2023 chez Big Scary Monsters. Dommage que la partie théâtrale prenne autant de place dans leur set faute de plus de morceaux véritablement percutants. On ne peut que souscrire aux thèmes abordés lors des nombreuses harangues de la chanteuse (féminisme, vigilance sur les agressions sexuelles, appel à la résistance face aux divers fascismes qui montent…) mais ça manque de rythme et surtout de spontanéité à nos yeux et nos oreilles aguerries à ce genre d’exercice. Il reste que les étoiles dans les yeux des jeunes filles présentes dans le public ce soir là sont un bonheur suffisant pour nous rendre le sourire.
C’est ensuite au tour des très attendus Lysistrata de monter sur scène. Depuis 2013, on suit en effet avec beaucoup d’attention ces trois potes de Saintes en Seine Maritime. On avait découvert la musique de Ben Amos Cooper (chant, Batterie), Théo Guéneau (guitare) et Max Roy (basse) avec leur épatant premier album The Thread sorti en 2017 chez les fines gâchettes de Vicious Circle (et en K7 chez les pas moins affutés locaux d’Ideal Crash) Leur seconde galette du groupe Breathe In/Out sorti en 2019 chez les mêmes prolongeait le sillon tout en évoluant vers une écriture moins évidente et en mettant l’accent sur les paroles. Le trio a pris son temps et ce n’est qu’après une interminable attente de 5 années que sort enfin leur troisième disque : Veil. L’album produit par Ben Greenberg (Metz, DIIV, Algiers…) est une grande réussite qui dépasse nos attentes les plus folles. Ample, en équilibre parfait entre sophistication et la spontanéité qu’on apprécie tant chez le groupe, contrasté mais tenu mélodiquement de la première à la dernière note, on tient là ce qui devrait rester comme un des grands disques de l’année. On avait donc plus que hâte de découvrir la version live de cet épatant nouveau chapitre des aventures du groupe.
Vu les souvenirs de feu que nous avaient laissé les précédentes prestations du groupe, nous étions assez confiant.e.s sur la capacité des Lysistrata à embraser la salle. Ils vont vite prouver que leur impressionnante ampleur scénique ne s’est pas étiolée voire a même gagné quelques munitions. Dès le premier morceau, on retrouve la générosité et l’énergie remarquables du trio. Après un tonitruant Death by Embarrassment de leur second disque Breathe in/out en guise d’entrée en matière, ils vont évidemment donner la part belle à leur dernière galette qui sort le lendemain du concert. Avec une fluidité et une complicité toujours aussi réjouissantes, le groupe enchaine ensuite l’explosif Feel the Shine, le plus tempéré Livin it up et l’épatant Horns tout en montée. Aucune baisse d’intensité malgré la finesse et le contraste. Le public conquis s’enflamme dans un chaos joyeux sans que la bande n’ait à forcer le trait. Cet incendie ne va guère se calmer avec le furieux See Through sa guitare carillonnante et sa rythmique totalement irrésistible suivi du chaloupé et rageur Different Creatures (toujours de Breathe in/out). Le temps passe sans que l’intensité ne baisse d’un iota et nous sommes déjà dans la dernière ligne. Le sprint final nous mène par l’éruptif Trouble Don’t Last, le débridé Boot on a thistle, la somptueuse ballade Okay avant un monstrueux Rise Up en apothéose sonique. Le public conquis célèbre comme il se doit un tel déluge de classe et d’énergie et on aura même droit à un rarissime rappel du groupe.
Ce n’est que le premier concert de Lysistrata pour défendre leur nouvel album et la barre est mise très très haute. On leur souhaite en tout cas le meilleur pour la suite tout comme pour l’accueil de Veil. On comptera désormais fébrilement les jours avant que leur chemin ne repasse par Rennes.
Pas de soirée réussie sans de bonnes sélections en périphérie des concerts. Merci donc à Maxime Pilori (DJ résidente à La Station Station, Mutant Radio et chanteuse dans le duo synth pop Rio) d’avoir su équilibrer en finesse indie tubes et sélections wave, post-punk, deviant disc ou synth punk.