[Report vendredi] La Route du Rock 2018 – Week-end au Fort

Compte rendu écrit à six mains par Mr. B, Yann et Isa et photographié dans le noir par les sunglasses de Mr B.

C’est sous des cieux cléments que ce premier jour de la Route du Rock a pris place au Fort St Père ce vendredi 17 août. Une soirée marquée par deux tendances qui alternent : tambourins (plus ou moins) flamboyants d’un côté et pop (plus ou moins) tarabiscotée de l’autre (le titre a failli être Les tambourins l’aiment pop). Mais c’est Daho qui l’emportera ce soir tant sa prestation aura fédéré le public devant la scène. On vous raconte.

Le Villejuif Underground

Le redoutable honneur d’ouvrir les festivités des journées au Fort Saint Père revenait cette année au Le Villejuif Underground . Nous avions déjà pu voir et apprécier les zigotos du Val de Marne à l’épatant Binic Blues Folk de l’an dernier et nous avions peu de doutes sur le fait que le charme de la nonchalance punkoïde du quatuor fasse des merveilles sous le soleil malouin.

Nous ne nous sommes pas trompés et leur contagieuse coolitude contamine rapidement le public déjà bien dense pour ce premier concert. Menée par le toujours aussi foutraque et remuant australien Nathan Roche, la bande enchaîne sur un rythme absolument pas infernal son irrésistible garage rock négligé, mais pas négligeant. Pas de risque de claquage donc mais on dodeline de la tête avec un grand plaisir en twistant langoureusement. On regrettera juste que la nouvelle scène des Remparts (Plus grande ! Plus haute!) nous éloigne un peu trop du quatuor pour que le charme agisse sur toute la longueur du concert. Le gars Roche a d’ailleurs dû lui aussi le sentir et il s’offre très tôt dans le set une longue ballade au milieu du public de fort bon aloi.

The Limiñanas

Dans nos rangs, certains avaient eu la chance d’apprécier sur scène Lionel et Marie Liminanas aka The Limiñanas, mais pour beaucoup d’entre nous, le duo de Cabestany (Pyrénées Orientales) était une découverte live : autant être clair tout de suite, les Catalans nous ont offert la première grosse claque de ce festival, et ce dès le premier concert sur la scène du Fort. Marie (batterie) et Lionel (guitare) placés au centre de la scène, entourés de 5 autres musiciens tout de noir vêtus, démarrent pied au plancher avec l’instrumental Ouverture. Les guitares fuzzent rapidement sur ce rock garage cinématographique qui ouvre également leur dernier album Shadow People. Le groupe va ensuite puiser dans sa discographie (déjà) foisonnante, du double album Down Underground (LP’s 2009/2014) au récent Shadow People en passant par Malamore (2016) : en effet, si la reconnaissance hexagonale est récente, The Limiñanas officie depuis près de dix ans et a rencontré un succès outre-atlantique avant d’être (enfin) prophète en son pays.

Les pépites pop garage à la sauce yé-yé s’enchainent sans temps mort : la rythmique est monstrueuse (cette ligne de basse sur Tigre du Bengale, pfffui…), et le trio/quatuor de guitares défouraille à l’envi, avec cette capacité à donner aux titres un coup d’accélérateur quand on pense avoir atteint la vitesse max (Malamore). La partie chant est assurée en alternance par la chanteuse-percussionniste (sur les titres yé-yé) et le guitariste (parfait sur les mélodies pop sixties) : ils entourent le duo originel et sont impeccables, même si les featuring nous manquent parfois (notamment Bertrand Belin sur Dimanche). On aura tout de même le plaisir de découvrir Istanbul Is Sleepy avec Anton Newcombe en guest de luxe, avant de le retrouver en fin de soirée. The Limiñanas nous gratifie même de deux reprises : l’hymne sixties par excellence, le Gloria de Van Morrison (Them) repris avec jubilation par le public, et le plus méconnu Crank du groupe de garage perpignanais The Beach Bitches, et son riff de guitare imparable. Le set s’achève sur le merveilleux Betty and Johnny, avec un final dantesque à grands coups de basses démentielles. Le festival démarre sur des bases élevées avec ce groupe qui sera, assurément, l’une de nos plus belles découvertes de cette édition.

Grizzly Bear

Dire qu’on attendait Grizzly Bear avec une folle impatience, ce quatuor-là faisant partie (avec les Midlake d’avant et Chris Cohen) de nos chouchous pop. D’autant que les deux précédentes venues des Américains à la Route du Rock après notamment un double moment de grâce suspendue en 2006, l’un au Palais du Grand Large le vendredi et l’autre le dimanche en remplacement au pied levé des Television Personalities pour ouvrir la soirée au Fort St Père nous avaient lessivé l’estomac, le cœur et l’âme tout ensemble et le fan de pop transi planqué derrière nos t-shirts de noise était rien de moins que tombé à genoux. Làs, le moment trop attendu sera bien en deçà de nos attentes.

Pourtant lorsque Ed Droste et son improbable sweat canari (chant, claviers, guitare, omnichord), l’époustouflant Christopher Bear (batterie, percussions, chœurs), Daniel Rossen (chant, guitare, claviers) et Chris Taylor (basse, chœurs, vents) accompagné d’un cinquième larron aux claviers (et à la trompette) en fond de scène, commencent avec un Four Cypresses tout en douceur aux roulements de batterie aussi complexes que subtils et que les premiers chœurs vocaux s’élèvent, on est prêt à en découdre.

C’est sans compter sur un ingé son sourd qui a mis tous les potards des basses dans le rouge. Vous le croirez ou non, les infra-basses de la soirée qui décollent la plèvre des poumons, c’est pendant la pop ouvragée des Grizzly Bear qu’on les a eues. On peine même à reconnaître l’excellent Losing all sense qui suit, pourtant normalement imparable. Des basses, des basses, des basses et pas de voix, ce qui nous fait sérieusement marner quand on sait que la pop des Américains repose (entre autres) sur des entrelacs vocaux à se damner. On en pleurerait même sur Fine For Now ou Knife (oui, la setlist était quand même merveilleusement calibrée) tout comme sur un Sleeping Ute amputé de sa magie. C’est là qu’intervient notre héros, batteur émérite de plusieurs groupes rennais, qui (en plus de donner des médiators aux guitaristes qui en en demandent sur les scènes de la Route du Rock Hiver) a l’excellente initiative avec sa légendaire gentillesse (ainsi que quelques autres) de demander à l’ingé son de faire quelque chose. La suite du concert sera donc moins pire. Mais le mal est fait : beaucoup sont partis se réfugier loin des basses et ceux qui restent peinent à retrouver la magie.

Il faut dire que Grizzly Bear n’est pas un groupe à effets visuels et tralalas scéniques et que leur prestation repose uniquement sur leur musique ouvragée avec une subtilité délicate. Les musiciens changent d’instruments, ré-arrangent leurs fabuleuses compos, Daniel Rossen alterne entre guitare et wurlitzer, Chris Taylor échange parfois sa basse contre un saxophone ou une flûte traversière, tous virevoltent de chœurs en chœurs, d’arrangements vocaux en breaks subtils (Grizzly Bear est l’antithèse d’« une idée, une chanson ») et délivrent une pop pleine de virages mélodiques. On est assez fan pour y retrouver nos petits. Mais une grosse majorité du public ne se réveille que pour un Two Weeks chanté à pleins poumons des deux côtés de la scène. Le moment aurait pu être magique. Le Fort sera peut-être passé à côté cette fois-ci. Nous on aime quand même toujours Grizzly Bear.

Shame

Après le charme langoureux de nos plantigrades favoris, ce sont donc les londoniens de Shame qui avaient pour mission de casser la baraque avec une prestation furibarde.

A l’écoute de leur premier album Songs of Praise, sorti chez Dead Oceans au début de l’année, nous étions déjà très dubitatifs sur l’engouement généré par la bande. Pas bégueules pour deux sous, nous attendions pourtant avec une certaine impatience de juger de la valeur du quintet sur scène. On nous promettait le feu et la foudre… mais le groupe va, hélas, nous laisser totalement de marbre. Passé le charme indéniable de la voix rauque et de l’attitude ultra-photogénique du meneur Charlie Steen, la prestation des Anglais nous semble si totalement inoffensive et émoussée que nous décrochons bien vite. Nos espoirs d’intensité scénique subissent une douche froide aussi rapide qu’irrémédiable tant tout ça nous paraît à mille lieux de l’énergie déployée sur scène par des groupes comme Iddles, Metz ou Girl Band (pour ne citer que des groupes programmés à ce même festival).
On espérait une claque, on a eu une pause. C’est toujours ça de gagné.

Étienne Daho

Etienne Daho ©Nicolas Joubard

Emu, Étienne Daho est ravi de venir ici, dit-il et le public compact en rangs serrés devant la scène confirme qu’il n’est pas le seul. En fond de scène une sorte de minimaliste double rectangle lumineux plongé dans les brumes encadre Philippe Entressangle (batterie), Marcelo Giuliani (basse), Mako (guitare), François Poggio (guitare) et Jean-Louis Pierot (guitare et clavier), les (excellents) musiciens qui accompagnent à nouveau Etienne Daho sur cette tournée d’été qui s’achève ce soir.

Plongée dans les brouillards des fumées et des lumières rougeoyantes de braise, la toujours élégante silhouette du chanteur est accueillie dans les cris qui accompagnent le rock et prenant Les Filles du Canyon à trois guitares (Blitz). Entrée en matière envoûtante parfaite pour un concert qui fait tout autant la part belle à Blitz qu’aux tubes éternels du garçon, parfaitement ré-arrangés. Pour que cette nuit dure toute la vie, chante le Fort sur Le grand sommeil qui enchaîne. Puis se recueille sur Le Jardin à la gravité légère et aux pesanteurs aériennes (la chanson évoque la sœur de l’artiste disparue récemment).

Il n’est pas de hasard, il est des rendez-vous. Et celui-ci sera célébré des deux côtés de la scène dans une idéale communion. Si l’âge moyen a un peu augmenté sur cette soirée à la Route du Rock, Daho a l’immense classe de fédérer dans un même mouvement les jeunes et les moins jeunes, tous chantant d’un même c(h)œur enthousiaste, les bras levés des paroles connues par cœur.

Etienne Daho ©Nicolas Joubard

On est ravi d’entendre ensuite le dansant Sortir ce soir pour lequel on a toujours eu un gros faible et qui remue le Fort comme un seul homme. Un Poppy Gene Tierney du même album (La notte, La notte) plus tard, le très rock L’invitation continue de secouer les festivaliers qui dansent avec le même bonheur. On applaudit d’ailleurs l’épatant équilibre trouvé par Daho entre le rock,  la musique qui l’a formé, remué, bouleversé et dont il se tient toujours un peu à l’écart pour trouver sa propre voie/voix et la variété la plus fédératrice. Conciliant ses amours rock et yéyé, le garçon garde le cap de son univers singulier et fait preuve avec ses musiciens d’une touchante et indéniable générosité sur scène. Présenté comme un morceau inconnu, Week end à Rome est réarrangée avec une infinie classe : quelques notes de guitares, des chœurs aériens en fond et un tempo ralenti finissent de faire fondre le Fort.

En apesanteur, la délicate Les flocons de l’été, directement enchaînée, ne calme en rien l’enthousiasme de la foule et s’envole aérienne sous les étoiles. Des attractions désastre et son gimmick funky à la guitare comble tout autant le Fort tout entier. Les vingt deux étés sont transformés en quarante deux mais on en a cure. Et nous voilà à tous (ou presque) hurler les bras en l’air « n’importe quoi, ce sera bien… ». Daho danse. Le fort danse et tout le monde est Tombé pour la France.

La communion se poursuit sur un formidable Après le Blitz et un Epaule Tattoo disco-pop particulièrement réussi.  Il n’est pas de hasard, il est des rendez-vous poursuit Daho. Celui-ci fut tout autant réussi que célébré et le rappel compilant un morceau offert par Ultra Orange dans la langue d’Emily Brontë et un Bleu comme toi qui nous verra chanter comme tous à tue-tête « down down down » en dansant avec le sourire jusqu’aux oreilles le confirmera. On l’a dit, on aime d’abord Daho pour des amours partagées et son enthousiasme de fan absolu qui en font toujours un réel passeur, mais c’est ce soir la singularité et la générosité d’un garçon qui si on ne l’écoute pas souvent, font que l’artiste reste une figure particulièrement attachante de la musique d’ici. Au final, le moment le plus fédérateur de la soirée. Touché, Monsieur Daho.

The Black Angels

Quand on choisit le nom de son groupe en 2004 en hommage à une chanson du Velvet, on a des chances d’être un brin nostalgique de la fin des sixties et la musique composée par le combo texan The Black Angels l’illustre à merveille. Chantres et chamans incontestés du revival psyché, les musiciens d’Austin ont en cinq albums creusé un sillon fait de poussières remuées à coups de guitares fuzz, de rythmiques lourdes, de basse lancinante et de synthés analogiques brumeux.

Déjà venus à la Route du Rock en 2010, les cinq issus de la seule ville progressiste du Texas (mais le line-up a un peu changé depuis) prennent place sur la Scène des Remparts, pour l’occasion agrandie. Derrière eux, visuels psychés abstraits aux couleurs hallucinées projetés sur écran invitent à la transe mystique (ou à l’éblouissement sauf pour l’équipe i-wear-my -sunglasses-at-night-solidaire). Stephanie Bailey, surélevée, frappe sa batterie de rythmiques primales tandis que la magnifique voix d’Alex Maas nous transporte dans les brumes déchirantes de ces chansons de mort (Death Song est  leur dernier forfait discographique).

Tout est noyé dans les effets, des longues envolées planantes et hallucinées aux riffs de blues qui ont taillé la bavette avec le diable dans le fameux carrefour. Les morceaux tout en échos malsains et en brouillards gothiques des co-fondateurs du Levitation Festival (ex Austin Psych Fest qui s’exporte dans plusieurs pays du monde – par ici aussi) invitent à la totale immersion. Pour autant, si la prestation est bonne, on se souvient de concerts passés encore plus tendus et ténébreux (notamment aux Transmusicales). Moins de ténèbres ce soir, et peut-être moins de variété dans le set font qu’on peine à se laisser totalement immerger dans les brouillards électriques des Anges Noirs. Bons, donc. Mais pas aussi saignants et saisissants qu’on a pu les connaître.

The Brian Jonestown Massacre


Avec The Brian Jonestown Massacre, ce ne sont pas moins de 8 musiciens qui débarquent sur la scène du Fort, avec à leur tête l’inoxydable Anton Newcombe : le prolifique californien (une vingtaine d’albums au compteur) faisait étrangement son tout premier concert malouin. Avec une telle discographie, le groupe se permet le luxe de ne jouer que deux nouveaux titres (Hold That Thought, Who Dreams of Cats) de Something Else, leur tout dernier album. Le set commence en douceur par la balade We Never Had A Chance, avant d’enchainer avec l’enlevé Vad Hände Med Dem à la sauce shoegaze. Mais le garage psyché du combo finit par nous plonger dans une progressive létargie : la faute à la fatigue qui commence à s’accumuler dans nos lombaires ou la lassitude de nos oreilles devant la troisième prestation du genre dans une même soirée ? Le chant féminin (en français dans le texte) sur Forgotten Graves, le chant choral sur Pish, plus rien ne suffira pas à dissiper cette torpeur qui nous gagne progressivement devant ce rock brumeux et lancinant.

Quand notre regard commence à s’évader sur le percussionniste qui a le mérite d’être le plus remuant sur scène (la variété de ses déhanchés est inversement proportionnelle à la variété de son jeu de tambourin / maracas, le pauvre n’y étant pour pas grand-chose), on devine que rien ne nous raccrochera au concert. Il y a pourtant l’entêtant That Girl Suicide mais ce dernier est joué un peu plus lentement qu’à l’accoutumée. En clôture du set, sur l’épique A word, le grand renfort de guitares (pas moins de 6 six-cordes avec l’arrivée de deux nouveaux musiciens) n’empêche pas notre regard de s’arrêter inévitablement sur notre percussionniste préféré, s’échinant sur ses malheureux claves, noyés dans un déluge sonore. On ne peut pas dire que l’on a passé un mauvais moment, mais on reconnaît être restés à quai.

La (courte) attente pour découvrir  Föllakzoid aura raison de nous, et nous préférons conserver quelques forces pour un samedi qui s’annonce bigarré à souhait. On aurait pourtant été ravi de découvrir en live le psyché chamanique à grandes louchées de kraut du trio Chilien tant les guitares tout en delays, les rythmiques denses et massives, la basse serpentine au groove vénéneux, et les synthés (parfois réceptacles d’une voix brumeuse) nous avait convaincus sur disque. On se promet de se rattraper la prochaine fois.

Route du Rock 2018 : Vendredi 17 août


La Route du Rock a eu lieu du 16 au 19 août 2018.

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