C’était la rentrée pour le Jardin Moderne et pour les infatigables complices de l’Alambik et Carnival Of Sound. Les deux assos invitaient samedi 11 septembre un trio de groupes à haute explosivité scénique. Comme on le supposait t’alliance des forces des rennais d’Ex Fulgur, des tourangeaux d’I N S T I T U T R I CE et des barcelonais de Dame Area a bien transformé la petite scène intérieure du Jardin en une épatante jungle rythmique dans laquelle il a méchamment fait bon se perdre. Retour sur une expédition aussi sauvage que réussie.
Quel bonheur de retrouver les concerts en cette rentrée. On dirait presque un mois de septembre habituel, si ce n’est ce fichu pass, un virus toujours aussi tenace mais aussi un petit air d’euphorie supplémentaire qui semble gagner les acteurs et les actrices des scènes rennaises qu’on aime. La saison musicale de rentrée 2021 s’annonce en effet assez dingue et la première étape nous menait samedi 11 septembre au Jardin Moderne. Les beaux furieux de l’Alambik et Carnival Of Sound y conviaient un trio de groupes à haute explosivité scénique : Ex Fulgur, I N S T I T U T R I CE et Dame Area.
Dans Ex Fulgur qui ouvrait la soirée, on retrouve des têtes bien connues des amateurs rennais de musiques frondeuses. y officient en effet Odilon Violet au chant, Saitam aux machines et la Mistress Bomb H à la guitare. Leur premier disque Noires sont les galaxies (2017), tout comme leur second opus Post Humanité (2020) font partie de nos fiertés locales. Nous étions donc particulièrement ravis de les retrouver (enfin) sur scène. Le trio met évidemment l’accent sur les titres de leur second disque et c’est avec beaucoup de plaisir que nous retrouvons l’irrésistible striptease dansant d’Odalisque, le stupre haut en sucre de De La Confiture De Barbe ou le safari massacre bien chaotique d’Idées-Confort dans toute leur splendeur live. Malgré un son qu’on aurait aimé un peu plus ample, le groupe restitue parfaitement toutes les savoureuses finesses du disque tout en y insufflant le supplément d’énergie qui fait tout le sel de la musique en direct. Le set se conclut sur une massive et puissante interprétation de leur Nous sommes des dieux qui nous laisse un petit goût de reviens-y assez frustrant. Cette ouverture impeccable nous file d’emblée le sourire et la patate et nous met dans les meilleures conditions pour les deux tornades qui vont suivre.
C’est ensuite au tour du duo I N S T I T U T R I C E d’installer sur scène un invraisemblable bric-à-brac : casseroles, poêles, en cuivre et un alu, bol tibétain, petit gong et même quelques bouts d’une batterie désossée…. Derrière cet attirail et cet intrigant patronyme se cachent deux figures plutôt connues des amateurs et amatrices de la scène math-rock-expé française : une de nos plus belles bêtes de batterie locale : Jean-Baptiste Geoffroy (Pneu, La Colonie De Vacances...) et un des artificiers sonores des excellents Electric Electric : Eric Bentz. Les deux tourangeaux viennent jouer sur scène les morceaux de leur fascinant premier album : Cohortes chez UnJeNeSaisQuoi Records (2021). Sur disque, les jeux percussifs du duo aux allures de gamelan de fortune, mêlés aux samples très atmosphérique bâtissent un univers très cinématographique. Sur scène, l’expérience se révèle radicalement différente. L’atmosphère singulière liés aux originales sonorités explorées par les deux lascars est bien évidemment présente mais la sensorialité du son prend une ampleur telle que le concert devient vite une aventure très plaisamment incarnée. Par ces circonvolutions et son caractère imprévisiblement explosif, la proposition du duo est aussi hypnotisante qu’euphorisante. Ajoutez à ça le plaisir de voir les deux gars lâcher toutes les amarres avec autant de férocité que de complicité et vous obtenez un grand moment aussi radical que très directement jouissif. Une grosse claque et, avec des casseroles, ça fait mal.
Nous en sommes encore tout étourdis mais il est temps de découvrir si le plus attendu des trois groupes de la soirée va tenir toutes ses promesses. DAME AREA est un duo barcelonais composé de Silvia Konstance et Viktor L. Crux. Il avait frappé très fort en 2018 avec un premier EP déjà redoutable et récidivé avec leur nouvel album Ondas Tribales sorti en 2021 chez le très select label Berlinois Mannequins records (Résident au Berghain, Arnaud Rebotini, Groupe A…). Les flatteuses rumeurs entourant leurs prestations live nous annonçaient un concert de feu. Nous n’allons pas être déçu. Au diable les préliminaires et l’ascension, les espagnols démarrent plein pot avec une tonitruante et survoltée version de Scopri Le Tue Passioni. Dès ce premier morceau, tout est en place : rythmiques monstrueusement physiques à la fois glacée et bouillonnantes avec un mélange de machines et de percussions (sur fût ou sur plaque de métal sonorisée, percée et bien gondolée !) et flot tendu et continu de paroles scandées sur une variété de tons hallucinantes par une Silvia Konstance complétement déchainée. Le truc vraiment dingue, c’est que ce rythme débridé, nos deux barcelonais vont le maintenir et même le faire monter tout au long d’un concert qui embrase rapidement un public conquis. Avec son allure frêle et son pull à rayures, la jeune Silvia nous fait une impressionnante démonstration de présence scénique. Arpentant telle un zébulon possédé avec une énergie sautillante inoxydable les quatre coins de la salle (y compris dans le public) tout en clamant ses textes avec une puissance déconcertante, la demoiselle nous emporte dans le sillage d’un ouragan dinguerie. Même un peu plus statique, Viktor L. Crux n’est pas en reste et se démène comme un beau diable pour nous décocher des beats savamment abrasifs où l’on sent que chaque vrille sonique est soignée avec un amour maniaque. On sort de ce concert de feu aussi abasourdi que ravi, heureux d’avoir, le temps d’une soirée, fait partie de la tribu de nos deux talentueux barcelonais.
Merci bien au Jardin Moderne, à l’Alambik et à Carnival of Sound d’avoir placé la barre si haute pour cette rentrée musicale rennaise et maintenant vivement la suite.