[Report] – Embellies 2019 : Yes Basketball, Cyril Cyril et Cannibale

Pour sa 21ème édition, le festival des Embellies s’est décalé en mai, a gagné quasi 15 degrés et s’est recentré sur son (chaleureux) lieu principal, le théâtre du Vieux Saint Étienne, avec trois soirées de concerts parfaitement équitables en belles promesses, concoctées par la belle bande de l’association Patchrock. Ce jeudi 2 mai, soir d’ouverture du festival, on frémit tout bonnement d’impatience à l’idée d’y découvrir les tribales chaloupes de Cyril Cyril, la version dopée de Yes Basketball et les sûrement saignants Cannibale. Compte-rendu.

Cyril Cyril

Boulot oblige, on se mord les joues de manquer Léo Prud’homme, dont on a déjà croisé les doigts de fée et la moustache mythique dans de nombreuses formations (Leo88Man, The Enchanted Wood, Fat Supper, Sixteen ou encore The Patriotic Sunday) et qui venait ce soir jouer ses compositions seul sur son clavier à lamelles métalliques. On tâche donc d’arriver à l’heure pour au moins entendre le début du set du duo helvète Cyril Cyril, qu’on avait lâchement loupé aux Trans.

Les deux joyeux drilles ne sont pas allés chercher bien loin leur nom, puisqu’ils ont accolé leurs deux prénoms, qui se trouvent être le même. Cyril Yeterian (Mama Roisin), à droite de la scène donc, chevelure fournie et banjo trafiqué à la main, en miroir de Cyril Bondi, à gauche, chevelure tout autant abondante et batterie tout aussi trafiquée (une grosse caisse tient en équilibre perpendiculaire sur une autre, un tom mince et sec complète le set…). Au carré, donc, les deux décuplent leurs idées et leur puissance de frappe et autant dire qu’ils ne manquent pas d’énergie. La doublette entame son set avec deux morceaux en libanais, dialecte de l’arabe (comme l’explique ensuite Cyril Yeterian) qu’on a pu découvrir sur leur premier album Certaine ruines, sorti en septembre 2018 sur le label parisien Born bad. Arpèges au banjo diablement efficaces, dont la répétition mélancolique se trouve encore renforcée par la scansion de sorte de cloches en bois, secouées sur la grosse caisse et la profonde basse percutée de manière lancinante, font notamment d’El Bahr un morceau captivant de blues oriental, où bayous et aridité se côtoient dans une errance revendiquée et dépaysante.

En français, ça passe étonnamment tout aussi bien. Les compositions du duo n’y perdent en rien de leur efficacité, les textes (comme Sous les mers, c’est calme) étant scandés avec la même élasticité et de tout aussi irrésistibles rebondissements. Cette musique diaboliquement évocatrice et irrésistiblement chaloupée échappe à un exotisme inoffensif grâce à ses textes bien ancrés dans les réalités de notre époque. Ça balance constamment, les rythmiques, toujours tricotées à l’est, sont d’une irrévocable persuasion et les sautillements de l’un et l’autre Cyril gagnent le public. Alors certes les deux derniers titres s’étirent un poil trop aux goût de certain.e.s (pas nous) et on regrettera que sur La ville, les deux lurons aient un peu perdu de leur souplesse musicale pour un morceau qui s’alourdit d’un didactisme un peu pesant, mais d’un bout à l’autre du set, on ne boude pas notre plaisir. Des cris hululés aux sifflements d’oiseaux les doigts dans la bouche sur Le colosse de Rhodes, au français décomplexé de Samarcande, bientôt bouclé, doublé de nouvelles mélodies vocales à l’aide de ses pédales, du blues berbère Sayyara aux irrésistibles cadences de Le Vide, que les doigts de Cyril Yeterian dansent sur les cordes du banjo ou d’une guitare électrique, les Genevois ont su tout autant nous toucher qu’éveiller nos appétits musicaux et on est emballé par cette bien belle entrée en matière.

Yes Basketball

Après cette chouette ouverture de festival, on est encore plus impatient de retrouver Yes Basketball sur les planches du Vieux St Étienne, tant on est curieux d’assister à la première de leur prestation à l’issue de leur résidence de création avec l’équipe Patchrock (la fine équipe responsable du festival Les Embellies). Et autant dire que depuis leur précédente sortie pour les 20 ans du Jardin Moderne, la belle bande menée par Pierre Marolleau a sacrément bûché. Ce soir, c’est concours de dunks au sommet, avec un groupe, déjà prometteur, qui va se révéler encore davantage.

D’abord parce que la bande des quatre va tenir le rythme et le haut du panier sur la longueur, avec un set intense, aussi varié que passionnant, qui alterne explosions, déferlantes, accalmies. Et tiens, pourquoi pas dans un même morceau. De montagnes russes en virages à épingles à cheveux, on suit la cavalcade effrénée avec un plaisir infini. D’autant que pour ajouter encore à notre étourdissement sonique, les quatre drilles switchent d’instruments (avec une facilité indécente) : Christophe Le Flohic (Totorro) bascule de la six cordes à la basse (et autant dire qu’il n’y est pas manchot, le bougre, nous cueillant à froid avec une ligne de basse pas piquée des vers) et cogne les fûts avec la même nonchalante réussite, Stéphane Fromentin (Trunks) se balade des cordes de sa guitare aux touches de ses claviers sans se défausser d’hurlements vocaux dans le micro. Quant à Benoît Guchet (Bantam Lyons), autant le dire, il assure partout avec le même bonheur : clavier, guitare, basse et même redoutables cowbells, sous oublier les deuxièmes voix au cas où il aurait le temps de s’ennuyer. Bref, Pierre Marolleau et sa dream team olympique remontent le terrain à toute berzingue et plantent des trois points avec une ineffable classe.

Car la redoutable bande a une tripotée de compos malignes, puissantes et passionnantes à son actif. On s’éclate dès l’inaugural Slow Cat avec son intro kraut-(pour la répétition)math (pour Electric Electric) où batterie martelée et cloches démentes et subtiles se répondent obstinément, et dont les virages inattendus (ici deux voix qui finissent quasi a capella, là une explosion vocale au flow scandé et rageur, ailleurs une ligne quasi pop), l’instrumentation foisonnante ou l’engagement à 150% de la team Marolleau nous assoient littéralement.

Qu’il s’agisse des sonorités synthétiques venues directement d’outer space ou d’un flow hip hop au groove savoureusement lunaire (Maximum Fun), de la puissance rock atomique (Cast One) que la bande déploie à maintes reprises, des idées en veux-tu en voilà qui toujours relancent les morceaux sur de nouvelles pistes : on en prend plein les oreilles. Sans oublier ce moment suspendu et culotté particulièrement enthousiasmant où Pierre Marolleau, resté seul derrière les fûts s’improvise Last Poets arythmique ou Robert Wyatt à la voix grave sur un titre époustouflant. Les baguettes volent d’un tom à l’autre, et nos oreilles en redemandent. Dans ce joyeux foutoir parfaitement organisé, des revues de basket des nineties brandies par une perruque énorme au pied de la scène et une improbable repasseuse qui fait glisser son fer sur sa table ajoutent encore à la stupéfaction.

Sans compter l’illuminée team des Grand Géant, la tête surmontée d’une lampe frontale qui assure la scénographie en direct. Sur une immense structure géométrique en fond de scène, munis d’échelles et de rouleaux de papiers immenses, les joyeux zigues tendent des bandes éphémères entre chacun des montants, se jouant de l’apesanteur sous les vieilles pierres et la charpente boisée de l’antique nef. C’est à la fois fascinant d’assister à la performance en direct, de voir la structure se transformer progressivement tout au long du set des Yes Basketball, un poil flippant aussi (elles sont sacrément hautes, ces échelles) et tout aussi drôle lorsque prises par le rythme des compos, les lampes frontales martèlent l’air de leurs mouvements dansants. En bref, un concert jubilatoire qui nous donne envie de très vite retrouver le quatre majeur. Un grand bravo à eux.

Cannibale

Le Vieux St Étienne prend alors les couleurs d’une jungle luxuriante avec l’arrivée de l’étonnant combo Cannibale, que beaucoup ont découvert au festival Bonus en 2017 et à la dernière Route du Rock hiver, les Normands y ayant semble-t-il laissé nombre courbatures aux bassins des festivalier.e.s. Responsable de deux forfaits discographiques long format No mercy for Love (2017), Not Easy To Cook (novembre 2018) une nouvelle fois chez Born Bad, le quintet propose un surprenant mélange entre cumbia, rythmes africains, caribéens et rock garage. Cette formule pour le moins détonante s’y teinte aussi par moments de pop aussi cinématographique que psychédélique.

C’est donc avec des grenouilles estivales, une basse (Antoine Simoni), une guitare (Manuel Laisné), une batterie au lapin moche (Cyril Maudelonde), des claviers à visage (Gaspard Macé) et des bongos (Nicolas Camus également au chant lead) que les cinq entrent en scène et ouvrent le set (Frogs). Basse élastique, rythmiques tribales et synthés dignes de l’eurodance circa 90, striée de riffs orientaux et exotiques à la six cordes, la musique des Normands fleure étonnamment les basses tropiques du pays Cauchois et joue sacrément sur le deuxième degré. Nicolas Camus, au centre de la scène, la voix grave et enveloppante, danse du bras évoquant le serpent de Do not Love me so much, frappe sur ses bongos avec une sympathique morgue tandis que ses deux guitaristes en blousons de cuirs ponctuent son chant grave de scansions en voix de tête suraiguës.

Les cots cots funky sur la six cordes de Ghost suivent la partie crooner assurée avec la même désopilante ironie que plus tard l’improbable chorégraphie aux entrechats plombés (Machine gets old) de Nicolas Camus ou les chœurs sirupeux d’Hidden Wealth : les facéties du quintet lui assurent sans peine l’enthousiasme toujours grandissant de la foule qui se trémousse à qui mieux mieux. Làs, si une partie de l’équipe est séduite et chaloupe avec la foule, on a du mal à être tou.te.s aussi convaincu.e.s. Avec une certaine circonspection, au bout de deux titres, et bien qu’on soit plus indulgent quand la bande se fait tropicale, on a l’impression d’avoir fait le tour de ce que les sympathiques Normands ont à offrir. On aurait aimé ces Cannibales plus saignants. Pour autant, on est ravi de voir que nous sommes peu nombreux.ses dans ce cas et que la sauvagerie chaloupée de la Panthère Rose a pris possession des corps. Entre langueur au second degré et fièvre surjouée, le quintet fait délicieusement monter la température dans le Vieux Saint Étienne et se révèle comblé par l’enthousiasme qu’il suscite. On est ravi pour eux et pour la foule. Mais au rappel, on bat retraite, et on laisse là la Vieux St Étienne en sueur.

 
Compte-rendu écrit à 3 têtes par Yann, Mr B. et Isa et photographié par l’œil aiguisé de Mr B.

Les Embellies 2019 : Jeudi 2 mai


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