La guerre d’Algérie. Premier contact ou presque en classe de Terminale. Un programme d’Histoire en touches homéopathiques et assurément subjectives… Grâce à Frédéric Paulin et sa « Grande Peur du Petit Blanc », on met des mots et des maux objectifs sur ce pays et cette histoire pas si lointaine. Barbouzes, bicots, gégène, OAS, FLN, fellaghas prennent vie et image sous sa plume… non sans malmener nos tripes de lecteurs. Compte-rendu de lecture.
Et comme tous les chemins mènent à Rennes, c’est dans la capitale bretonne que tout se joue, ou presque, et que tout démarre. On retrouve, pour qui a lu Rappelez-vous ce qui est arrivé aux dinosaures (Pascal Galodé éditeurs, 2011) et/ou Pour une dent, toute la gueule (Pascal Galodé éditeurs, 2012) quelques personnages avec qui nous avions partagé quelques moments et quelques pages : Louis Gascogne notamment, père de Paul Gascogne, un des héros de la grippe dinosauresque.
Comme dans ses précédents romans, Fred Paulin aime à croiser les lieux, les époques, les personnages et les références historiques et politiques.
Chacun de ses romans permet de tisser la toile d’un univers, celui d’un écrivain qui n’a pas son pareil pour nous entraîner avec lui dans des histoires attachantes.
Rennes, là où tout commence et tout finit…
Tout commence donc à Rennes en 1971 et par les souvenirs de Louis Gascogne, ancien sous-lieutenant de l’armée française en Algérie, devenu détective privé dans la capitale bretonne. Il se souvient de cette guerre, cette sale guerre et on le suit dans les méandres de ses flash-backs, dans son histoire à l’ombre de celle avec un grand H.
Lieu par lieu, date par date, Fred Paulin nous entraîne dans le sillage de quatre hommes, deux Algériens et deux Français, et de leurs destins tragiques : Rennes 1971, Alger 1962, Philippeville 1961, Banlieue parisienne 1971, Souk Akras 1958, Paris 1964, Alger 1957… Un tournis de lieux, de dates et de personnages qu’on reconstitue au fil des chapitres.
Les personnages :
Louis Gascogne
Arrive à Alger en août 1957 comme sous-lieutenant de l’Armée française.
Quitte l’Algérie en 1962.
1970 : s’installe à Rennes comme détective privé, rencontre Sylvie.
Alain Chamouze
Sergent de l’Armée française.
Né en Algérie. A fait l’Indo. «Le sergent Chamouze, lui, en avait connu du merdier, comme il répétait aux bleus […]. Ses premières cartouches, il les avait brûlées à l’été 44 […]. Après la fin des combats en Allemagne, il avait traversé la moitié de l’hémisphère pour aller se battre dans les rizières tonkinoises. Depuis, c’était comme si la seule chose qu’il savait faire était de donner la mort ». (pp. 72-73)
Retourne à la vie civile à Paris après la guerre en 1962.
En 1971, pèse 110 kilos, fume comme un pompier et erre entre Pigalle et la menthe pastille. Rongé par ce «cancer» de la trahison…
Victor Saint-Clair
Appelé et Seconde Classe quand il arrive en Algérie en 1957.
Dans la même compagnie que Chamouze et Gascogne, qui le prennent sous leurs ailes.
Devient instituteur en banlieue parisienne en quittant l’Algérie.
Beaumont
Capitaine de Gascogne et Chamouze, 3è Compagnie du 9è RCP
Tué lors de la bataille sanglante du Djebel Mouadjène, frontière algéro-tunisienne, en avril 1958.
Achraf Laïfaoui
A fui Philipeville en 1955 après avoir assassiné un pied-noir. S’engage au FLN et devient officier de l’ALN.
Tue le capitaine Beaumont lors de la bataille du Djebel Mouadjène. Se fait blesser lors de cette même bataille et emprisonné par la Cie de Chamouze et Gascogne.
Subit la torture à la française : «Une douleur inhumaine lui traversa le corps, empruntant le même chemin nerveux que l’électricité de la gégène» (p. 221). Laissé pour mort par Kader Mekchiche et Gascogne près d’un barrage, les deux officiers de l’Armée française ayant refusé de l’abattre comme préconisé par les ordres de leurs supérieurs.
Fuit l’Algérie : «Le coeur de Laïfaoui était brisé. Il en vint à maudire le pays pour lequel il s’était battu pendant ces années». Il rejoint Rennes où il devient ouvrier chez Citroën. Sa famille l’y rejoint en 1971 et s’installe au Blosne.
Famille : M’Barka (femme), Tarek (fils né en 1962, à la veille de l’Indépendance de l’Algérie)
Kader Mekchiche
Harki et Algérien patriote qui soutient la France. Rejeté par une partie de la population algérienne, partisane du FLN. Un graff « Mort au traître » orne le bas de son immeuble.
Sauvé d’une altercation par Chamouze, qui l’enrôlera comme Lieutenant dans l’Armée française.
Sur les conseils de Chamouze, quitte l’Algérie pour la France avec sa famille en 1961. Une courte escale à Redon et retour à Alger où il sera arrêté par le FLN puis tué.
Famille : Latifa (mère), Fouzia (femme), Rochdi (fils, qui quittera l’Algérie en 1969 pour rejoindre la France et la Bande des Arabes à Paris), Souhila (fille)
Des destins enchevêtrés dans l’Histoire
Inévitablement, les destins des quatre personnages principaux (Chamouze, Gascogne, Laïfaoui et Mekchiche) vont s’entrecroiser, se mêler, se violenter au gré de leurs familles et de leurs descendants. La guerre et ses pires horreurs en toile de fond.
Au gré des chapitres, l’histoire et les souvenirs se reconstituent, parfois dans l’ordre parfois dans le désordre. Au fil des pages, la tension est palpable : entre remords, fantômes du passé qui resurgissent, vengeance froide et implacable…
Et cette trame narrative éclatée se dénoue quand Gascogne, sur le point devenir père, accepte un poste à l’Usine Citroën de La Janais à Rennes. Le puzzle se reconstitue donc pleinement à la page 323 d’un polar noir qui en compte 359. Jusqu’au bout, le destin de ces hommes nous tient en haleine…
La Guerre sous son vrai visage
Fred Paulin nous donne à lire une version très peu édulcorée de la Guerre d’Algérie, comme on aimerait en lire plus souvent. Au-delà de l’évocation de la torture et des méfaits de l’Armée française, c’est toute l’histoire d’un pays en guerre civile et d’une population partagée entre des patriotismes algériens et français qui se révèle. Laïfaoui et Mekchiche en sont ici les plus dignes représentants. L’un, fuyant son propre pays malgré son implication dans la lutte pour son Indépendance ; l’autre, dénoncé par un Français qui l’avait pourtant aidé et tué par le harki qu’il avait sauvé d’une mort certaine. La guerre ne fait pas de quartier et pas de sentiment…
Et puis, il y a les enfants, ceux qui restent les victimes éternelles des conflits. Comme Rochdi, fils de Laïfaoui, qui n’aura de cesse de traquer ceux qui ont assassiné son père, «des salauds comme tous les Français». Que les méandres de l’Histoire troubleront, au point de ne pas se rendre compte qu’il s’est trompé de cible…
Un roman dont la lecture donne parfois la nausée. Non pas à cause de ces fragments éparpillés d’histoire que notre cerveau tente désespérément de remettre en ordre au fil des pages, mais bien plutôt par l’Histoire, notre propre histoire, celle de notre Armée. La scène de torture de Laïfaoui est tout bonnement insoutenable mais on se doute bien qu’elle n’est que la partie immergée de l’iceberg de la cruauté qui a sévit sous les latitudes de cette guerre…
Un roman sombre donc, exigeant, où la plume littéraire de Fred Paulin excelle à servir une recherche documentaire historique précise, subtile et sûrement conséquente. Et on se dit soudain combien la lecture de ce roman, en classe de Terminale, nous aurait un tant soit peu mieux éclairé(s) sur le chapitre Guerre d’Algérie… Il n’est jamais trop tard pour s’informer.
———————————————–
Frédéric Paulin : La Grande peur du petit blanc, Goater éditons, 359 pages
Parution : octobre 2013
ISBN : 978-2-918647-20-1
prix public 20 €
Je pense qu’une guerre comme celle là ne peut s’écrire ou se décrire ni en poésie ni en roman…Et puis en parler 60 ans après juste pour en parler n’a plus de sens ;tout aurait dû être écrit et décrit objectivement jusqu’en 1970 au plus tard ; après…..
Ceux qui l’ont subie surtout du côté des plus faibles et des plus démunis ,c’est à dire le peuple ,ce peuple d’indigènes à 90% considérés comme moins que rien en savent quelque chose sauf qu’ils n’arrivent pas à l’écrire ,eux dont la plupart sont morts ou plus simplement ne savent pas écrire comme ceux dont la plume est le métier….
@staihet : je ne suis pas d’accord avec vous. Je pense au contraire qu’il faut écrire et sous n’importe quelle forme pour témoigner, sur cette guerre et sur tout autre(s) pan(s) de l’Histoire. Et si ceux qui l’ont subie ne le peuvent pas, que d’autres le fassent ! surtout quand c’est fait avec sérieux, recherches documentaires et plume agréable à lire…
C’est une évocation; et une évocation fabuleuse.
Mon père a fait la guerre d’Algérie, et ce qu’il en a tiré (ou ce qu’il avait préféré uniquement nous dire), c’est rien, absolument rien. Deux ans, et …Rien. Ou alors qu’il avait des copains (classique de l’Armée), que Mamadou et ses potes sénégalais faisaient la fête la nuit, que les fellagas j’en ai pas vu, que j’étais infirmier et que l’Algérie c’est super joli. Deux ans, et voilà le récit qui reste, des trous, qui vide, de l’oubli, la volonté de taire ? De tronquer la réalité ? De volontairement occulter cette « guerre » ? Ou alors véritablement, j’étais là, mais j’ai rien vu nulle part, hormis les jolis paysages du Constantinois ?
Qui a raison ? personne et tout le monde à la fois, mais ce que le livre montre, c’est le déchirement quelque soit le côté, quelque soit l’amitié qu’on porte à tel ou tel belligérant et le sort de l’histoire, et l’amertume terrible que certains ont pu en garder et qui en découle comme une blessure jamais cautérisés, rivière de sang mais qui n’a jamais séchée, peut-être parce qu’elle n’a jamais été évoqué que partiellement, encore ouverte car jusque là peu de gens prirent le soin d’y plaquer des mots. Bien plus qu’oeuvre d’histoire, c’est oeuvre d’écrivain, ET D’historien. Écrivain pour en restituer les odeurs, le contexte, pour faire revivre l’âme des lieux, et des personnages, et historien pour en ciseler l’implacable justesse. En ce sens, et de tous les sens que je lui ai trouvé quand je l’ai lu, c’est un livre magnifique parce qu’on pourrait même en dérouler le fil (du sens) jusqu’à aujourd’hui. Il fait le boulot que personne n’a fait jusque-là, mine de rien, tout en racontant simplement des histoires. Jamais je n’ai vu l’Algérie ainsi, d’ailleurs jamais il ne m’a semblé la voir tout court. Là, je la vivais. Jusque ces générations suivantes, déchirées, immigrées, embarquées dans ce gigantesque navire de silence, ou rien n’aurais dû être dit sous prétexte du risque de réveiller les fantômes, sous prétexte « qu’on ne va pas ENCORE tomber dans la repentance « , alors qu’on en a même jamais « Parlé », ou si peu,de cette guerre, préférant tout verrouiller, jusqu’à la conscience de ces même générations suivantes.
C’est un grand livre, en plus de très belles histoires. Point
@staihet désolé d’être aussi direct mais c’est bien cette phrase qui n’a aucun sens. « …Et puis en parler 60 ans après juste pour en parler n’a plus de sens »
au contraire le fait d’en parler toujours et encore et peu importe le support fait le « sens ».
Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre.
Neuf millions de mort pour l’Algérie de 1832 à 1962.Sous le colonialisme, l’Algérie était entretenue comme une perle. Sous le colonialisme elle valait plus que tout ce qu’il y a au monde:La vie de neuf millions de bons algériens. Si on regarde cette Algérie aujourd’hui; manque d’eau, manque d’embauche, manque de richesse, au point que nos jeunes osent poser la question si les combattants de libération n’ont pas commis d’erreurs en se sacrifiant pour ce peu que donne cette terre très riche par son pétrole et ses hommes et femmes.
L’histoire d’Algérie, pour moi, à tout moment doit nous rappeler qu’elle ne nous appartient que parce que nos braves ancêtres se sont sacrifiés. Cette histoire, si fabuleuse, doit être racontée, écrite et gravée par nos poètes et nos artistes afin d’en faire notre leçon voire notre prière.
Évoquer la guerre d’Algérie, l’avant et l’après depuis 1830 à nos jours, même en ce jour le 30 mai 2014.
Je dis oui, il faut en parler l’écrire pour rétablir les vérités. personnellement j’en parle tous les jours depuis toujours, car je vis ce drame au quotient, ma blessure, celle de ces Soldats Harkis je la vois chaque jours devant ma porte.
Tous les jours que dieu a fait, au travers du regard de cette veuve de soldat Harkis <> dans le regard de son fils qui ne cesse d’aller devant l’entrée du Camp << jusqu'en 1975 un portail ce trouvait à cet endroit pour contrôler les entrées et les sorties , et ce lieu s'appelle encore le portail, même virtuel il semble encore là à contrôler la vie des plus faibles et cet ensemble" ce lieu dit s'appelle encore le CAMP" malgré que les autorités lui ont changer de nom.
En tant que membre d'une association de Soldats Harkis je dis haut et fort que les politiques nous ont mentis sur les deux rives de la méditerranée, en France on n'a pas encore reconnu les responsabilités, la honte de l'abandon de ses soldats, en Algérie car il y a eu les faux libérateurs de l’Algérie ceux qui ont apparus le 20 mars, ces sois disant héros de la guerre d’indépendance. les bonnes questions même les Algériens ne se les poses pas, exemple <> pour moi c’est la question clef pour renouer un vrais dialogue, de-lier les langues, et arriver à la vérité.
site web cnlh.fr
la question clef, ou plutôt quelques questions clefs :
* Y a t’ il eu des accords secrets à Evian ?
* Attitude et comportement de l’armée française en Algérie s’il n y avait pas de Harkis?
* Quelles sont les avancées des historiens dans le travail de mémoires et à quand l’ouverture des archives?
* historiens Algériens et Français coopères t ils ensemble dans ce travail?
* Les travaux des historiens, quelles périodes concernées <> ou toutes ces périodes?
* L’utilité de l’enseignement de l’histoire de France si une période tragique de son histoire n’est pas inscrite dans les manuels d’histoire.
* Compositions et rôles des troupes françaises libres dans la libération de la France.
Dou sortez-vous le chiffre de 9 millions?