Pastoral Division en interview

Pastoral DivisionDes fois, il faut écouter les copains. Sans eux, on serait passé à côté du premier album de Pastoral Division sorti en septembre dernier sur les Disques Anonymes. « Humpf, du français… Humpf de l’éléctro-pop… » Et on en serait resté là. En passant outre nos raccourcis hâtifs, on s’est au contraire laissé surprendre par un album particulièrement soigné et inspiré. En 11 titres élégants arrangés avec une insolente classe, le duo nous balade ainsi de la pop à l’électro, de la folk au lo-fi, du français à l’anglais, de la chanson à l’électro pop et cela, sans rien sacrifier à la cohérence de l’ensemble. Un album étonnamment homogène, dont on découvre progressivement toutes les nuances et la finesse des arrangements au fil du temps (qu’on ne résiste désormais plus à lui accorder). Ça tombe bien, Pastoral Division était en concert au Oan’s Pub le 20 octobre dernier : l’occasion pour nous d’en savoir davantage sur deux perfectionnistes de la pop.

Alter1fo : On commence par cette sacrée question piège… Si vous deviez vous présenter en quelques mots ou quelques lignes, que diriez-vous ?

Sébastien Bozec et François Joncour de Pastoral Division : Pastoral Division est le fruit d’une collaboration de longue date entre François et moi. Notre passion commune pour la pop, la chanson, l’électronica et le lo-fi a forgé le caractère de notre musique qui se situe à la frontière de différents styles. On a un goût prononcé pour les ambiances, les cassures et les mélodies. L’un habite Brest, l’autre à Caen. C’est ce qui rend aussi notre musique particulière : les longues heures passées sur la route, les atmosphères propres à nos villes respectives.

Pastoral Division existe depuis quelques temps déjà, même si le premier album vient de sortir (le 22 septembre) sur Les Disques Anonymes. On revient donc à vos débuts. Vous aviez un projet plus folk avant, si je ne me trompe pas, Father and Pimp. Comment en êtes-vous arrivés à ce projet ? Quelle est la genèse de Pastoral Division ?

Father & Pimp était notre premier groupe sérieux. Rapidement, nous avons voulu ajouter une touche électronique à notre musique. Un jour, on s’est mis à improviser sur des morceaux jusque tard dans la nuit… Puis, après 6 titres enregistrés avec des copains ingé-son, nous avons commencé à nous faire la main sur scène. Nous est ensuite venue l’idée de faire un long format, dans la tradition des albums qu’on aime : production marquée, des passerelles entre les morceaux, un vrai début et une vraie fin… En bref, on voulait un album qui se lit de A à Z et qui se découvre au fil des écoutes.

On s’est complètement fait avoir par votre disque (dans lequel on découvre de nouvelles choses à chaque écoute). On n’arrive pas à savoir si c’est parce qu’on partage un même amour pour une certaine idée d’une pop à la française (oui Lithium, notamment les essentiels Mendelson pour les paroles qui transpercent et l’intelligence des arrangements), la délicatesse d’un Eliott Smith (Little House avec sa voix doublée – ?-) ou les ambiances mélancoliques d’une certaine électro-pop (Mirages) … Plus loin on entend même des guitares à la François and the Atlas Mountain avant un hommage (?) à Grandaddy (Mimétisme). Les influences semblent nombreuses. Comment qualifieriez-vous votre musique de votre côté ? Quelles sont les influences que vous revendiqueriez ?

Les morceaux ont été élaborés sur une longue période. Certains titres existent depuis 4 ans. Ils ont été tellement transformés qu’ils ne ressemblent plus du tout aux premières versions… Les arrangements sont très réfléchis et poussés à l’extrême, ce qui aboutira pour l’auditeur à plusieurs niveaux de lectures, avec le temps. Au bout du compte, on y glisse beaucoup de détails venus d’influences diverses que nous ne maîtrisons pas nécessairement et qui sont sûrement inconscientes. Mais, oui, on peut dire que des influences comme Mendelson, Elliott Smith ou Grandaddy existent forcément. Nous sommes des enfants des 90’s!

The_Notwist Neon_GoldenTrois disques sans lesquels vous ne pourriez vivre ?

Ça évolue constamment… Mais on va dire, dans le désordre : Pet Sounds des Beach Boys (inépuisable), Neon Golden de Notwist et, en ce moment, The Inheritors de James Holden.

Comment composez-vous ? Vous improvisez ? On a cru comprendre que vous habitiez entre Caen et Brest. Comment faites vous pour composer ensemble ? Chacun fait ses propres morceaux, ou bien l’un d’entre vous arrive avec une partie que vous retravaillez ensemble ? A distance ? On est notamment frappé par le fait que votre musique est très arrangée.

Au départ, nos démos étaient très écrites. Au fur et à mesure, on aime se lâcher et se donner juste un riff, un son. Puis broder autour. Ça laisse plus de liberté créative et ça évite de s’enfermer dans un registre. On s’envoie des pistes par mail, puis chacun réfléchit de son côté. On fait comme ça des allers-retours : on supprime un instrument, on en rajoute un autre, on ajoute une partie, on laisse reposer un mois, on reprend… De plus en plus, on se sert aussi d’une longue répétition pour improviser en live et créer une base de travail solide.

Comment s’est passé l’enregistrement ?

L’enregistrement s’est étalé sur un an, de juillet 2012 à juillet 2013. Nous avons enregistré nous-mêmes tous les morceaux, de la prise de son jusqu’à la mise à plat. Ça s’est fait à la maison mais aussi durant une semaine dans les studios de la Carène, pour toutes les guitares et les percussions.
Enfin, nous avons donné carte blanche à Stéphane Laporte (Domotic) qui a mixé notre disque. Il était temps de lâcher prise… Il a apporté une vraie cohérence sonore au disque. De son côté, il a également passé des heures sur les sons : il a par exemple enregistré des pistes de guitare sur une cassette puis les a réintégrées au mix. Il a aussi utilisé des bandes d’échos analogiques et beaucoup d’autres effets.

Ce premier album est sacrément homogène et cohérent, malgré un usage partagé entre le français et l’anglais, et même entre des instrumentations parfois très différentes (le grand écart dans un même morceau entre les arpèges à la guitare acoustique et les crépitements de la boîte à rythme sur Little House en est un bon exemple) mêlant analogique et électronique. Quelles étaient vos envies avec ce disque ?

Sur les textes, nous avons eu beaucoup de doutes pendant la conception. Les paroles ont souvent bougé. L’idée de mélanger le français et l’anglais est venu lors d’une cover de Bashung (Sommes-Nous) que nous avions réalisé pour une compilation A Découvrir Absolument. Nous adorons une certaine chanson française et surtout le travail de la langue chez des artistes comme Dominique A ou Miossec. Mais tu ne chantes pas en français comme tu le fais en anglais. Les intonations ne sont pas les mêmes, d’une part, mais surtout la mise à nu est plus forte… Et lorsque nous évoquions notre désir d’alterner les deux langues, les gens autour de nous étaient étonnamment réticents. On a voulu se lancer ce défi, quitte à mélanger français et anglais dans une même chanson.

Et pour finir sur l’homogénéité du disque, elle vient sans doute de ces va-et-vient répétés entre ces supposés antagonismes : français / anglais, acoustique / électronique… Dans la construction même de chaque morceau, on nous faisait remarquer récemment que la plupart de nos chansons n’ont pas de refrain (Sur ses lèvres, A la Dérive, Tes Ruines…) ou, alors, qu’elles commencent par une écriture traditionnelle puis subissent une cassure inattendue : Little House est un bon exemple, tout comme Mimétisme.
Le disque s’est bâti sur ces paris : se défaire de quelques automatismes.

Comment avez-vous choisi l’ordre des chansons sur la version finale de l’album ?

Ça fait partie également de l’homogénéité que nous voulions. L’ordre était très important tout comme la durée des silences entre les morceaux.
Par exemple, le morceau qui ouvre l’album, Sur Ses Lèvres, devait à l’origine être intégré en introduction du dernier titre Mimétisme. Finalement, ces deux titres ouvrent et ferment le disque.
Le choix de l’ordre des morceaux s’est également porté sur l’alternance entre français et anglais, sur le rythme des titres, etc.

Pouvez-vous revenir sur le rôle de Domotic et pour quelles raisons vous avez choisi de travailler avec lui ?

Domotic est un ami de François, qui avait déjà réalisé et mixé l’album d’un autre groupe dans lequel il joue, l Come From Pop.
Nous l’avions découvert à travers son groupe Karaocake dont j’étais fan. François connaissait bien son travail, particulièrement dans le traitement des sons, qu’il tord au maximum à l’aide de toutes ses machines.
C’était l’homme idéal pour rendre cohérent l’album. Comme je le disais plus haut, à la fin de l’enregistrement, nous avions travaillé pendant 1 an, en huis clos. Il était vital pour nous de partager tout ce travail avec quelqu’un, le donner à une oreille vierge. Nous voulions aussi pouvoir confronter notre musique à une forte personnalité.

Pastoral Division - Photo  Gilles PensartQue les chansons soient en français ou en anglais, on a l’impression que vous n’avez pas fait le choix d’un mixage de la voix en avant (comme, au hasard dans la « chanson française »), mais plutôt au « même niveau  » que les instruments. Pourquoi ?

Une manière de se cacher, peut-être? Sérieusement, en post-production, on a testé beaucoup de façons de traiter la voix. Et souvent, un son très sec ne correspondait pas à l’atmosphère des morceaux. Le chant n’est pas le motif le plus important de nos compositions. Il vient comme un autre instrument (Sur ses lèvres, Mimétisme).
Ça vient encore de nos influences 90’s et des groupes Shoegaze comme Ride ou Jesus & Mary Chains, qui utilisaient leurs voix comme un instrument en plus, de manière assez lyrique.
Dès le début, nous avons choisi de ne pas restreindre le nombre de pistes de voix dans nos titres, afin de nous permettre quelques envolées légères (chœurs, voix aiguës).
Tout ça exception faite d’autres titres comme Fall From Nowhere ou Au cinéma, sur lesquels la voix est plus présente.

Comment ça se passe pour écrire les textes ?

Les textes sont le plus souvent déclenchés par un mot ou un bout de phrase. On ne se donne pas un sujet avant d’écrire. Néanmoins, un thème peut parfois s’imposer en cours d’écriture. Il arrive aussi que le texte soit simplement une succession d’images, sans véritable fil conducteur.

Comment choisissez-vous si le texte sera en anglais ou en français ? (si on a tout compris, vous avez même abandonné certains morceaux en anglais pour passer au français)

Et nous avons même fini par enregistrer deux versions de Tes Ruines : une française (présente sur l’album) et une version anglaise (What Life Did). Sans trop savoir ce que l’on préférait. Le fait d’avoir sauté le pas, nous a décomplexé sur la langue française. Finalement, le complexe viendrait maintenant plus de notre maîtrise de l’anglais (l’accent ou la grammaire). Mais tous les titres déjà écrits en anglais avant l’enregistrement et qui nous convenaient sont restés tels quels.

Pastoral DivisionOn a été immédiatement frappé par l’artwork de l’album. Il s’agit d’une peinture de Frank-Emmanuel Rannou. Pourquoi et comment l’avez-vous choisie ?

François partage un side-project avec Frank, qui mélange musique et peinture improvisées. En côtoyant ses œuvres, nous avons eu l’idée d’en discuter avec lui pour éventuellement utiliser un de ses portrait. Aussitôt, cette peinture nous a pris à la gorge. Et puis, au fur et à mesure, on s’est rendu compte qu’elle entrait complètement en résonance avec les textes des chansons. Un énorme coup de cœur donc.

Avec un disque aussi riche dans ses arrangements, comment s’articule le passage de l’enregistrement au live ?

La plupart des morceaux ont déjà été joués en live. Notre objectif est de ne pas trahir les morceaux, de conserver leur essence, mais surtout de leur apporter une énergie supplémentaire. Si sur l’album, on peut se permettre de la délicatesse, en live il faut pouvoir conquérir le public qui ne connait pas notre musique.
Nous jouons principalement à deux, François chante et joue les parties de clavier et de synth-bass. Il lance quelques samples rythmiques. De mon côté, je chante également, je joue de la guitare électrique et lance des samples de boites à rythme.
Occasionnellement, nous sommes accompagnés par le batteur Lionel Prigent, qui joue également des percussions sur l’album. Il apporte un supplément d’énergie et joue essentiellement des toms et des cymbales, en complément de la rythmique.

L’album est sorti chez les Disques Anonymes fin septembre. Comment s’est passée votre rencontre avec le label ?

François a rencontré Guillaume à Brest, lors d’une soirée carte blanche du label. Ils ont très vite trouvé des atomes crochus et, quelques semaines après, Guillaume nous a proposé d’intégrer le label. L’an dernier, nous avions ressorti ensemble une version « Deluxe » de notre premier EP, agrémenté de remixes, dont celui du projet solo de Guillaume, Binary Folks. C’est ce qui nous a tout de suite séduit sur ce label : le partage entre les groupes. Nous avons par exemple fait un remix pour un autre groupe du label, Piranha.
Ensuite ils ont accepté de financer la production du disque et nous avons pu garder notre liberté artistique, ce qui est un grand luxe pour nous!

Pour finir, quels sont vos projets à venir ? Y a-t-il des choses que vous voudriez souligner particulièrement ?

Actuellement, nous avons envie de défendre notre album sur scène, autant que faire se peut. En parallèle, nous sommes chacun dans une phase de reconstruction artistique, le disque nous a bouffé pas mal d’énergie. L’idée est de composer des choses différentes, en réaction à ce qui est sur l’album. Nous voudrions appuyer un peu plus sur notre rapport à l’image, au cinéma. Nous allons chercher à trouver plus de spontanéité dans notre travail de préproduction pour ne jamais user une recette toute faite. Il y aura même peut-être des choses plus expérimentales qui émergeront dans les mois qui viennent.

Merci !!

Plus d’1fos :

Site de Pastoral Division : http://pastoraldivision.wix.com/pastoraldivision

Bandcamp de Pastoral Division : http://pastoraldivision.bandcamp.com/

Photo et vidéo de Pastoral Division : Gilles Pensart

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