Le festival des Arts de la Parole (Mythos) dans la salle des Musiques Actuelles (L’Antipode) : ou l’art de réussir à marier beauté des textes et musique rock, grâce à Daniel Darc et Michel Cloup.
De Michel Cloup, nous n’avions entendu que quelques titres, Cette Colère et Le Cercle Parfait : deux titres magnifiques, pleins de promesses avant de découvrir le set du toulousain à l’Antipode. On apprend assez rapidement que Michel Cloup ne sera pas accompagné par son ami batteur Patrice Cartier : ça ne nous effraie pas plus que ça, si l’on se réfère aux magnifiques sessions solo du compositeur enregistrée par le Cargo (ici et ici).
Un laptop, quelques pédales et une guitare électrique attendent Michel : il commence son set, les yeux fermés, en nous expliquant qu’il va nous emmener en voyage. Ce voyage, c’est « une histoire, mon histoire » comme il l’écrit si bien dans l’introduction de son album. Et pour cela, il lui faut partir en voyage lui aussi. Quelques notes de guitares, un mouvement de balancier d’avant en arrière, comme pour rentrer en transe : le voyage peut commencer, et il ne laisse pas indemne…
Il aborde le deuil, la séparation, les relations père-fils, avec des mots poignants qui vous renversent immédiatement. Les mots sont sussurés, déclamés ou chantés, en fonction de l’intensité qu’il souhaite leur donner. Des mots simples, qui sonnent avec une justesse bluffante, et qui imposent un silence respectueux dans le public. A une seule exception (L’Enfant, qu’il dédie à son batteur), pas de boite à rythmes ou son de batterie enregistré : juste les riffs de guitare, sous forme de boucles rythmiques lorsque Michel lance quelques soli qui soulignent la mélodie.
Comme les mots, la musique est épurée, sombre. Il y a bien quelques incursions noisy, certes, mais jamais d’explosion : le tout reste tendu, sur le fil, avec une justesse émotive renversante. Comme il le répète à plusieurs reprises, « ce n’est pas triste » certes : mais les mots poignants, sur ces quelques notes de guitare, nous collent très vite un noeud à l’estomac qui ne nous lâchera plus jusqu’à la fin de ce set déchirant.
Le musicien nous confiera plus tard une certaine appréhension à l’idée de jouer devant une si grande salle, mais il aura réussi dès les premières notes à nous emmener avec lui. Il quitte la scène sous les applaudissements nourris, en laissant derrière lui une longue note déchirée et saturée. On savait déjà qu’on avait à faire à un magnifique album : et le set offert par Michel Cloup aura été largement au-delà de nos attentes. Tout simplement bouleversant…
(Retrouvez prochainement l’interview de Michel Cloup sur notre site.)
Quelques heures avant le début de son concert, nous avons eu le plaisir d’interviewer Daniel Darc (à découvrir sur Alter1fo dans les prochains jours). A la question « si tu devais te présenter en 3 mots, que dirais-tu ? », il nous a répondu « rock, beat, punk ». A l’écoute de ces derniers albums, aux arrangements soignés et à la poésie musicale omniprésente, on ne s’attendait pas à un concert aussi rock. Et on s’était trompé !
On pouvait imaginer un set débutant par le dernier tube C’est moi le Printemps, et on a eu le droit à une ouverture punk-rock avec un Daniel Darc, lunettes noires, ouvrant les hostilités avec Serais-je Perdu, puis le tout récent C’était mieux avant, plus rock qu’à l’accoutumé. La première partie de son set est très énergique, accompagné par un groupe carré avec grosse rythmique, guitariste et claviériste talentueux. Il y a notamment cet enchainement redoutable (L.U.V., J’irai au Paradis, Et Quel Crime ?, Quelqu’un qui n’a pas besoin de moi), tirés de ces trois albums les plus récents, et qui finissent tous dans un déluge sonore de l’ensemble du groupe : Daniel commence L.U.V. dans un cri et le termine face au batteur, harmonica saturé dans le creux des mains ; il finira même à genoux sur le dernier titre, répétant à l’envie « quelqu’un ».
Après cette première partie sans temps mort, Daniel Darc s’entoure du claviériste et du batteur qui s’empare d’un violoncelle pour une séquence plus calme (Elégie #2, Il y a des Moments). Cette formule est certes plus posée mais permet de se prendre de plein fouet les superbes textes de ce parolier d’exception. Mais aussi de mettre en avant la fragilité de cet artiste qui aborde le thème de la vieillesse avec de splendides arrangements (piano / voix + harmonica) sur Inutile et Hors d’Usage.
La deuxième partie du set est d’ailleurs beaucoup plus calme, avec des arrangements plus dépouillés mais tout aussi puissant émotionnellement (magnifique flûte traversière sur Ca ne Sert à Rien). La version groupe revient par moment pour des incursions plus rock, avec notamment des fins de morceaux dans lesquels Daniel rend hommage aux icones du genre : dans une semi-improvisation, il reprend les paroles de People are Strange des Doors sur la musique de Nijinski, mais aussi HeartBreak Hotel dans le punchy My Baby Left Me (déjà truffé de références à Elvis). Daniel Darc marque la fin de son set par le titre qui clôt son dernier album, Sois Sanctifié.
Le public en redemande et le groupe revient pour nous proposer un rappel à l’image du set, entre les deux petits bijoux que sont les valses Jamais, Jamais et La Taille de Mon Ame, et une reprise rock de Cherchez le Garçon qui finit dans une énergie punk jouissive avec cette version revisitée. Daniel Darc et son groupe saluent le public après avoir interprétés la bagatelle de 23 titres pendant près de deux heures ! Il accorde bien sûr une part importante à son dernier album, La Taille de mon Ame, mais aussi aux deux précédents (Crève Coeur, Amours Suprêmes), avec le souci permanent de proposer des arrangements nouveaux. Certains arrangements auraient pu être parfois plus épurés, mais ceci n’altère en rien la qualité d’ensemble du set.
Il nous a proposé un savant mélange des deux versions scéniques (acoustique et groupe rock), avec beaucoup de cohérence et un équilibre parfaitement dosé. Si vous rajoutez un contact chaleureux avec le public (et une réaction très classe face au lourdaud qui pollue de nombreux concerts en criant entre deux titres), cela vous donne un set carré et emballant. Tour à tour rockeur, crooner ou poète, il faut se rendre à l’évidence : Daniel Darc a une classe folle sur scène.
Photos : Solène