La troisième édition du festival Musiq’Alambic avait lieu vendredi 23 mai au Jardin Moderne à Rennes. On y a retrouvé avec un énorme plaisir le savant assemblage de cépages musicaux bigarrés dont l’événement a le secret. Un millésime chargé en saveurs intenses mais aussi et surtout en émotions fortes.
C’est d’un pas particulièrement guilleret que nous nous rendons au Jardin Moderne ce 23 mai. D’abord parce qu’il y a des semaines où l’on est particulièrement heureux d’être vendredi. Ensuite parce que les belles promesses de la programmation dont nous vous avons vanté les charmes toute la semaine, nous ont tout émoustillés. Comme l’an dernier, le billet d’entrée est agrémentée d’un savoureux bonus liquide pioché dans le bar particulièrement fourni des organisateurs. C’est donc d’humeur guillerette et verre d’alcool fort à la main, que nous nous avançons vers le particulièrement attendu premier concert de la soirée.
On l’a déjà dit ici, c’est avec une impatience sacrément fébrile qu’on attendait de découvrir Eshôl Pamtais en formation live. La faute à un premier album qui nous a ébahi l’oreille : une insolente facilité à garder le sens de l’équilibre en faisant le grand écart sans jamais renier les mélodies vénéneuses, un talent tout aussi certain pour se balader dans les structures et les culbuter en quelques mesures sans jamais perdre en fluidité ou une habileté sans pareille pour se jouer des étiquettes et s’amuser des évidences, Je respire très peu, merci (janvier 2013) nous a vite imposé de parcourir ses sillons sans relâche. Restait à savoir si ce grand disque trouverait en live des épaules assez larges pour le porter sans faiblir. C’est donc en sextet qu’on découvre la toute récente formation, puisqu’en plus d’Eshôl Pamtais (il préfère qu’on l’appelle comme ça) à la guitare, à la trompette et à la voix, on retrouve Christophe (Totorro) à la guitare sur la gauche, Matthieu (Mermonte, Korkoj, My Sleeping Doll) derrière la batterie, Ronan (Korkoj, Belajo, My Sleeping Doll) à la basse et Aline aux claviers juste à côté, tandis que Thierry à droite sur le devant de la scène assure à la trompette (mais pas que). Vont suivre quasi quarante minutes de bonheur assez inédit, pleines de trouvailles aussi bien scéniques que musicales (jouer d’une sorte de rappe à fromages avec des dés à coudre sur les doigts par exemple, se lancer dans un chœur a capella dans une langue pour le moins exotique ou encore enregistrer une boucle vocale à l’envers pour la repasser à l’endroit) qui nous font écarquiller les oreilles bien grand. Les arrangements cubistes qui vous conduisent à appréhender continuellement ces morceaux à l’âme pop sous de nouveaux angles ne sont pas pour rien dans la fascination auditive exercée par Eshôl Pamtais. Portés par une paire rythmique impeccable, les entrelacs des deux guitares mêlés aux claviers sont ainsi parfois rehaussés par de magistraux contrepoints à la trompette (plus on avance dans le concert d’ailleurs, plus la trompette se fait expressive et émouvante). Alors certes, il s’agit du premier concert de la formation (sous cette forme) et l’ensemble peut encore gagner en cohésion, en énergie et en « relâchement ». Certes encore, la musique d’Eshôl Pamtais est loin d’être simple et flirte tout autant avec le jazz que la no wave, la musique balinaise ou … Et on reste loin du compte. Mais les prémisses de cette aventure sont plus que bigrement prometteurs. Et l’apparente volonté d’Eshôl Pamtais d’envisager la scène comme une représentation (mise en scène parfois quasi théâtrale) laisse présager de fort belles choses pour la suite. Une sacrée entrée en matière.
On aura à peine eu le temps de reprendre notre souffle que Nicolas Gardrat, alias L’Oeillère, déboule guitare dans une main et chaise dans l’autre, prenant ainsi à contre-pied une bonne partie du public déjà sorti prendre l’air. Il s’installe prestement tout au bord de la scène. Il entame son concert bille en tête par les accents flamencos survitaminés ouvrant son dernier disque. Sa musique à la fois totalement survoltée et pourtant délicate capte instantanément l’attention. La technique du monsieur est très impressionnante. Sa main gauche virevolte le long du manche avec une grâce aérienne et la vivacité de l’éclair. Sa main droite gratte, frappe, cajole, pince, grattouille les cordes avec autant de fébrilité que de précision Pourtant, le plus fort n’est pas là. Parce qu’au delà de ses talents évidents d’instrumentiste, le monsieur dégage surtout quelque chose de plus, une intensité communicative qui fait vite oublier sa virtuosité pour partager avec lui la jubilation à la fois enfantine et rageuse qu’il exprime avec sa six-cordes. En à peine deux morceaux, un silence impressionnant s’est fait dans une salle où pourtant une bonne partie du public est revenue. Gardrat nous offre une demi-heure magique, qu’on passe en suspension à savourer les mille et un chausse trappes d’une musique insaisissable et pourtant instantanément familière.
Qu’est ce c’est bon de se faire ainsi cueillir ainsi au dépourvu !
la soirée commence donc très fort et va se poursuivre dans les hautes sphères. Il est l’heure d’enfin découvrir ce que donne sur scène le très attendu duo Arlt accompagné de Thomas Bonvalet. L’improbable bric-à-brac déployé par ce dernier contraste avec la simplicité du dispositif des deux autres. A gauche, Eloise Decaze chante en ne s’accompagnant que ponctuellement d’un minuscule accordéon. A droite, Sing Sing l’accompagne à la voix et avec sa guitare. Le trio est plongé dans une pénombre seyant parfaitement à l’intimité et à la singularité de leur musique. Car c’est un véritable univers qui va prendre forme sur scène. Une bulle, délicate et magnifique où se déploie l’étrange alchimie des trois compères. Les voix fragiles et hors normes d’Eloise et Sing Singet vous saisissent au cœur avec l’étrangeté de leurs mots se jouant du sens commun. L’effet, déjà spectaculaire sur disque, est encore plus bouleversant sur scène où ils lâchent chacun la bride pour psalmodier leurs lunaires ritournelles à pleins poumons, en chavirant comme sur un navire en pleine tempête. Les sublimes trifouillages soniques de Bonvalet s’insinuent, se faufilent dans les compositions plus qu’ils ne s’y superposent. Le bonhomme jongle avec un banjo accordé bizarrement, un orgue à bouche, une boîte à musique amplifiée jusqu’à la déraison… jouant fiévreusement de tout son corps, y compris de ses pieds frappant planche ou clochettes. Le trio jouera devant un public ravi l’intégralité de leur album de collaboration avec en bonus trois titres : L’enterrement, La Rhubarde et un rappel que nous avons oublié de noter tout à notre émotion.
Chapeau bas à eux pour ce moment de beauté fragile, rare et précieux.
Pas facile de passer derrière ça. Le festival tente le contraste avec la pop synthétique de Rouge Gorge. Hélas, la sauce ne va pas vraiment prendre. On aime pourtant beaucoup les compositions entre ironie et mélancolie de Robin Poligné et ses entêtantes lignes de synthés fonctionnent plutôt bien en live. Pourtant, on peine à rentrer dans son univers. Peut être parce que le monsieur n’est jamais totalement sombre, kitsch, touchant ou déconnant et qu’il reste dans un territoire intermédiaire, un peu trop déroutant pour qu’on s’y laisse emporter totalement.
Il est déjà tard et il reste pourtant encore un gros morceau pour conclure. C’est La Terre Tremble!!! qui vient terminer la soirée. Le duo de Gibson Julien Chevalier/Benoît Lauby campe de chaque côté de la scène, et Paul Loiseau trône au centre sur son étrange batterie couchée. Le set démarre par l’impeccable doublette Elements/European Germs ouvrant leur épatant dernier album Salvage Blues. On retrouve avec toujours autant de plaisir la sauvagerie tortueuse du trio. Le féroce duo/duel de guitares, tout en dérapages très contrôlés et autre double looping, est toujours aussi efficace. Paul Loiseau impressionne également à nouveau avec sa gestuelle survoltée, son chant possédé et sa frappe alambiquée et surpuissante. On s’attend donc à décoller à nouveau vers les étoiles, mais le groupe nous semble pourtant un cran au dessous en terme d’intensité par rapport à nos souvenirs. Que ce soit eux, ou nous, qui étions fatigués à ce moment de la soirée, un concert de La Terre Tremble!!! même en demi teinte, reste amplement au dessus de la moyenne et l’on passe un très très bon moment. D’autant plus qu’on retrouvera l’imparable Your Joy Knows My mind et surtout un monstrueux Through France en guise de rappel et de bouquet final pour cette superbe soirée.
Assemblage à nouveau réussi donc, pour un festival Musiq’Alambic qui prolonge en beauté ses deux premières éditions avec toujours une recette inédite, culottée et sensible. On nous en souhaite encore beaucoup des comme ça. Merci à eux et au Jardin Moderne pour toute cette beauté. Merci également à DJ Black Sabboum (alias Dorian Taburet de Mein Sohn William) qui aura délicieusement ambiancé les interludes. Un monsieur passant le dernier Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp et enchaînant Moondog avec Vic Chessnutt mérite bien un petit salut.
Report écrit à quatre mains avec la camarade Isa.