Le rituel de Marine, avant de monter sur scène, c’est de s’enfiler un petit verre de rouge, « toujours, c’est important ». Ça donne des couleurs et ça réchauffe, dit-elle. Et bien, Marine fait un peu cet effet-là, lorsqu’on la rencontre. Chaleureuse et suave, comme un bon verre de vin.
Pour sa première venue à Rennes, elle nous rejoint place Sainte-Anne, accompagnée d’un plan sommairement fléché de la ville. C’est à quelques mètres de là qu’elle joue ce soir.
Au Ty Anna. Sa première à Bar en Trans’, et, déjà, le sentiment que ce sera une soirée spéciale. « Mon concert le plus incroyable ? Ce sera celui de ce soir », lâche-t-elle, dans un sourire. Un grand et beau sourire. Depuis un an, elle tourne à droite à gauche, entre premières parties (Stromae, Mademoiselle K…) tremplins et petites salles. Entre Reims, Paris et l’ailleurs, avec sa troupe de trois musiciens, Julien Lemoine (vibraphone), Vincent Roubach (basse, guitare) et Julien Rodriguez (machines). Aujourd’hui, le premier cité est parti, après avoir été « accepté dans une super école de jazz. C’est bien pour lui. Et pour nous aussi, car je vois mal comment on serait rentré à quatre sur la petite scène qui nous attend ce soir », s’amuse-t-elle.
Les premiers morceaux du groupe portent la griffe de Marine. Des chansons qu’elle a « composé il y a plusieurs années, tranquillement, dans [sa] chambre ». Elle les met sur son Myspace de l’époque, avec un effet immédiat. Des amis lui conseillent de pousser l’aventure plus loin. Et voilà.
Aujourd’hui, chaque membre du groupe puise dans les influences des autres. Mais ce qui explique la réussite de la troupe, c’est sûrement l’instrument qui est au centre de ses compositions, la spécialité de Marine : la harpe. Ce n’est pas courant, une harpe sur la scène des Bars en Trans’. Cet instrument, c’est son prolongement naturel, chaque corde pincée est comme une pincée d’élégance. Sur le sujet, elle est intarissable.
Du piano à la harpe, en passant par le ska…
Elle joue de l’instrument depuis ses quinze ans. Aujourd’hui, du haut de ses vingt-quatre printemps, elle s’est construite une belle technique, et surtout, une capacité à manier son instrument comme un danseur mène les pas de sa partenaire. Au départ, c’est éducation classique : « Mes parents possédaient un piano, j’ai commencé à en jouer à six ans ». Déjà, pourtant, c’est de la harpe, qu’elle veut jouer. Mais à parents bornés, liberté différée. Ils disent l’instrument « peu pratique ». La famille déménage à Reims quelques années plus tard, et Marine peut enfin « débuter un cursus classique de harpe, au Conservatoire ».
Là où beaucoup voient dans la harpe un instrument propice aux arrangements les plus classiques, la jeune femme y perçoit un réservoir d’expérimentations. « J’ai commencé à composer tôt. Je n’aimais pas trop la culture classique, alors je me suis lancée dans mes propres compositions », explique-t-elle. Si aujourd’hui, sa musique évoque les mélopées obsédantes de Björk ou les complaintes surréalistes de Radiohead, c’est de ska, qu’elle s’entiche très jeune. « J’ai chanté dans un groupe de ska vers 15 ans. Puis, j’ai eu un premier groupe de chanson française, il y a quatre ans ». Un premier groupe car il y en aura plusieurs, qu’elle fréquente toujours, pour pouvoir décliner son inspiration sous toutes ses formes. Ne jamais s’enfermer.
Le mythe du producteur philantrope
L’aventure Milamarina est en passe de prendre une nouvelle dimension. Si le groupe ne « prévoit pas de sortie d’album prochainement », les mois à venir seront consacrés à la composition, la réflexion. Décembre, janvier, février, Marine entend bien attendre la sortie de l’hiver avant de repartir sur une tournée ou un album. La musique des Rémois se prête bien au printemps. Une ondée de harpe, c’est une petite bruine qui appelle le soleil ! L’attente se trouve aussi quelque peu contrainte : « On cherche des partenaires, reconnait-elle. Et l’idée n’est pas de faire un album en autoproduction. Alors on va prendre le temps ».
Il est un mythe tenace, explique-t-elle, selon lequel le simple musicien de rue, armé de trois bout de ficelles, peut signer un contrat à l’envie avec un producteur. Évidemment, ce n’est pas un mythe auquel elle adhère : image d’Epinal moderne. « Les producteurs ont besoin de temps avant de s’engager, il faut s’inscrire dans la durée, avoir un projet qui tient la route, témoigne-t-elle. Ils viennent une première fois, et se disent « mmmh, mouais ». Reviennent une deuxième fois, pensent « ahhh, oui, peut être ». Enfin, ils réapparaissent encore une fois, et là, oui, ils s’exclament « pourquoi pas ! ». C’est là que tout commence à devenir possible. C’est à ce stade charnière que se trouve Milamarina.
De la nécessité de se ressourcer pour composer
L’idée est de créer un tout nouvel album. Faire évoluer le style actuel, conjuguer les chansons présentes au passé composé. Comme elle l’a déjà fait auparavant : « Cette année, on a gardé que six sept chansons, sur plus d’une soixantaine. Les plus élaborées, car certaines avaient déjà plusieurs années. Ces chansons-là, elles ne disparaissent pas totalement. Pour Suleyman’s dream, par exemple, j’ai repris la mélodie d’une de mes vieilles chansons, qui avait cinq ans », explique-t-elle.
Aussi, et peut-être surtout, Marine dit qu’elle a « besoin de [se] ressourcer, retourner composer dans [sa] chambre, comme avant ». Innover à nouveau, s’amuser de son instrument. Lorsque je retourne à Reims, je pars souvent composer au conservatoire, je me réfugie dans la salle des musiques anciennes. Jouer en présence des orgues, de tous ces vieux instruments, c’est sublime ! » A l’écouter, on peut tout faire, avec une harpe. Installer un système de capteurs, mettre de la distorsion ; opter pour un jeu classique, ou un jeu plus jazz, plus fou. Là, se trouve l’influence de ses compères Vincent et Julien, férus de jazz et d’improvisation.
Sauter d’une fenêtre, respirer sous l’eau
Mais l’univers Milamarina ne se limite pas à sa dimension musicale. L’imagination ! « Dépasser la morne vie et le sinistre du quotidien », ironise-t-elle, en faisant la moue. Capter ce moment où l’on souhaite sauter d’une fenêtre, respirer sous l’eau, avant de réaliser –déception- que ce n’est pas possible… » La presse, en évoquant Milamarina, lâche les mots « conte », « féérie », « magie ». Mais attention, la jeune femme n’est pas Emilie Simon. On n’est moins, ici, dans la mièvrerie que dans la lascivité. Comme le dit son dossier de presse, la musique de Milamarina « parle le langage du corps. » Un théâtre à corps ouvert, une danse de mots et de sons. « On essaye de créer une esthétique d’ensemble, on puise partout -dans le cinéma, la littérature. » Elle cite Tim Burton, des contes. Tous ces créateurs et toutes ces créations qui bricolent l’imaginaire.
« L’une de nos chansons, Suleyman’s dream, est tirée du roman d’un ami, l’Emprise des rêves. Sur scène, elle souhaiterait recréer cette atmosphère totale, propre à l’écrit. Pourtant, elle considère « qu’il ne faut pas trop en faire, afin de laisser les gens se faire leur propre idée de la musique qu’ils écoutent, qu’ils se construisent leur propre imaginaire ». Pas d’univers pré-maquetté et pré-pensé, donc. Quelques éléments de décors disséminés çà et là, sur scène. Une chaise en hauteur, bricolée, qui donne l’air de flotter. Des jeux de lumière.
Ce soir, sur la scène du Ty Anna, c’est sûr ; elle n’aura pas besoin de chaise pour flotter, ni de spots pour être dans la lumière. Juste son sourire !