Neuf dessins surgis de l’enfer, réalisés entre 1945 et 1946 par Robert Houlgatte, ancien résistant et déporté. Ces œuvres poignantes témoignent de l’horreur de l’un des camps de concentration et d’extermination les plus meurtriers de la seconde guerre mondiale, celui de Mauthausen, en Autriche. Aujourd’hui exposées dans le hall central des Archives départementales d’Ille-et-Vilaine à Rennes, visibles jusqu’au 31 juillet, elles invitent à une réflexion essentielle : l’art peut-il être un vecteur de la transmission de la mémoire de la déportation sans édulcorer l’indicible ? C’était tout l’enjeu de la conférence donnée mardi soir par Jacqueline Houlgatte, fille de Robert Houlgatte, dans le cadre du cycle commémoratif des 80 ans de la Libération.

« Nous devons sans relâche chercher « des portes d’entrée » pour transmettre cette mémoire, et l’art en est une puissante », a souligné en ouverture de la soirée le président des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (AFMD). L’art, dans les camps, ne relève pas uniquement d’un témoignage rétrospectif. Il est parfois un acte de survie, de résistance. On pense, par exemple, à l’opérette clandestine composée par Germaine Tillion à Ravensbrück. Mais surtout, il permet de dire l’indicible, de faire percevoir l’inconcevable.
Les dessins de Robert Houlgatte en témoignent avec une force saisissante. D’une sobriété remarquable, ils frappent par leur précision. « Tout est minutieusement représenté », indique sa fille, Jacqueline Houlgatte au cours de son exposé. En effet, pas d’effet dramatique inutile, pas de pathos : chaque élément est à sa juste place. Aujourd’hui, alors que la parole des survivant·es se raréfie, Jacqueline Houlgatte prend donc le relais. Elle ne parle pas « à la place de », mais déchiffre avec rigueur le témoignage laissé par son père. Historienne de formation, (il n’y a sans doute pas de hasard, NDLR), elle nous guide au cours de la soirée, à travers la réalité brutale des camps nazis, dessin après dessin.

Mentionnées dès 1946 dans le bulletin de l’Amicale de Mauthausen, ces œuvres vont bien au-delà de la représentation graphique. « Il ne s’agit pas simplement d’un travail artistique, mais d’un témoignage documentaire, rigoureux », insiste-t-elle. Un langage visuel né probablement d’une nécessité de dire ce que peu osaient encore raconter, même à leurs enfants. « Nous avons retrouvé ces dessins après le décès de mon père, en 1983, dans son bureau. Ils étaient si bien dissimulés qu’on aurait pu ne jamais les retrouver. »
Pour rappel, résistant au sein de l’Armée secrète dans l’Ain, Robert Houlgatte est arrêté le 12 février 1944 lors de l’opération « Aktion Korporal », menée par la Wehrmacht pour anéantir les maquis de l’Ain et du Haut-Jura. Depuis le défilé des maquisards en plein jour dans les rues d’Oyonnax, le 11 novembre 1943, ces groupes de résistant·es sont devenus un symbole gênant pour l’occupant. Robert Houlgatte est alors interpellé sur le chantier du barrage de Génissiat, interné, puis déporté à Mauthausen le 22 mars 1944. Il y passera 15 mois. C’est cette réalité qu’il a tenté de retranscrire à travers ses dessins : « Ce ne sont pas des scènes de la vie quotidienne prises au hasard, ce sont des moments choisis. »

On vous laisse le soin de découvrir ces dessins par vous-mêmes en venant aux archives départementales. Les mots que l’on posent ici, dépourvus d’images, ne seront qu’un puzzle incomplet de l’ensemble de l’exposition, et des informations disponibles. Cependant, une chose qu’il nous faut vous raconter est la façon dont, à travers les dessins, Jacqueline Houlgatte parvient à expliquer le processus de déshumanisation systématique orchestré dans les camps nazis. Une démonstration implacable.
La déshumanisation commence d’abord par la perte d’identité. Le premier dessin montre l’arrivée d’un convoi en provenance de Gusen II (Marcel Callo y a été interné, une exposition en son honneur “Une vie en mission” est visible à la Basilique Notre-Dame de Bonne Nouvelle, NDLR). Dès leur arrivée, les déportés sont dépouillés de leurs biens, « vêtements, argent, bijoux. On ne leur laissait absolument rien », tondus de la tête aux pieds, dirigés vers le camp de « la quarantaine ». C’est le deuxième dessin. Pyjamas rayés, sandales identiques, visages vidés, effacés. Robert Houlgatte montre l’entassement des prisonniers « en sardine », l’uniformisation des corps, l’effacement des traits individuels. Il « raconte un quotidien où l’identité disparaît dès le premier instant », commente l’historienne.
Un autre croquis évoque cette fois-ci la faim : « Certains léchaient la soupe tombée au sol, comme des animaux », commente Jacqueline Houlgatte. La privation de nourriture devient un outil de déshumanisation, une régression vers l’état bestial. « Ce comportement servait de justification à leur traitement inhumain. », précise-t-elle. Et même dans la mort, la mécanique de déshumanisation se poursuit. « Les cadavres étaient superposés, certains marqués d’une ligne blanche sur le crâne, signe d’une exécution », souligne-t-elle. Sur un dessin, des corps jonchent le sol. Le respect dû aux morts, fondement de toute civilisation, est inexistant. Les corps sont brûlés, dispersés, parfois jetés dans le Danube.
Enfin, la violence, constante et brutale, constitue le troisième levier de la déshumanisation. Elle transparaît dans chaque dessin : on y voit des kapos frappant, piétinant les détenus. L’absence de soins médicaux est aussi une forme de violence, où « l’infirmerie » du camp n’est ici que l’antichambre de la mort. « Le tri des malades les conduisait souvent directement à la chambre à gaz ou à l’euthanasie. », explique Jacqueline Houlgatte. Entre janvier et avril 1945, jusqu’à 10 000 morts furent comptabilisés à Mauthausen.

La déportation reste un sujet difficile. Parfois, un dessin touche parfois plus qu’un long discours, ou qu’une image trop insoutenable. Par la justesse du trait, et les nombreux détails, les dessins de Robert Houlgatte « à la croisée de l’art, du témoignage et du document historique », transmettent l’indicible. C’est là toute la force de cette exposition qui s’inscrit, aussi et surtout, dans une démarche pédagogique. Présentée dans plusieurs établissements scolaires, elle suscite un intérêt réel chez les élèves.

- La quarantaine au camp de concentration de Mauthausen
- La libération des camps : Mauthausen
- La voix de Paul Tillard, survivant de Mauthausen, le dernier des camps de la mort
Exposition » Neuf dessins pour l’Histoire – Témoignage et art des camps à travers les dessins de Robert Houlgatte «
Du 20 mai au 31 juillet – Hall des Archives départementales d’Ille-et-Vilaine
Entrée libre du lundi au vendredi de 8h30 à17h30
Fermeture : week-ends, jours fériés (jeudi 29 mai, lundi 9 juin, lundi 14 juillet), le premier lundi du mois (2 juin et 7 juillet) ainsi que le vendredi 30 mai.