La Marche des Fiertés, souvent plus connue sous le nom de Gay Pride, aura lieu samedi 6 juin après-midi dans les rues de Rennes. Un programme festif et coloré qui ne doit pas faire oublier que cette marche haute en couleurs est avant tout là pour faire passer un message. Rencontre avec Julien Fleurence, Président du CGLBT de Rennes (Centre Gay Lesbien Bi et Trans) pour présenter cette journée, mais aussi pour faire un bilan rapide de l’action du CGLBT et de la vie des gays, lesbiennes, bi, trans et intersexes à Rennes vue par le CGLBT. Et ce n’est pas particulièrement réjouissant…
Alter1fo : Pourriez-vous présenter le CGLBT en quelques mots ? Quelles sont vos actions prioritaires ?
Julien Fleurence, Président du CGLBT : Le CGLBT de Rennes est une association ouverte à toutes et tous, lesbiennes, gays, bis, trans, intersexes… et leurs proches. Le CGLBT est également une maison d’associations qui structure le réseau rennais.
Elle offre un espace d’écoute, d’information, de convivialité et de militantisme. Elle œuvre pour une réelle égalité des droits et contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou le sexe. La lutte contre les IST, la prévention des conduites à risques et du suicide font également partie de ses missions.
Samedi 6 juin aura lieu la Marche des Fiertés à Rennes. Que représente cette commémoration de Stonewall pour vous ? [NDLR : Les émeutes de Stonewall sont une série de manifestations spontanées et violentes contre un raid de la police qui a eu lieu dans la nuit du 28 juin 1969 à New York, au Stonewall Inn, un bar fréquenté par des homosexuels]
Nous nous rendons compte chaque jour, à chaque accueil d’une personne venant au local, à chaque échange avec le public qu’on reçoit, que souvent leur liberté, leur dignité est mise à mal par les LGBTIphobies. La violence s’est banalisée, s’est ancrée dans le quotidien par des propos (lesbophobes, homophobes, biphobes et transphobes) ou des actes dans tous les domaines de la vie, y compris sur internet. Marcher chaque année est capital pour rappeler que depuis Stonewall, la violence n’a pas disparu.
Il est indispensable de former les professionnel·le·s (médecins, forces de l’ordre, enseignant·e·s…), de faire progresser les droits afin qu’aucun acte, aucun propos violent ou discriminatoire ne soit toléré.
Cette année, le thème choisi pour cette marche des fiertés est « Amours, sexualités, genre et filiation : Le monde change, et vous ? » Pourquoi avoir choisi de mettre ce thème en avant ?
C’est un mot d’ordre complet qui se veut rassembleur et militant en regroupant beaucoup nos revendications. Il s’inscrit dans une dynamique actuelle d’interrogation de chacun·e sur sa place dans la vie de la cité ainsi que dans la société. Oui, nous revendiquons le fait qu’il y ait plusieurs amours, qu’il y ait une pluralité de sexualités et d’identités ! Nos facettes sont multiples, complexes mais si riches de diversité.
Nous interpellons donc le grand public sur ces différentes questions qui concernent tout le monde. Par exemple, le genre et la filiation ne sont pas seulement des questions de Droit mais aussi de société.
Le monde change, et vous ?
En marge de la Marche, un village associatif sera présent samedi sur l’Esplanade du Général De Gaulle. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
Depuis plusieurs années nous tenons un village associatif, précédemment au Thabor et depuis 3 ans, nous sommes implanté·e·s sur l’Esplanade Charles de Gaulle. Il ouvre ces portes de 12 h à 19 h. C’est un espace ouvert où l’on peut se détendre, profiter des différentes associations présentes pour aller à leur rencontre et poser toutes ces questions. Plusieurs activités sont proposées : expositions, performances, stands, buvette solidaire…
Cette année nous améliorons le pôle santé afin d’en faire un espace complet, pour prendre soin de soi, parler de plaisir et de santé, se faire dépister, etc. L’association AIDES proposera notamment un dépistage rapide du VIH.
Qu’en sera-t-il de la Noz Pride au Liberté ?
Depuis maintenant 4 ans, nous avons investi l’Étage du Liberté pour faire de la salle de spectacle le plus grand dancefloor LGBTI de l’Ouest. Pas loin de 1000 personnes profiteront d’un spectacle avec des artistes transformistes, des pole-dancers, des créatures encore plus extravagantes ainsi que des shows musique live, des shows laser et tant d’autres choses… Le tout sera sublimé par le son de nos 3 DJ : Djack, Ethan Wood et Pat de la Contre. Le tout durera 5 heures, de 23 h à 4 h. Des associations seront présentes pour sensibiliser le public et un dépistage sera proposé par AIDES. La soirée est organisée par le CGLBT Rennes et l’association des commerçants LGBT Rennes’Bow Life.
En mai dernier, vous avez participé à la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie en installant un stand place de la République à Rennes, avec les associations Aides, Contact, David et Johnathan, afin d’y sensibiliser le grand public. [NDLR : Le 17 Mai 1990, l’homosexualité était retirée de la liste des maladies de l’OMS. Depuis cette date est la Journée Mondiale de Lutte Contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie]. Comment s’est passée cette journée ?
La journée s’est très bien déroulée, nous avons eu une bonne accroche avec le public. Le public était différent de celui que nous croisions les années précédentes avec un stand de la place de la Mairie.
Nous étions bien visibles avec des drapeaux rainbow et une banderole « Assez de l’homophobie, la lesbophobie, la biphobie, la transphobie ». Le tract que nous avons distribué a eu du succès. Le public a pu apprécier les différentes expositions, notamment celle réalisée par David & Jonathan sur « L’homophobie et l’Église ». Nous reprendrons le même format l’an prochain et nous travaillerons à créer d’autres évènements autour du 17 mai.
Avec les discussions/débats engendrés par la loi Taubira autour du mariage pour tous/toutes, l’homophobie qui était jusque là souvent rampante, s’est trouvée d’un coup particulièrement décomplexée. Tous les ans, SOS Homophobie publie un rapport détaillé sur l’homophobie en France. Le rapport de 2014 (sur des faits de l’année 2013) était particulièrement alarmant « En 2013, SOS homophobie enregistrait une hausse sans précédent du nombre de témoignages d’actes LGBTphobes (lesbophobes, gayphobes, biphobes et transphobes). Dans le contexte des débats sur le mariage pour tou-te-s, cette hausse s’expliquait à la fois par une libération de la parole homophobe, mais aussi par une libération de la parole des victimes, qui hésitaient de moins en moins à réagir face à leurs agressions et osaient davantage témoigner. »
Le rapport 2015 montre que malgré une baisse du nombre de témoignages reçus, le niveau reste élevé et toujours préoccupant. (« 2 197 témoignages ont ainsi été enregistrés au cours de l’année écoulée, soit 41 % de plus qu’en 2011 -dernière année hors contexte « mariage pour tou-te-s »). On se souvient qu’au moment des Manif pour tous, vous offriez un soutien salutaire à plusieurs personnes LGBTI particulièrement choquées par la violence de ce qui se passait. Quelle évolution constatez-vous depuis l’adoption de la loi ?
Depuis l’adoption de la loi, comme vous le dites justement, nous constatons que les LGBTphobies se sont diffusées dans le quotidien de façon parfois insidieuse, souvent sans réaction de l’entourage ou du public. Ces violences s’installent aussi bien dans la sphère familiale, qu’au travail. Un sujet très préoccupant depuis quelques années est la montée des propos agressifs sur internet. Il est tellement simple de se cacher derrière l’anonymat d’un écran et de cracher toute sa haine envers une ou des personnes LGBT. Le manque de réactions des pouvoirs publics et des responsables légaux des sites internet nous alarme. On ne peut pas laisser ces insultes, menaces de mort ou harcèlement devenir banales. Ces violences ont des conséquences dramatiques sur les personnes : isolement, dépression, suicide…
Les agressions verbales et physiques dans l’espace public n’ont pas n’ont plus disparu. Il n’est pas une semaine sans qu’une personne fréquentant l’association ne nous rapporte un acte LGBTphobe dont elle a été victime à Rennes.
La parole décomplexée et impunie des politiques a-t-elle sa part de responsabilité dans ce qui s’est joué pendant cette période houleuse selon vous ?
Les paroles décomplexées et haineuses des personnes publiques et politiques ont une énorme responsabilité dans le climat actuel. Elles ont banalisé les insultes, les propos, les violences envers les personnes LGBTI, qui se trouvent trop souvent toujours impunies. Comment expliquer au public les dégâts provoqués par les actes et paroles haineuses quand des personnalités publiques y ont recours sans être inquiétées ? Cela est inacceptable, nous le condamnons avec la plus grande fermeté.
Comment se passent en outre les relations entre le CGLBT et les élus locaux ?
Nous avons la chance d’avoir de bons rapports avec la municipalité en place. Nous travaillons intelligemment, dans une construction collective afin d’offrir aux personnes LGBTI un accueil, une écoute de qualité et à n’importe quel moment. Nous travaillons sur l’avenir, sur des projets de long terme, en lien avec la municipalité afin de faire ensemble, acteurs associatifs, habitant·e·s, élues, pour vivre ensemble. Nous restons cependant très attentif·ve·s afin que le vent ne change pas de direction ou qu’il ne mollisse pas.
Vous avez cette année choisi de participer à la cérémonie du souvenir des victimes et héros de la déportation au monument du Colombier le 26 avril. Sous le régime nazi, plusieurs personnes ont en effet été déportées dans les camps au motif qu’elles étaient homosexuelles –marquées par un triangle rose- (ou qualifiées d’ « associales » – triangle noir). Vous avez également pris part à une table ronde concernant la création éventuelle d’un monument LGBT en France visant à entretenir le souvenir des persécutions visant les personnes LGBT, notamment pendant la seconde guerre mondiale. Pouvez-vous nous présenter ce projet ?
Nous participons à cette cérémonie depuis plusieurs années. La difficulté à y être intégré·e·s et reconnu·e·s comme légitimes en tant qu’association nous démontre justement bien l’importance d’investir les actions mémorielles collectives. Il existe encore un déni très fort autour de la déportation pour motif d’homosexualité. C’est d’autant plus blessant que les personnes LGBTI sont restées parmi les seules à être encore pénalisées par la Loi et maltraitées après la guerre. En France on continue par exemple de demander la stérilisation des personnes trans et on mutile les enfants intersexes dans les hôpitaux.
Le projet de créer un monument mémoriel en France, vient s’inscrire dans cette démarche de faire reconnaître la réalité des persécutions dont ont été et sont encore victimes les personnes LGBT. La démarche est menée par un collectif issu de plusieurs associations. Le projet en est encore à une étape de consultation et de réflexion. Plusieurs idées se précisent. Le monument sera par exemple sans doute relayé par des supports matériels et numériques afin de le faire vivre sur tout le territoire.
En quelques lignes (si c’est possible, bien sûr!), pourriez-vous nous dire quel bilan vous pouvez faire de la vie des gays, lesbiennes, bi, trans, intersexes, à Rennes. Quelles difficultés, quelles avancées constatez-vous, vous qui êtes au plus proche ?
La vie des gays, lesbiennes, bi, trans et intersexe à Rennes se passe bien dans l’ensemble comparé à d’autres villes en France. Cependant des propos, des regards malveillants, LGBTphobes sont toujours d’actualité, de nombreuses personnes sont agressées chaque jour et gardent le silence, se replient sur elles. Le silence tue, et nous acteur associatif sommes là pour tenter d’offrir un moment de partage, de convivialité avec bienveillance et respect. C’est très souvent un poumon d’air frais pour les personnes qui viennent rencontrer l’association. Avant les débats sur le mariage pour tous, nous n’avions pas autant de remontées d’agressions.
D’un autre côté, nous nous réjouissons des différentes initiatives menées par plusieurs associations autour de l’éducation populaire, la prévention et l’information sur les revendications des personnes LGBT. Il y a encore assurément du travail pour améliorer la vie des LGBT à Rennes et il est bon de ne pas se savoir seule·s.
Merci !!
La marche des Fiertés 2015 – le programme
Le Village
12 h – 19 h, esplanade Charles de Gaulle
La Marche
Départ à 14 h de l’Esplanade Charles de Gaulle
Retour au même endroit vers 17 h
Noz Pride
23 h – 4 h Le Liberté [L’étage]