Mansfield TYA bouleversantes à l’Antipode

2011-11-19-Antipode-Carte_Noire_Mansfield_TYA-alter1fo-5On est ressorti de l’Antipode très ému ce samedi soir (enfin dimanche matin, plutôt !)… Et on n’était pas les seuls ! La faute aux Mansfield TYA qui ont livré un set intense et bouleversant. Rien qu’en y pensant, on a encore une grosse boule au fond de l’estomac et des frissons sur la peau. Compte-rendu.

L’Antipode, jamais à cours de bonnes idées, organisait en effet une carte blanche à Mansfield TYA ce samedi 19 novembre. Et comme les deux filles ne font jamais rien comme tout le monde, elles ont déjà commencé par changer le nom de la soirée : la « carte blanche » est devenue « carte noire » .

Le principe : l’artiste invité prend les commandes, choisit toute la programmation de la soirée, et compose même le menu qui est cuisiné pour les musiciens et l’équipe de l’Antipode (avec les Mansfield TYA, on avait parié pour des sushis… On a perdu !! Les deux filles nous l’ont expliqué en interview – à paraître très prochainement sur alter1fo).

Pour Gaétan Naël (programmateur de l’Antipode), la carte blanche laissée à un artiste est vraiment un moyen de créer un espace pour entendre ce que l’artiste a à dire, un temps qui permet d’aller davantage au fond des choses. On est loin d’un simple concert d’une heure, dans une salle inconnue, qu’on quittera vite. Il s’agit vraiment pour l’artiste de prendre possession des lieux, de maîtriser de bout en bout ce qu’il va donner au public et comment il va le faire. Alors l’idée de proposer cet espace de liberté aux Mansfield TYA et à leur univers vraiment à part, personnel, complexe, qui ne ressemble à rien d’autre nous a semblé riche de promesses. On aime se laisser happer par les différentes directions que les jeunes femmes développent, entre noirceur et mélancolie, mais aussi, souvent, pleines d’humour et de moments déjantés. On aime voir les deux filles sur scène, ce fil toujours tendu entre leurs regards qui ne jamais se rompt, ces instants suspendus et ces éclats de rire.

CARTENOIRE3Les Mansfield avaient prévenu : leur carte serait noire, comme la nuit déclinée sur leur dernier album, Nyx. [Est-ce pour cette carte noire que l’Antipode a fait repeindre les toilettes en noir récemment ??] Lorsqu’on a enfin pu l’écouter (pour enfin arrêter de boucler sur les trois titres du single sorti en juillet dernier), on a pris une claque magistrale. Oui, les deux albums précédents de Mansfield TYA (June en 2006, Seules au bout de 23 secondes en 2009) étaient déjà bons, à la fois déglingués et lyriques, mélancoliques et violents, tendres et désespérés. On y avait souvent été remué par ces bouquets de nerfs offerts à fleurs de peau, ces fleurs du mal tout autant vénéneuses qu’apaisantes. Mais ce nouvel album a gravi les marches quatre par quatre et emmène les Mansfield Tya à des hauteurs où on ne les attendait (naïvement) pas.

Intitulé Nyx, donc, du nom de la déesse de l’obscurité, l’album tourne autour du thème de la nuit. Une nuit qu’on imagine tout aussi angoissante qu’apaisante, tout autant déchirée que tendre pour le duo. Un violon obsédant, des voix doublées, triplées, quadruplées, des percussions sèches sur des boucles synthétiques, des répétitions qui hypnotisent, des mélodies totalement addictives et une réelle cohérence dans la construction font de cet album un écrin bleu obscur pour nos nuits blanches. On a ici l’impression que tous les univers de Julia Lanoé et Carla Pallone trouvent pleinement leur place, d’un réel équilibre gagné, entre légèreté et pesanteur, humour et tendresse, obscurité et clarté.

2011-11-19-Antipode-Carte_Noire_Mansfield_TYA-alter1fo-2Quand on pénètre dans l’Antipode, la déco, en partie refaite, met l’accent sur l’aspect « mystique » de la soirée (rappelez vous d’ailleurs, la photo sur le disque lui-même : des mains en cercle pour une séance de spiritisme… Ce n’est d’ailleurs sûrement pas un hasard si c’est l’image qui a servi d’affiche pour cette soirée) : des petits autels sont disposés ça et là : des os sur lesquels sont écrits « un peu » « passionnément » « à la folie » … Des animaux empaillés, des squelettes d’animaux morts sur une table recouverte de feuilles mortes surmontées des triangles de NYX, avec sur l’un deux, minuscule, une projection accompagnée des sons les plus fantomatiques de ce dernier album, mais aussi un triptyque à la Jérôme Bosch représentant un jardin des délices détourné… Et comme les filles aiment jouer sur les petits détails : le bar est entouré des posters parus avec leur 45 tours en édition limitée et le « présentoir » à flyers a été revisité : en lieu et place des flyers habituels, des « flyers » tout noirs. On rigole : encore une fois avec les deux filles, le second degré n’est jamais loin.

Autre parti pris par Mansfield TYA, pour cette soirée : inviter en priorité des duos car elles aiment le minimalisme imposé par cette formation resserrée. Elles ont donc proposé à trois duos de partager la scène avec elles (qui en plus d’être des musiciens qu’elles apprécient comme artistes, sont également de bons amis) : Mensch, Sieur et Dame et Unison.

Sieur et Dame

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C’est le duo le plus déjanté des trois qui ouvre la soirée, entendez Sieur et Dame [retrouvez l‘interview de Sieur et Dame ici]. Quand on rentre dans l’Antipode malheureusement, on a déjà manqué quelques titres. Devant nous, sur la scène, Etienne Anclin, le Nantais, collier aux grosses perles de bois autour du cou (qui servira de percussions), disserte en anglais avec une voix contrefaite qui déclenche les rires. Il chante tout en alternant, selon les morceaux, arpèges à la jazzmaster et piano. A côté de lui, Claire Grupallo au chant, toute droite derrière son micro, en robe de dentelles noires très début de siècle (celui d’avant !) avec une fleur de dentelle noire dans les cheveux, joue l’impassible. Elle joue la plupart des percussions, entendez caisse claire et cymbale, raide, guindée. Son compagnon sautille, baragouine, elle reste fière et digne. Il chante d’une voix contrefaite, elle lui répond par le chant lyrique.

Sur la scène devant le clavier, un renard empaillé. Derrière eux, un abat-jour retourné pour un décor lui aussi très début de siècle. On repense à leur photo de presse dans un jardin floral : tout l’univers du duo nous y semble déjà présent. La photo les représente en costumes, figés et guindés, mais Etienne Anclin a un œil fermé sur un monocle invisible et Claire Grupallo louche fortement malgré la dignité de sa pose. C’est la même chose qui se produit ce soir : la dignité du chant lyrique est contrebalancée par les roucoulements plus ou moins anglophones d’Etienne Anclin, la retenue figée sur le visage de Claire Grupallo par l’engagement théâtral de son compagnon, criant, un pied sur les retours, la guitare en bandoulière, le visage tendu vers le plafond, au milieu de la scène.

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Oui, mais voilà, Sieur et Dame, c’est bien évidemment burlesque, déjanté et foutraque. Mais pas que. Tout y est en même temps mélodiquement addictif. On doit l’avouer, après une première écoute qui nous a laissés d’abord perplexes, on s’est laissé totalement gagner par les mélodies obsédantes de leur second album, Perversion discrète. Et c’est exactement la même chose ce soir : on se laisse complètement embarquer par les accords plaqués au piano d’Obsession qui deviennent d’un coup sautillants, par la voix lyrique douce dans un premier temps qui joue la puissance à la limite du cri sur la fin du morceau, sans oublier ces onomatopées animalières en plein milieu de la chanson. On suit la mélodie pentatonique (?) de Circlefreaks pour finir happer dans un tourbillon mélodique à deux voix.

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Ainsi, malgré son côté profondément loufoque, la musique de Sieur et Dame repose en parallèle sur des mélodies imparables qui vous rentrent insidieusement en tête et qui au bout de trois écoutes, ne vous lâchent plus.

Si certains restent totalement hermétiques à la musique du duo, une bonne partie du public semble découvrir Sieur et Dame avec plaisir, si l’on en juge par le silence attentif et amusé qui accompagne la prestation et le nombre de personnes qu’on verra repartir avec l’album en fin de soirée. De notre côté, on apprécie vraiment et on se promet de retourner voir le duo s’il passe de nouveau à Rennes.

Unison

C’est ensuite au tour d’Unison [retrouvez l’interview d’Unison là] de venir sur scène. Duo devenu trio depuis peu, Mélanie Moran (chant) et Julien Camarena (chant, guitare sur scène) ayant été rejoints par un troisième homme aux machines pour le live, Unison est l’auteur d’un premier ep « Outside » (Matte Black Editions, Los Angeles) très remarqué, mais surtout d’un premier album sorti chez Lentonia Records (Paris) en septembre dernier qui a reçu un bel accueil critique.

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Présenté comme « les principaux acteurs du mouvement witch house en France », Unison se détache par ce son à la croisée exacte entre Salem et My Bloody Valentine, tout en nappes brumeuses.

C’est donc dans une épaisse fumée et une relative obscurité que le trio s’installe sur scène et débute son set : des nappes saturées, des guitares qui regardent vers le sol, l’impression d’une masse sonore compacte qui sort des baffles. Au centre, Mélanie Moran, short court sur collants opaques, chante d’une voix baignée de reverb’ et d’effets divers : le chant ne se détache pas de la masse sonore, mais y participe, apparaît comme un instrument traité à l’égal des autres. Cette voix aérienne, coulée dans le plomb de la chape sonore de ses deux acolytes, a quelques réminiscences des Cocteau Twins.

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Autour de nous, c’est partagé : certains restent complètement en dehors, trouvant ça brouillon dans le son (nous, ça ne nous dérange pas, c’est le style qui veut que ce soit un magma sonore), d’autant plus que la communication du groupe avec le public est rendue difficile par les effets qui saturent le micro de Mélanie Moran lorsqu’elle s’adresse à nous. D’autres, en revanche, adhèrent complètement et totalement à ce jeu entre légèreté et pesanteur. Quand la fumée commence à se dissiper et que les lumières deviennent plus crues, la jeune chanteuse demande davantage d’opacité et d’obscurité. Car la musique d’Unison joue sur un certain hypnotisme, renforcé par les images qui défilent, plus ou moins saccadées, derrière le trio. Il faut se laisser porter et entrer dedans. On imagine cependant que pour certains le contraste semble important entre Sieur et Dame et Unison.

Mensch

Nouveau contraste avec le troisième duo invité par Mansfield TYA : après les Niortais d’Unison, c’est en effet au tour des lyonnaises de Mensch [ retrouvez l‘interview de Mensch ici] de prendre place sur la scène. Formé sur les cendres brûlantes du Vale Poher Group (Vale Poher compte deux albums solo à son actif, Mute en 2005 et Tauten en 2008), par Vale Poher (guitare, chant lead), donc, et sa complice Carine Di Vita (basse, choeurs), Mensch va envoyer sévère.

2011-11-19-Antipode-MENSCH-alter1fo-3Une basse ronde et mélodique qui rebondit et une guitare énergique entre post punk et indie pop eighies s’entremêlent autour d’une boîte à rythme métronomique. Les deux filles donnent de leur personne et le public réagit très positivement. Carine Di Vita, carrée et puissante, tricote les mélodies sur sa basse, tandis que Vale Poher envoie les accords sur sa guitare dissymétrique, décoche et ricoche. Leurs morceaux énergiques donnent au public envie de bouger : la foule s’anime. Et puis, surtout, le duo fait preuve d’une réelle honnêteté durant toute sa prestation, ce qui nous touche d’autant plus.

Kraut Ever met tout le monde dans de bonnes dispositions avec ses montées qui se retiennent et se répètent, Swim Swim est massive, puissante et conquiert le public.

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Alors quand Vale Poher propose un blindtest (avec bière offerte à la clef) pour reconnaitre la reprise que le duo va interpréter, la foule adhère. On allait pour notre part parier sur les Smiths avec une cover de This Charming Man comme sur leur ep Dance and Die, mais les premières notes jouées nous détrompent vite. Autour de nous, ça crie, mais quand le riff de She’s lost control (Joy Division) se détache de la mélodie, ça bondit carrément.

Mais Mensch a plus d’une corde à sa guitare et propose de finir le set avec une reprise des Mansfield TYA, en hommage au duo qui les a invitées. Dans les rires, Vale Poher explique que c’est de la folie, de vouloir jouer une cover des Mansfield qu’elles ont à peine répété devant leur public, qu’elles vont se faire haïr. Mais le public crie son enthousiasme. Malgré un faux départ ( « Y a trop de notes dans Mansfield Tya, c’est moi qui fait le violon, dit Vale dans les éclats de rire, j’en chie » ), la reprise est saluée par les cris et les applaudissements et l’honnêteté de Vale Poher une nouvelle fois, est belle à voir. On y devine plein d’amour. « On se suit, on s’aide, se soutient, s’apprécie, on fait attention les unes aux autres… » nous avait dit Vale Poher à propos de ses copines de Mansfield. Sur le bord de la scène dans les coulisses, Carla et Julia ont un sourire immense et chantent à l’unisson. Personne ne les voit mais leur plaisir et leur émotion fait plaisir à voir. On n’est donc qu’à peine étonné quand à la fin du morceau la tornade Julia et sa comparse Carla bondissent sur la scène pour étreindre les deux musiciennes. C’était un beau cadeau et en plus, ça a mis tout le monde vraiment dans l’ambiance… On sent l’excitation qui gagne : ça va bientôt être au tour des Mansfield.

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ThomR

one million eyes teaser ThomR Mansfield TYAEn attendant, on fait un tour dans « la chambre de ThomR », comme Julia l’a appelée cette après-midi. Une des pièces de l’Antipode a en effet été réservée au quatrième invité des Mansfield TYA, le réalisateur ThomR [ retrouvez l’interview de ThomR ici]. On l’a dit, on a eu un coup de foudre immédiat et total pour le travail de ThomR il y a plusieurs mois. Ça a commencé avec deux vidéos réalisées par le jeune homme sur la tournée de Yann Tiersen et Shannon Wright aux États Unis : on y retrouvait Shannon comme on l’avait rencontrée en interview, à la fois timide, fragile, sincère, forte et drôle. On n’en a pas cru nos yeux, de cette justesse des images. Aussitôt, on a eu un sentiment de proximité avec le travail de ce garçon qui sait vous montrer en à peine quelques minutes l’humanité des êtres. On a alors découvert ses autres projets, les films de Zone Libre avec Casey et B.James, par exemple, de Duygu Demir, des Thugs, de Sexy Sushi forcément, des musiciens, des danseurs, ou encore d’autres projets, plus personnels. Et puis, il y a eu Mansfield TYA bien sûr…

Et là encore, on s’est fait cueillir : Julia et Carla, qui répètent, composent, enregistrent, bavardent et boivent le thé. Rien ne nous a semblé plus juste. Plus au près des êtres. On aime les films de ThomR parce qu’ils jouent sur l’intensité de la simplicité, sur le souffle de la fragilité tout autant parfois que sur une animalité plus tangible. Ses films sont de vrais moments intenses, qui redonnent le moral, inspirent, donnent des secondes de vie en plus et de l’air à respirer.

one million eyes teaser ThomR Mansfield TYA 2Depuis plusieurs mois, le jeune réalisateur filme les Mansfield TYA dans le but de réaliser un film autour de leur nouvel album (c’est aussi lui qui a réalisé le « clip » d’Animal, extrait du dernier album). Pour cette carte noire, il a réalisé un premier montage en une nuit, avec les images qu’il a pu récoltées. Ce n’est pas le film fini, juste une ébauche, mettant davantage en avant l’aspect « graphique » du film plutôt que son côté documentaire. ThomR l’a pensé comme un montage autour duquel on pourrait facilement papillonner étant donné la teneur de la soirée. Pourtant quand on s’installe dans le canapé installé dans la petite salle, on se laisse immédiatement embarquer par les images, à la fois paisibles et belles, qui défilent sur l’écran de fortune installé face à nous. Des arbres dont la silhouette se détachent dans la brume, Carla et Julia qui choisissent leurs notes, qui s’échauffent (?) en répétant des phrases sans queue ni tête en s’étirant, les écouteurs dans les oreilles, Julia qui joue du piano et chante derrière un rideau, les deux filles en costume d’Animal (entendez masque vénitien pour Carla et bandeau sur les yeux pour Julia et grandes capes noires) apparemment perdues dans un grand parc. C’est à la fois surréaliste, fragile et émouvant. On resterait bien encore longtemps pour avoir le temps de tout voir et c’est vraiment avec peine qu’on quitte la salle. Oui, mais voilà. Les Mansfield, en vrai cette fois, vont venir sur scène, il ne s’agit pas de manquer le début…

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2011-11-19-Antipode-Carte_Noire_Mansfield_TYA-alter1fo-3Enfin, le début, finalement, pas vraiment puisque les deux filles commenceront par le final (on vous avait dit qu’elles ne font rien comme tout le monde). Après une intro avec les boucles qui crachent et prennent aux tripes, à la fois terribles et addictives de Cerbère (le dernier morceau de Nyx), Julia et Carla ont en effet demandé à tous leurs invités de les rejoindre sur scène pour une version chorale et habitée d’An island in an island. En ligne sur la scène, par groupe de deux ou trois, les Mensch, ThomR, Unison, Sieur et Dame, Amélie Grosselin de Fordamage et Christelle Lassort (qui rejoindront les Mansfield sur scène tout à l’heure) ou le gars du merchandising répètent à l’unisson ou en décalé les paroles hypnotiques An island in an island sur des boucles entêtantes lancées par Carla derrière son clavier à la droite de la scène et par Julia, à l’exacte opposée en face. Là encore, l’affection et l’admiration mutuelle se lit sur les visages de tous les invités qui ne lâchent pas d’un regard qui Julia, qui Carla. L’image est puissante et les applaudissements ne se font pas attendre sur cette très belle entrée en matière. Les invités quittent la scène… Mais ils ne vont en réalité pas très loin, tous s’installeront sur le bord de la scène, dans les coulisses, attentifs et protecteurs, pour regarder la prestation des deux Nantaises.

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Et quelle prestation ! Julia, aux claviers, sur le bord gauche de la scène, est rejointe par Carla et son violon pour une version d’Animal qui donne des frissons. Mansfield TYA, sur scène, c’est d’abord une histoire de regards. Celui du public vers elles, captivé, mais aussi le leur. C’était déjà souligné par la pochette du second album. Entre leurs deux visages en ombres chinoises, des points reliés, comme un regard échangé. Mansfield TYA, c’est d’abord ce regard. Entre Julia et Carla . Elles ne se lâchent pas des yeux, elles ne s’abandonnent jamais, chacune, toujours, veille sur l’autre et si leurs regards appuyés se tournent parfois ailleurs, elles restent aimantées. Et si elles se tournent le dos, on sent pour autant toute la confiance qu’elles s’accordent, et comme des aimants semblent toujours deux pôles attirés. Elles sont pourtant sur le côté gauche de la scène, mais on ne perçoit aucun vide. Tous les yeux sont happés par ce regard, ce fil tendu entre le violon et le piano, entre ces deux voix, sur cette émotion invisible qui semble flotter entre leurs deux visages. Peut-on devenir un animal si on fixe à ses pieds des fers ?Est-ce que tous les polygames iront brûler en enfer ? C’est comme un pas de deux musical. Chacune souligne toujours la présence et l’importance de l’autre.

2011-11-19-Antipode-Carte_Noire_Mansfield_TYA-alter1fo-10A la fin du morceau, on a déjà le cœur remué. On ne s’attend pas à ce qu’elles enchaînent directement avec Pour oublier je dors qui nous achève. On a pourtant écouté ce morceau souvent, on l’a même entendu plusieurs fois joué live par les Mansfield, à chaque fois on se fait cueillir par l’intensité avec laquelle Julia l’interprète. Sans fard, sans artifice. A nu. Autour de nous, le silence est total. Chacun suspendu à chaque note, à chaque souffle. J’ai défoncé ses dents pour qu’on ne me retrouve pas. A l’intérieur, ça chavire. Leur regard comme unique fil auquel se raccrocher, parmi les mots à l’encre qui tâche les âmes. A la dernière note, au dernier souffle, les applaudissements éclatent. Carla, douce, interroge Julia discrètement : « ça va ? » . On imagine qu’on n’est pas les seuls que tout ça chavire.

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On assiste à cette intimité à la fois troublante et rassurante, le souffle retenu. Pourtant le concert, une nouvelle fois montrera la maîtrise des deux jeunes femmes, justement, dans l’ambivalence des registres. Si on a le souffle coupé par l’intensité de leurs morceaux, le cœur remué aussi, par des paroles émues ou cruelles, les deux musiciennes contrebalancent toujours le sérieux de leur composition par des éclats de rires et toujours ce recul de faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux. Ainsi Julia se lâchera complètement avec sa guitare, jouant le rocker indomptable en dégommant micro et pied de micro avec son manche, en hurlant et en sautant au milieu du public, avec des mimiques à pleurer de rire, rigolera derrière sa batterie en plaisantant sur l’absence de sponsor caféiné de leur « carte noire nommée désir » (auquel un membre du public inspiré répondra What else ?), manquera quelques départs (à la batterie dans les rires pour un Cavaliers magnifique, puis au clavier) – et c’est là qu’on se rend compte que cette fluidité, la musique qui coule, limpide, est le fruit d’un vrai travail- ou dégommera sa batterie cette fois-ci sur un final rock et abrasif avec Vale Poher de Mensch et Amélie Grosselin de Fordamage se cabrant comme toujours à la guitare. Cette ambivalence des registres, on l’entendra aussi sur l’immense Logic Coco, qui commence par un chœur en écho sublime, et sur le final duquel Julia ne pourra s’empêcher de crier « comme notre amooour », les mains jointes sur la poitrine.

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Notre amour. Peut-être vulgaire, mais sûrement beau, serait-on tenté de lui répondre.

Mais voilà, en plus de tout ça, les Mansfield Tya, c’est aussi des chansons qui renversent. Pendant tout le concert, on entendra « le silence de Shannon » (périphrase personnelle pour parler du silence attentif, tout en retenue et plein d’émotion contenue qui accompagne chaque concert de Shannon Wright). Ce qui n’arrive pratiquement jamais (sauf pendant les concerts de Shannon Wright). Mais l’intensité avec laquelle les deux filles interprètent leurs morceaux crève-coeur nous bouleverse. Et on n’est une nouvelle fois pas les seuls. One million eyes est sublime. Le duo de violons par Carla et Christelle Lassort qui se répondent est magnifique. Et puis il y a ce Silver Silences dans une version plus dure et abrasive que sur l’album qui serre nos gorges. La version d’En secret de Dominique A (le morceau par lequel on avait découvert les Mansfield) fait tomber nos dernières barrières, une boule dans l’estomac, les yeux un peu trop humides… Je crachais sur hier Comme pour dire « ça va mieux » Mais c’est dur en crachant D’éteindre un feu . Nous, on n’éteint rien du tout, on est complètement consumé.

2011-11-19-Antipode-Carte_Noire_Mansfield_TYA-alter1fo-17On est remué, balloté, on chavire encore. On se raccroche encore à leur regard tendu, qui ne se lâche pas : you are the woman, on ne l’avait certainement jamais entendu de cette manière. La version en est bouleversante Je ne rêve plus , sûrement l’un des morceaux qu’on préfère, n’arrange pas notre état. Comme tout le monde d’ailleurs. Il y a des gens comme moi qui ont besoin d’autre choses que de manger pour exister. On rend les armes : à l’intérieur, on tombe à genoux. Et ça semble pour tout le monde être la même chose : à chaque fois, ce silence contenu, le souffle retenu pendant les morceaux puis l’explosion d’applaudissements quand la dernière note meurt. Le public semble dans le même état que nous et même si les Mansfield ne feront qu’un titre en rappel, on ne leur en veut pas : on sait qu’elles ont déjà donné bien plus que chacun en attendait ce soir…

On repart de l’Antipode, ému, assez bouleversé, en espérant déjà que les deux filles reviendront bientôt sur Rennes. Assez persuadés, une fois encore, qu’on ne sera pas les seuls.

Photos live : Caro

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