Mansfield.TYA revient à l’Antipode ce jeudi 31 mars et dire que leur venue est attendue est un sacré euphémisme. C’est complet depuis des lustres et une frémissante impatience à l’approche du concert gagne comme un incendie.
On a la chance de suivre Mansfield.TYA depuis longtemps (entre autres grâce à la fidélité inébranlable au duo de l’Antipode et de son programmateur depuis les débuts, il faut le souligner) et d’avoir fait de leur musique belle et fertile une précieuse alliée de nos jours, de nos nuits. On a attendu la découverte de chaque album, de chaque concert par ici (et même un peu plus loin on l’avoue) avec une curiosité aussi impatiente qu’émue, le cœur à nu et si souvent au tapis. Et année après année, ces disques comme ces moments partagés live avec le public, sont devenus des abris repères, des refuges inspirants. Des flammes qui toujours éclairent et réchauffent. Des cailloux qu’on serre dans sa poche.
La faute à des disques à la beauté baroque et à la personnalité assumée. June en 2006, puis Seules au bout de 23 secondes en 2009, à la fois déglingués et lyriques, mélancoliques et violents, tendres et désespérés, nous avaient déjà bien entamés. On y avait souvent été remué par ces bouquets de nerfs offerts à fleur de peau, ces fleurs du mal tout autant vénéneuses qu’apaisantes. Nyx, du nom de la déesse de l’obscurité, leur troisième album (Vicious Circle, 2011) autour du thème de la nuit, angoissante et apaisante, déchirée et tendre, avait fini de saper totalement nos bases, fondant les univers de Julia Lanoë et Carla Pallone dans un équilibre magistral entre légèreté et pesanteur, humour et tendresse, obscurité et clarté.
Autant l’avouer, les disques de Mansfield.Tya, c’est peu dire qu’on les attend. Heureusement, après les Re-Nyx et suivant la sortie en vinyle de leur premier album June sur le label Kshantu, une sublime tournée acoustique (le sold out tour !) revisitant leurs premiers opus (June donc, mais également l’ep Fuck) passée par Rennes durant les Embellies, avait (un peu) trompé notre impatience. Il faut dire que tous ceux qui y ont assisté en sont sortis bien souvent éperdus d’amour pour la musique des deux jeunes femmes, tant leur concert, tout en même temps bouleversant et drôle, a illuminé la Cité (pourtant seulement éclairée par des cierges).
C’est cela dit une habitude de finir un concert de Mansfield.Tya sur les genoux, l’âme et le cœur ayant rapidement rendu les armes. La faute, encore à des prestations intenses et belles, toujours justes, entre moments qui serrent la gorge et rires irrésistibles. On est souvent resté happé, le regard tendu sur le fil de la complicité des deux jeunes femmes, ce lien à l’intimité et à la confiance inébranlables, à l’intensité à la fois troublante et rassurante, à la fois personnelle et partagée, que chacun dans la salle aspire à protéger. Heureusement après ce coup à l’âme et au cœur (des coups des cœurs) à la Cité, Corpo Inferno est arrivé en 2015, sur le (toujours) indispensable Vicious Circle.
Toujours construit autour du violon et des voix, ce nouvel album faisait la part belle à la production électronique dans la continuité de Nyx (à l’inverse des deux premiers albums davantage composés à la guitare et au piano –mais déjà autour des éléments centraux voix/violon), direction que les deux musiciennes ont continué d’explorer sur Monument Ordinaire (2021, Warrior Records, le label co-fondé par Julia/Rebeka – parce que c’est essentiel d’apprendre aussi à faire tout.es seul.es tout comme de mettre un peu de queer dans les rouages). En ne (se) refusant aucun registre, aucune émotion, Julia Lanoë et Carla Pallone revendiquent l’équilibre fragile et subtil de l’oxymore.
Car Mansfield.Tya ne se contente pas de juxtaposer les contraires, non. Elles les frottent, les habitent, se jouent du noir (Nyx), du blanc (Corpo Inferno), changent constamment de registres, des rires à l’angoisse, de la mélancolie au désespoir, de la violence à la douceur, de (à)la vie, de (à)la mort, tel le sublime artwork de ce Monument Ordinaire réalisé une nouvelle fois par Théo Mercier et Erwan Fichou, où leurs visages, les yeux fermés mais tournés l’un vers l’autre, émergent du sable et des graviers, Winnie-s Beckettiennes apaisées. En ne refusant aucune de ces émotions qui nous traversent, les musiciennes touchent au plus près, au plus juste.
On serait tenté d’affirmer que de toute façon, les Mansfield s’appliquent surtout, disque après disque, concert après concert, à tracer, découvrir, voire creuser et affirmer un propos, une recherche et une cohérence éminemment personnels. Et surtout, comme on l’avait dit de Bacchantes il y a quelques temps, Carla Pallone et Julia Lanoë creusent là où pas grand monde ne cherche, et avec une sincérité désarmante. Ce qui nous les rend infiniment précieuses.
Et autant dire qu’on n’est pas les seul.e.s. Au fil des années, on a vu le public grandir, l’amour déjà bien là chez les fans de première heure, gagner comme la mer sur les jetées un jour de grande marée. Un public de plus en plus resserré autour d’elles, de leur univers si intense et plein, aussi dévoré par la joie désespérée d’un Bleu Lagon et sa fête sisyphéenne qu’exalté par la cold wave électronique d’un Au revoir en allemand, aussi ému par Une Danse de Mauvais Goût que touché aux larmes par les mouchoirs qu’on jette en pleurant derrière nous. D’années en années, les Mansfield.TYA ont réuni autour d’elles une communauté multiple, une famille peut-être un peu, qui rassemble celles et ceux qui vivent à la fois d’amour et d’Aqua Fresca, de Sisyphes (heureux ?) qui confrontés à l’absurde revendiquent les liens et l’émotion vraie, partagée.
Sur Monument Ordinaire Julia et Carla convoquent leurs amours. Il faut regarder ces stèles, vidéos que les deux musiciennes ont déposé tout au long du chemin, magnifiques et émouvants partages de ce temps de création et de partages (avec un album pourtant écrit à distance en plein confinement). Les amis, les précieux qui les ont accompagnées y sont ainsi mis à l’honneur. Notamment les chéris d’Odezenne dont l’écriture sensible accompagne les magnifiques et déchirants Une danse de Mauvais Goût et Le couteau, le si aimé et écouté Fanxoa des Bérus sur l’entêtant Les filles mortes dont les rythmiques vocales nous esbaudissent à chaque fois ou, et c’est nous qui choisissons, Christelle Lassort et son époustouflant arrangement de cordes sur le fantastique Ni mortes ni connues. C’est dit : Je choisis les précieux pour éloigner un peu la mort chantent les Mansfield.TYA, et nous avec elles.
On a toujours eu peur de se méprendre en parlant de disques et de lives, de trahir la pensée et la volonté de celles et ceux qui y ont mis leurs âmes et encore plus en parlant de ceux de Julia et Carla. On s’en est pourtant voulu, à mort, d’avoir, peut-être, trop bien écouté Corpo Inferno et un soir d’interview de leur avoir glissé Quelque chose noir de Jacques Roubaud, poèmes-cris d’amour et de perte pour la photographe Alix Roubaud, sa femme qui, à bout de souffle, s’est éteinte à 31 ans une nuit de 1983 – (avec un peu de chance, c’est notre espoir le plus secret, elles ont oublié le bouquin le soir-même dans les loges et n’y ont plus pensé.) Que veux-tu que je devienne / si je n’entends plus ton pas/ Est-ce ta vie ou la mienne / qui s’en va, je ne sais pas chantaient Victor Hugo et Julia de concert dans une déchirante mais sublime harmonie.
Monument ordinaire sera l’album du deuil, de la perte. Le récit de la révolte désespérée le couteau à la main/tatoué pour hurler face au ciel vide et son silence. En français, à nouveau, la langue qui touche à l’intime, après un temps de deuil en allemand avec Kompromat pour Julia. On marche sans jamais rentrer d’une telle promenade chantent les Mansfield-Castorp (on partage avec elles un amour profond pour La montagne magique). L’album des larmes (on ne se remettra ni du Parfum des Vautours, ni de La Tempête), du Sang qui coule dans (nos) veines, mais aussi des rires partagés qui ne se prennent jamais au sérieux (ré-écoutez la deuxième voix de Ni Mortes Ni connues ou ce Dorénavant qui devient mantra rave en live sur Auf Wiedersehen). L’album de la vie aussi, du Premier Bonheur du Jour Hardy-en qu’évoque pour nous de petites mains sous le soleil d’or de Petite Italie, de la danse-communion à laquelle invite ce nouveau live qu’on pourra découvrir à l’Antipode ce jeudi soir (on triche, on les a déjà vues à Lorient et Laval).
On ne mentira pas, on aime Carla Pallone et Julia Lanoë d’amour. Et à chaque nouvelle sortie, à chaque nouveau set live, on aime à entendre ce qu’elles ont à proposer, découvrir vers quelles nouvelles contrées elles se sont aventurées ou celles qu’elles ont revisitées. On sourit d’ailleurs en remarquant que depuis quelques albums le titre qui finit le live précédent est celui qui commence le suivant, des années plus tard. Si l’on se souvient bien (on peut se tromper) Cerbère finissait le live de Nyx et débutait celui de Corpo Inferno. La nuit tombe finissait celui de Corpo Inferno et commence celui de Monument Ordinaire, comme un chemin que Julia et Carla tracent pour nous et avec nous. On ne se remettra jamais de ces frissons tenaces, de cette chance immense d’avoir été témoin de cette alchimie aussi fragile que puissante. Carla et Julia ont dit que cette tournée serait la dernière, qu’elles mettraient fin à ces vingt années déjà éternelles de Mansfield avec ces derniers concerts. On les aime trop pour leur en vouloir et pour ne pas comprendre (on croit) l’envie de s’arrêter. On murmure juste… Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Mansfield.TYA et Gwendoline seront en concert le jeudi 31 mars 2022 à l’Antipode(La Grande Scène) – COMPLET
Ouverture des portes : 20h00 – Début des concerts : 20h30 – Tarif – Pass Sortir !* : 5€/ Abonné·e offre Admit : 15€*/ Prévente : 17€/ Sur place : 20€