A la veille du dévoilement complet de la programmation du Festival Maintenant qui aura lieu du 4 au 13 octobre prochains, on poursuit notre découverte des étonnantes propositions artistiques au programme du festival cet automne. Focus aujourd’hui sur trois expériences à vivre pendant le festival. Vous pourrez en effet vous transformer en compositeur de musique électro-acoustique des années 60, devenir clubber de Maintenant et demain et vivre un voyage sensoriel inouï la tête sous une lampe.
Maintenant, c’est quoi ?
L’association Electroni[k] propose différentes manifestations à Rennes, notamment pendant le temps fort Cultures Electroni[k], renommé Maintenant depuis 2013 (à ce propos, lire ici), autour des arts, de la musique et des technologies au travers de spectacles ou installations variés et souvent atypiques, mais toujours d’une réelle qualité artistique. Cette année Maintenant aura lieu du 4 au 13 octobre 2019.
Au fil des années, l’association Electroni[k] a ainsi complètement réussi à nous alpaguer avec ces propositions éclectiques, souvent décalées, à l’incongruité jouissive. A cause de cette bourricote d’équipe, on a dormi dans un dojo plein d’inconnus et écouté un concert en pyjama, on a entendu des légumes faire de la musique (mais on n’a pas mangé la soupe, faut pas exagérer!), on s’est caillé les miches dans la piscine St Georges pour une diffusion subaquatique qui nous a fait frissonner au sens propre et figuré, on a écouté un quatuor à vents en forme de cornes de brume. On a aussi regardé une tapisserie devenir vivante, fait des bulles en forme de montgolfières, et même allumé un nuage sur la place Hoche : bref, on a fait un paquet de trucs qu’on n’aurait jamais imaginé vivre.
En plus des offres plus classiques, Electroni[k] s’attache ainsi à constamment expérimenter de nouvelles formes d’accueil et d’interaction avec le public : des lieux apparemment incongrus (une piscine, un dojo, une maison de retraite…), des formats étonnants (des concerts sous l’eau, des installations qui s’écoutent sur des lits suspendus, des performances qui se découvrent au cœur de dispositifs sonores englobants ou de visuels hallucinants, des concerts au casque…). Et surtout, une volonté de s’adresser à tous les publics. Alors oui, chaque année, on attend octobre comme Noël avant l’heure, persuadés que l’équipe d’Electroni[k] aura caché mille surprises dans sa programmation.
La tête sous la lampe avec Pandora Live de Molécule
On se souvient de Physical Mind de Teun Vonk l’an dernier à l’Opéra de Rennes, où le festival nous avait invité.e.s à une étonnante expérience, à la croisée des sciences, du design et des arts : on y était allongé, le corps pressé entre deux énormes coussins lumineux, pris en sandwich dans cette installation participative conçue pour nous amener à retrouver la complète perception de toutes nos sensations mais également pensée à la fois comme rempart à et source de l’état de stress. Avec Pandora Live, on revient à cette expérience physique, d’immersion totale dans l’œuvre, à la frontière de l’artistique et du thérapeutique.
Imaginez cette fois venir vous allonger sur une natte, la tête sur un coussin pour écouter un live de musique électronique les yeux fermés. Au dessus de votre visage est suspendue une lampe Pandora, autrement dit une lampe neuro-stimulante qui fonctionne par effets stroboscopiques. Celle-ci agit sur votre glande pinéale et modifie votre état de conscience. Votre perception de la musique est alors totalement différente, et votre expérience d’écoute se trouve modifiée. Si on a tout compris, cette étrange lampe diffuse en effet un flux de lumière avec différentes ondes vibratoires (de 0.1 à 200 Htz correspondant aux ondes cérébrales Delta à Gamma) stimulant la glande pinéale (responsable de la régulation des cycles circadiens veille/sommeil) et induit chez celui qui s’y abandonne des états de conscience modifiés, et donc influe sur sa réception du live qu’il est en train de vivre.
Explorateur dans tous les sens du terme, Romain Delahaye, alias Molécule, nous propose cette expérience en étroite collaboration avec Alexandre Quaranta, spécialiste des lampes Pandora, souhaitant explorer cette fois-ci les mondes intérieurs plutôt que les ailleurs lointains. Le garçon avait en effet enregistré son album 60° 43’ Nord (2015) sur un chalutier en haute mer avec des fuites partout dans sa cabine, dans l’idée de réaliser un long format imprégné des sons d’un environnement extrême. Avant de remettre ça avec –22.7°C (2018), album un rien givré, réalisé dans un village perdu du Groenland, dans des conditions pour le moins éprouvantes. Bref, Molecule est un fondu d’expériences et d’expérimentations inattendues et vous propose de vivre avec son comparse un voyage musical éminemment personnel et une expérience intime plutôt stupéfiante.
Devenez compositeur d’électroacoustique en 2 temps 3 mouvements avec l’Apparatum de PanGenerator
On est déjà raide dingue d’Apparatum, présenté au Théâtre du Vieux St Étienne pendant tout le festival, mention d’honneur du PrixArts 2019 d’Ars Electronica dans la catégorie “Digital Musics & Sound Art”, étonnante machine conçue et réalisée par le collectif polonais PanGenerator, rassemblant les designers et artistes Piotr Barszczewski, Krzysztof Cybulski, Krzysztof Goliński et Jakub Koźniewski, estompant les frontières entre arts visuels, musique et ingénierie. Fascinant meuble-instrument au design minimaliste et référencé, l’installation Apparatum utilise une interface numérique pour produire un son complètement analogique où l’on parvient à quasi comprendre tout ce qu’on fait, tout en libérant sa créativité. Inspiré par le studio expérimental de la radio polonaise, l’un des tous premiers studios au monde à produire de la musique électroacoustique, Apparatum vous invite à devenir vous même créateur.rice.s de musique expérimentale, à la manière des pionniers du studio de Varsovie.
D’abord, le design avec ces cadres en acier : ce dernier s’inspire du travail d’Oskar Hansen (architecte, designer, artiste, sculpteur, pédagogue novateur et on en passe qui travailla au contact de Fernand Léger, Pierre Jeanneret, Picasso, Le Corbusier et développa le concept de Forme Ouverte, autrement dit une architecture ouverte, participative, avec des espaces qui peuvent être au besoin modifiés par les habitants – concept qu’il transposa également à l’éducation) qui, au début des années 60, avec Józef Patkowski et l’acousticien Witold Straszewicz, conçut le studio expérimental de la radio polonaise. L’idée était d’y favoriser au maximum la flexibilité de l’espace et de donner la possibilité aux artistes et aux ingénieurs du son de le modifier constamment (qu’il s’agisse des qualités acoustiques du studio, en bougeant des panneaux colorés et des rideaux mobiles sur les murs, par exemple, ou de l’équipement technique et musical utilisé : on pouvait notamment déplacer une grande partie de l’équipement car il était suspendu à un essieu tournant horizontalement au-dessus du centre du studio).
Suivant la même idée (Oskar Hansen avait choisi des panneaux et des éléments colorés, qui transformaient le musicien en « sculpteur » et « peintre » , son choix d’arrangements des différents éléments du studio devenant action sur l’espace et sur le visuel du studio -mais aussi dans un but de faciliter le travail de l’artiste qui pouvait « enregistrer visuellement » la disposition de son équipement une fois celle-ci en adéquation avec son choix musical) de rendre les choses les plus visibles et donc lisibles possibles, le collectif PanGenerator a décidé d’utiliser le travail de Bogusław Schaeffer. Ce dernier, a notamment conçu son propre langage visuel musical à partir de symboles (qui transmettait les indications à l’ingénieur du son responsable de la production de la pièce musicale), fabriquant d’étranges partitions musicales, particulièrement visuelles, notamment pour la Symphonie – musique électronique qui a inspiré musicalement et graphiquement l’Apparatum. L’interface numérique sur laquelle vous allez pouvoir composer reprend ces symboles, d’une manière intelligemment explicite. Vous pourrez ainsi créer votre propre partition sans avoir besoin de vous fader le moindre cours de solfège.
Oubliez également les incompréhensibles manuels accompagnant la prise en main des synthétiseurs modulaires et autres diaboliques machines avec Apparatum. Avec l’installation des Polonais, la création électroacoustique devient ludique et facile. Tout en respectant les techniques de composition et les qualités analogiques du studio expérimental. Le studio de la radio polonaise utilisait principalement la bande magnétique pour composer, notamment en jouant sur le timbre, la dynamique et la hauteur des sonorités. L’idée était essentiellement de manipuler les sons analogiques physiquement (en éditant, en coupant et collant les bandes magnétiques) et électroniquement (à l’aide de filtres et de générateurs) ; PanGenerator a donc choisi de créer deux types «d’échantillonneurs» sur la partie supérieure de son Apparatum : deux boucles de bandes magnétiques à deux pistes et trois échantillonneurs linéaires à bande simple juste au-dessus. Pour fabriquer les sons et les tonalités, Apparatum utilise aussi des générateurs analogiques optiques basés sur des disques en rotation avec des motifs graphiques. Vous pourrez ainsi vous transformer en compositeur.rice de musique electro-acoustique en un clin d’œil et même à la fin de votre performance récupérer la partition et un lien vers le fichier mp3 enregistré de votre œuvre, Apparatum éditant à chaque manipulation une impression de votre travail.
Tout en se basant sur des concepts pointus, la recherche expérimentale et en se faisant passeur d’un passionnant héritage historique, le collectif PanGenerator parvient à mettre entre nos mains un objet époustouflant de simplicité, de lisibilité, au service de la créativité de chacun.e. C’est intelligent, ludique, simple. Vivement qu’on puisse s’y essayer. On adhère et on adore.
Cera Khin et Errorsmith : techno hors piste pour le retour de la Nuit Électronique
Clubber.euse.s, oreilles curieuses aux fourmis plein les jambes, amateur.trice.s de nouveaux sons et de têtes chercheuses pour dancefloor, rendez-vous à l’Antipode MJC le samedi 5 octobre pour le retour de la Nuit Électronique. L’une des (nombreuses) facettes du kaléidoscopique festival Maintenant reflète en effet les myriades irisées qui illumine(ro)nt maintenant (et demain) les nuits électro et techno de leurs productions racées et pointues. Pour ses soirées clubbing, Maintenant aime ainsi concocter des programmations exigeantes, alliant talents en devenir, têtes chercheuses et efficacité sur le dancefloor avec des artistes emblématiques d’une recherche actuelle, qui parlent tout autant à la tête qu’aux jambes, histoire de danser toute la nuit sur un futur en train de s’écrire, notamment lors des soirées Nuit Électronique… On commence avec deux des artistes programmés cette nuit-là.
On y découvrira la désormais berlinoise Cera Khin, infatigable globetrotteuse des dancefloors de la planète clubbing, pour un dj set qu’on pressent aussi passionnant qu’efficace. Responsable d’une émission mensuelle sur la radio de Bristol Noods, tête chercheuse et pensante de son propre label Lazy Tapes, véritable trapéziste des platines, la tuniso-berlinoise voltige en effet habilement de genres en genres, proposant des sélections superbement racées de l’early rave au dancehall, de l’électro à l’indus, d’Eliane Radigue à l’aciid, de l’Ethiopian à la jungle… Et on en passe forcément.
Parfois c’est aérien, parfois ça cogne à 150 bpm, parfois ça dub, parfois ça s’enfonce dans des nappes et des basses cradingues pour émerger sur un hip hop au flow de dynamite. Cera Khin mixe ce qu’elle veut, mais sous-tend surtout chacun de ses sets d’une pulsation profonde et enthousiasmante qu’on a fort envie de suivre jusqu’aux profonds méandres de la nuit.
Dans le genre endurant, Errosmith se pose également là puisque Erik Wiegand hante les bacs de Hardwax et les pistes des clubs depuis 1996 tout en se tenant à l’abri de tout exercice promo et de toute mise en lumière (seule la sortie de son dernier album en date a été un poil médiatisée). Que ce soit sous le nom d’Errosmith qu’il a repris en 2015 pour son travail avec Mark Fell sur le EP Protogravity, après deux albums solos en 2002 et 2004, ou avec ses collaborations emblématiques MMM (avec Fiedel du Berghain) et Smith N Hack (avec Soundstream, alias Soundhack), le Berlinois célèbre le club autant qu’il le pervertit, bousculant les codes avec autant d’intelligence que de jubilation. Car le garçon aime soulever les capots et plonger les mains dans les câbles plutôt que dans le cambouis et construit ses propres instruments à l’aide de Reaktor, un logiciel de synthétiseur modulaire, notamment en 2011 le synthétiseur Razor (développé par Native instruments), qu’il utilise pour mieux corrompre les codes de l’électro.
Pour preuve, Superlative Fatigue, son dernier album en date (Pan, 2017), ovni de débauche électro totalement délirant où les vocaux sont le fruit de synthèse vocale, liens étranges entre l’homme et la machine, qui tissent des rythmiques bizarres étonnamment rafraîchissantes. En même temps au cœur de la recherche expérimentale et complètement tourné vers les clubbers auxquels il propose une expérience immédiatement accessible mais renouvelée en profondeur, Errorsmith propose un live inattendu, radical dans ses intentions. Sur scène, le garçon utilise donc les outils digitaux qu’il a élaborés pour improviser des beats exubérants, en même temps hilarants et puissants. C’est en même temps plein d’humour et de machines, de jovialité jubilatoire et d’une redoutable efficacité pour ce qu’on a pu en voir. Préparez vous à être remué.e.s par la puissance des zygomatiques (mais crispés comme Aphex) et concassé.e.s du bassin. C’est du moins tout le mal qu’on vous souhaite.
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En 2019, Maintenant aura lieu du 4 au 13 octobre à Rennes.