Maintenant 2015 – Résonances sonores avec Hildur Guðnadóttir & Lubomyr Melnyk

Hildur Gudnadottir by Antje Taiga Jandrig

On ne va pas vous mentir : quand le nom d’Hildur Guðnadóttir a émergé du programme de cette nouvelle édition du festival Maintenant, on a manqué de défaillir d’excitation soudaine. Et pour cause : l’Islandaise (celle qui n’annule pas -enfin on espère-) nous a en effet maintes fois strié les chairs et l’âme à coups d’archet tout aussi déchirants que lumineux. La violoncelliste sera à Rennes pour deux soirées juste immanquables. Si vous ajoutez qu’à la première, le mercredi soir, on pourra également entendre l’incroyable pianiste Lubomyr Melnyk, vous comprendrez qu’il faut dès aujourd’hui réservez vos places pour les mercredi 14 et jeudi 15 octobre. Explications.

Expérience : le concept

Dans la foisonnante programmation du festival Maintenant, vient se nicher un septuor de propositions particulièrement singulières. La série Expérience consacrée «à la découverte de formes expérimentales et vitrine des avant-gardes» vous emmènera ainsi dans de délicieuses explorations de territoires sonores atypiques, parfois déconcertants, mais toujours excitants pour les oreilles et le cerveau. Parmi ces propositions, deux laisseront le champ libre à la compositrice et violoncelliste islandaise Hildur Guðnadóttir, l’une des deux soirées permettant également à tous de (re)découvrir le pianiste ukrainien Lubomyr Melnyk.

Explorer les croisements entre musique classique et contemporaine

La nuit américaine - Electroni[k] - Herman Kolgen/Steve ReichA l’origine de Cultures Electroni[k]/ Maintenant, la musique électronique était vraiment l’un des axes centraux autour duquel se retrouvaient les instigateurs du projet. Mais au sens large. Avec une volonté de jeter des ponts, d’éclairer constamment les liens entre musique électronique et d’autres esthétiques ou familles musicales. On se souvient avec émotion d’un cycle passionnant autour des compositeurs minimalistes/répétitifs américains (Philip Glass, Terry Riley, Steve Reich, John Adams) avec l’Orchestre de Bretagne lors des dernières éditions, soulignant l’influence du minimalisme américain (pour dire vite) sur les musiques électroniques actuelles (techno entre autres).

En 2013, l’association Electroni[k] continuait d’explorer les croisements entre musique classique, contemporaine et électronique : l’équipe avait convié l’Orchestre Symphonique de Bretagne pour s’intéresser cette fois-ci à la nouvelle génération de compositeurs américains, attachés à mélanger dans leurs œuvres musiques électroniques et orchestre (Jeff Mills, Nico Mulhy, Mason Bates…).

Link.C - maintenant 2014 - Photo Mr B alter1foPour cette nouvelle édition, c’est la même volonté qui sous-tend les venues de l’Islandaise et de l’Ukrainien. « On retrouve cet axe (…) avec la soirée qui rassemble Hildur Guðnadóttir et Lubomyr Melnyk, deux artistes dont la musique n’a rien d’électronique, mais dont l’univers poétique et virtuose nous semble totalement en phase avec ce qu’on défend » précisaient ainsi Cyril Guillory, Gaétan Naël et Yves-Marie Guivarch en interview pour Konbini.

Hildur Guðnadóttir

Repérée au départ dans le groupe de pop expérimentale Mùm (et même pas au violoncelle) et gravitant dans la scène expérimentale autour du Kitchen Motors (initié par Kristín Björk Kristjánsdóttir, Jóhann Jóhannsson et Hilmar Jensson, ce laboratoire d’idées foisonnant était à l’initiative de collaborations, de concerts, de performances, de films, de livres, d’émissions de radio et on en passe) et du magasin et label 12 Tónar, Hildur Guðnadóttir est d’abord connue pour participer à des projets collectifs. On la trouve aussi bien aux côtés de Pan Sonic, d’Hauschka ou Ben Frost (excusez du peu), à l’écriture de choeurs pour Throbbing Gristle dans un rôle passionnant de médiatrice entre musique improvisée et musique écrite (« C’était vraiment intéressant de trouver un moyen de faire l’intermédiaire entre des gens aussi ouverts et flexibles [que Throbbing Gristle] et des gens qui ont l’habitude qu’on leur dise exactement quoi jouer. Je fais les deux, écrire et jouer de la musique à partir de partitions ou improviser. En quelque sorte j’étais justement entre ces deux mondes : c’était donc un vrai plaisir à faire mais également un challenge » -interview pour Shape-), invitée par Nico Mulhy, Angel ou Jóhann Jóhannsson. Et on ne cite pas tout. En parallèle, la jeune femme compose également pour des installations, des performances, des spectacles de danse, le théâtre ou le cinéma… Mais se produit et compose également en solo.

Hildur Gudnadottir Without SinkingPourtant au départ, c’est sous le pseudonyme Lost in Hildurness qu’elle sort son premier long format Mount A, bien trop timide pour le faire sous son propre nom. D’autant que le passage à l’album solo, composé volontairement avec le moins de participants possible, « était comme apprendre à se connaître d’une manière que je n’avais jamais expérimentée, très personnelle » souffle Hildur Guðnadóttir pour The out door. Voire intense. Après un premier temps à New York, la jeune femme s’enferme dans l’obscurité d’un hiver rigoureux, perdue dans la campagne et dans une certaine solitude pour livrer ce premier essai. Une mise à nue d’abord parue en 2006 sur 12 Tónar avant que le label Touch n’en propose une nouvelle sortie remastérisée en 2013. Car, entre temps, Jóhann Jóhannsson a glissé une copie de l’album au patron du label Touch qui se propose très naturellement de sortir les prochains disques de la jeune femme.

C’est donc sur Touch que sort l’essentiel Without Sinking 2009. Déflagration intérieure alliant l’immobilité du calme aux tempêtes sanguines internes qui cavalcadent soudain à son écoute (Erupting Light laisse même exsangue), le disque se révèle d’une intensité à couper le souffle. Tout en laissant le temps de la respiration à chaque note, l’espace s’agrandissant de chaque résonance. Les contrastes s’y emmêlent, bondissant et glissant de notes claires en lourdes masses sonores. Le violoncelle fait corps avec les processeurs, acoustique et technologie fusionnant dans un même mouvement.

Hildur Guðnadóttir s’intéresse en effet énormément aux outils technologiques (la jeune femme déménage à Berlin pour étudier la musique électronique et la programmation à l’Université des Arts berlinoise), passant même une année entière à triturer ses machines et à ne produire que des sons digitaux. « Quand on programme, on peut passer une semaine à écrire du code, une autre pour obtenir un bleep. Des sons frustrants au final, peuvent avoir demandé un processus de création long et fatigant. J’ai donc repris mon violoncelle. Et j’ai été ravie d’obtenir des sons immédiats. »

En plus d’intégrer les techniques offertes par la technologie à la composition (sampling, looping…), la musicienne islandaise, passionnée par l’acoustique, la résonance physique  du son et sa spatialisation a aussi participé à la création d’instruments inouïs avec ses amis tels ce violoncelle à résonance avec des capteurs rattachés à chacune des cordes, une enceinte au dos et un mécanisme de larsen, ou encore Ómar, violoncelle étonnant créé avec Hans Jóhannsson qui permet à la musicienne d’être libre de ses mouvements quand elle joue. « Cela donne une autre dimension à mes concerts parce que j’ai plus de flexibilité. Je peux également attacher les caisses de résonances directement à l’instrument, ou les éparpiller dans l’espace. Il a également un filtre construit dans un petit morceau de bois. Je peux mettre des samples dans les filtres : par exemple je peux sampler un son du violoncelle et le mixer avec ce que je suis en train de jouer » expliquait-elle à la plateforme Shape.

Hildur GudnadottirLeyfdu Ljosinu paru en 2012 est également conçu autour de la réalité physique du son, de la manière dont il résonne dans l’espace et dans le temps. Pour cette raison, l’album sera disponible en plusieurs versions surround multi-canaux. Mais surtout sera enregistré dans les conditions du direct et du live (sans public) afin d’être fidèle à à la circulation du son dans le temps et l’espace. Pour Saman, son dernier album en date, la jeune femme a poursuivi son travail sur les résonances en mettant cette fois-ci davantage le chant en avant.  « Quand on grandit en jouant d’un instrument tel que le violoncelle, on a cette énorme caisse de résonance plaquée au corps. On peut sentir la résonance du bois. C’est pareil avec la voix. Quand on chante, tout le corps résonne et en fait on devient un peu comme une gigantesque caisse de résonance du son qui est produit » explique-t-elle à Shape, poursuivant sur The Out Door : « J’ai chanté pendant toute ma vie [notamment d’ailleurs avec Mùm], mais sur mes deux premiers albums, je cachais les voix. Elles sont désormais présentes pour épaissir le tissu sonore du violoncelle. La voix et le violoncelle ont une gamme de fréquences très proches et je trouve fascinant d’essayer de les mélanger ensemble. Elles se fondent vraiment l’une dans l’autre pour ne faire qu’une » précise-telle à OndaRock. De fait, Saman, le titre de l’album (ensemble) souligne volontairement le mélange de la voix et du violoncelle entrés en résonance.

On ne sait de quel instrument Hildur Guðnadóttir jouera pour Maintenant, mais on a hâte de découvrir de quelle manière elle s’amusera des résonances de l’espace et du son dans les différents lieux où elle se produira (l’église Notre-dame-en-saint-Melaine le mercredi, le musée des Beaux Arts le jeudi). On est cependant d’ores et déjà sûr que les vibrations de ses cordes, vocales ou non, résonneront profond sous les épidermes des festivaliers.

Lubomyr Melnyk

Lubomyr Melnyk - in Peters kitchen in Berlin_photo by Martyn HeyneLubomyr Melnyk aime tout autant les résonances puisque le pianiste a développé tout au long de sa vie une technique de jeu au piano basée sur des notes très rapides, combinées dans des séries complexes qui créent une sorte de tapisserie de sons, un flux continu et ininterrompu de notes. Habituellement jouée en appuyant sur la pédale de sustain du piano, pour encore ouvrir davantage le spectre des harmonies et des résonances, la continuous piano music plonge l’auditeur dans des méandres aux ramifications infinies. Venu du classique, Lubomyr Melnyk, hippie diplômé de philosophie, vient s’installer à Paris au tout début des seventies. Il y devient pianiste dans les classes de danse de la chorégraphe Carolyn Carlson à l’Opéra de Paris : « Vous ne pouvez pas jouer une valse de Chopin pour de la danse moderne. Ça ne fonctionnera pas. J’ai donc dû créer quelque chose de neuf et frais chaque jour, pour chaque cours. »

Lubomyr-Melnyk-live-photo-by-Fabio-LugaroIl mêle alors deux influences distinctes pour créer sa continuous piano music : « Je sentais qu’Haydn était le compositeur absolu, la quintessence du classique parce qu’il réduisait le classique à ses plus simples éléments. J’ai aussi été beaucoup marqué par le In C de Terry Riley, que tous les hippies écoutaient à l’époque » explique-t-il. Marqué au fer rouge par « la sublime sérénité et la transcendance » de la  musique continue créée par Riley, Lubomyr Melnyk s’immerge corps et âme dans ce nouveau langage musical qui s’offre à lui.

Re-découvert par la jeune génération grâce aux sorties de ses disques sur Erased Tapes, le label de Nils Frahm, Lubomyr Melnyk obtient désormais une notoriété internationale à 65 ans passés et est également connu pour ses records de virtuose, dont on doit le dire, on ne soucie pas particulièrement par ici (jouer 19 notes par seconde de chaque main est certes impressionnant mais davantage preuve de virtuosité et de technique que d’émotion musicale). On se trouve bien plus intéressé par les recherches du pianiste autour de la composition et du timbre, des harmoniques et des rythmiques ou de l’immersion du public dans la musique (l’homme rêve de plonger l’auditeur dans un océan de sons en utilisant des haut-parleurs tournoyant à toute vitesse autour des spectateurs pour permettre à tout un chacun d’expérimenter la musique continue à un autre niveau).

On gage en tout cas que Lubomyr Melnyk risque de faire chavirer bien des oreilles ce mercredi.

Retrouvez ici tous nos articles sur Maintenant avant, pendant et après le festival.


Maintenant 2015 présente :

Expérience 2 avec Hildur Guðnadóttir et Lubomyr Melnyk mercredi 14 octobre en l’église Notre Dame en St Melaine (Place St Melaine, Rennes) à 20h (tarifs de 3 à 7 euros);

Expérience 3 avec Hildur Guðnadóttir jeudi 15 octobre au Musée de Beaux-Arts (20 quai Emile Zola, Rennes) à 20h (entrée gratuite, réservation obligatoire par e-mail à bileterie[at]electroni-k-.org ou au 06 22 22 39 58).

Plus d’1fos : http://www.maintenant-festival.fr/

Maintenant aura lieu du 13 au 18 octobre 2015.maintenant-festival


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