Au cours de ces dernières années, Rennes a vu plusieurs librairies indépendantes mettre la clé sous la porte. Nous pouvons en citer quelques unes : le Chercheur d’art, la Comédie des Langues, Alphagraph de la rue d’Échange et dans un tout autre registre, la très ″sainte″ librairie Saint-Germain. La liste est loin d’être exhaustive ! Et même si le marché du livre avait repris du poil de la bête à partir de 2015, il nous semblait quand même que les indépendants souffraient de plus en plus d’une concurrence (déloyale ?) pouvant prendre de multiples visages : grandes surfaces culturelles (type Cultura…), e-commerce (type Amazon…), sans oublier l’éclosion des nouvelles formes de consommation de la littérature (type liseuse électronique, e-books… )
Malgré ce constat morose peu avenant, en plus de l’installation récente au 14 rue du Docteur Joly d’une librairie proposant un éventail de livres anciens, nous avons pu apprendre récemment que deux autres librairies allaient ouvrir très prochainement. Serait-ce donc la fin d’une malédiction ? La première , « La Nef des Fous », se situera rue Poulain-Duparc et se spécialisera dans la bande dessinée. La seconde, « La nuit des temps », au 10 quai Emile Zola, se voudra plus généraliste mais avec deux thématiques particulièrement mises en avant, le féminisme et l’écologie. Ce projet mené par Solveig et Ayla prendra véritablement son envol à partir du 1er Août, date de l’ouverture.
Après une campagne de financement participatif réussie, preuve d’une véritable attente des rennais⋅e⋅s (NDLR : plus de 5400€ récoltés sur le site ulule), les deux jeunes femmes expliquent avoir bien étudié le marché avant de se lancer. L’idée est donc bien de durer et d’écrire une nouvelle histoire dans la Cité. Interview avec Solveig et Ayla, bien occupées à terminer les travaux de finition du local.
► ALTER1FO : La librairie est l’un des commerces de détail qui souffre le plus depuis la crise et le développement des commerces en ligne. Malgré cela, vous tentez l’aventure… Pouvez-vous nous expliquer la genèse de ce projet de nouvelle librairie ?
SOLVEIG & AYLA : Oui, le livre souffre des géants type Amazon mais on remarque depuis quelques années une augmentation du chiffres d’affaire du livre. Rennes est une ville en pleine expansion où il n’y a pas eu d’ouverture depuis la reprise de Chapitre en 2013, malgré la fermeture de Virgin. De plus, la population ne cesse d’augmenter et la ligne LGV Rennes-Paris va continuer de faire augmenter ce chiffre. Rennes est une ville qui a la chance d’avoir deux grandes librairies indépendantes et de multiples librairies spécialisées mais aucune de taille intermédiaire. Après l’étude de marché, nous avons pu conclure qu’il y avait une attente de la part de la population pour une librairie à taille humaine, chaleureuse, conviviale et bienveillante.
Pour que les banques acceptent de nous suivre, nous avons déjà commencé par prendre un courtier. C’est lui qui nous a soutenues et conseillées sur la constitution du dossier, avec également notre expert comptable. Grâce à eux, le dossier qui est parvenu aux banques était cohérent en termes financiers (et c’est surtout ça qui fait peur aux banques en général). Nous avons eu la chance d’avoir deux réponses positives et de pouvoir choisir la solution qui nous paraissait la mieux.
► Avec plus de 5000 références(1), que va-t-on pouvoir trouver dans vos rayons ? On parle ici ou là de librairie féministe, engagée… peut-on dire militante ?
La librairie sera généraliste ! On insiste beaucoup là dessus parce qu’on veut que personne ne s’en sente exclu, même ceux qui ne se reconnaissent pas dans les combats féministes ou environnementaux. Effectivement, notre rayon sciences humaines sera axé principalement sur ces 2 thématiques mais on y trouvera aussi autre chose !… Pour nous, le métier de libraire, c’est déjà un métier engagé. On a la chance de pouvoir mettre entre les mains des gens, des livres qui les feront réfléchir, découvrir de nouvelles choses et qui les aideront à affronter le monde qui les entoure.
On choisit les livres en fonction de nos lectures, de nos préférences, de notre « feeling », de nos envies et des gens en qui nous avons confiance et qui n’hésitent pas à nous recommander des titres. On mélange tout ça et PAF! , ça donne notre fond. Nous avons la chance avec Solveig d’être relativement d’accord sur tout. Après nous avons toutes les deux des rayons favoris. Pour Solveig, ce sera le polar et pour moi, la BD par exemple. On ne se concerte pas dès qu’il faut choisir un livre, on se fait confiance et cela suffit !
► Comment allez-vous encourager celles et ceux qui n’ont pas ou plus l’habitude de pousser la porte d’une librairie ?
En communiquant déjà ! Et puis, en sortant la librairie de ses murs ! Nous n’hésiterons pas à aller là où l’on ne nous attend pas. Des salons, des rencontres, des tables thématiques lors d’éventements particuliers. Et puis rien que dans la librairie, on souhaite casser ce côté un peu élitiste. Il y aura de la musique, nous n’y chuchoterons pas ! La librairie : c’est un lieu de vie et la vie, ça fait du bruit !
► Un mot pour décrire votre logo ; quel(s) message(s) doit-on y voir ?
Ah ah ah, c’est un très très grand secret (rires…) ! Il y en a certains plus visibles que d’autres. On y voit un arbre, un livre ouvert et le dernier, il faut réfléchir un peu… Notre graphiste Sophie Barel a fait un travail formidable !
► Pour finir, avez-vous chacune un livre « coup-de-cœur » à nous conseiller ?
SOLVEIG : « Bagdad la grand évasion » aux éditions Agullo de Saad Z. Hossain, un livre plus profond qu’on ne le croitAYLA : « Les dieux du tango » au Cherche Midi de Carolina de Robertis, un beau portrait de femme forte en Argentine au début du 20ième siècle.
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(1) [OUEST FRANCE] – Indépendante et militante : une nouvelle librairie démarre son histoire à Rennes
La Nuit des temps,
10 quai Emile Zola, Rennes
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