Dix ans tout juste après la sortie de son premier album, Lætitia Shériff revient avec un troisième long format Pandemonium, Solace and Stars qui défouraille les âmes à coups de pop rock intègre, à la fois nerveux et élégant, tout aussi furieusement désespéré que doux et salvateur. Avec, encore, la détermination de ceux qui savent que les chemins de traverse de l’émotion et de la sincérité sont les plus propices aux rencontres.
Parce que pour Lætitia, tout est d’abord, et peut-être surtout, question de rencontres. Des vraies, de celles qui vont vraiment jusqu’à l’autre. De musiciens bien sûr, notamment de son talentueux complice Olivier Mellano avec lequel elle enregistrera ses deux premiers albums. Des copains de Trunks ensuite, funambules qui éclatent les formats et culbutent les genres avec intensité, avec lesquels elle sort deux albums (Use Less 2007, et On the Roof, 2011).
Mais aussi de collaborations qui dépassent souvent le simple cadre musical (Noël Akchoté, Lydia Lunch & Bibbe Hansen…), dans lesquelles l’auteur-compositeur-interprète, avec sa bienveillante curiosité de l’autre, frotte sa musique à diverses formes artistiques : théâtre avec le précieux allié David Gauchard de la Cie L’unijambiste notamment (voir les magnifiques sorties discographiques sur Idwet : Often False avec Thomas Poli et François Jeanneau, A Midsummer’s Night avec Robert le Magnifique et Thomas Poli en 2011), danse pour 4’30 du chorégraphe Hervé Koubi (2005-2007), films documentaires (Communauté 28 d’Hélène Desplanques, Les Chevalières de la Table Ronde de Marie Hélia) ou de fiction (le court métrage Annonce de Julie Henry, mais également son ciné-concert habité et poignant Sa majesté des Mouches – Peter Brook-, qui retourna le cœur et les sangs de tous ceux qui purent y assister – voir là).
C’est pourtant seule (ou quasi, puisqu’on retrouve tout de même Thomas Poli à l’enregistrement) que Lætitia Shériff réalise Where’s my I.D. ? en 2012, ep autoproduit, en prise directe avec les dérives de nos sociétés. Quatre titres qui se révèlent aussi salvateurs pour l’auditeur (réécoutez cette tuerie déchirante de To Be Blue qui met du baume à l’âme) que nécessaires à Lætitia pour poser les bases de ce que sera son troisième album, Pandemonium, Solace and Stars (Yotanka, Impersonal Freedom, Differ-Ant, Wiseband, sortie ce lundi 13 octobre 2014).
Comme confortée par la réalisation de cet ep quant aux directions à suivre pour l’album, Laetitia Shériff choisit l’essentiel Thomas Poli pour son talent à enregistrer « au plus près des êtres ». Au plus près de qui elle est vraiment. De sa voix, émouvante en diable, de ses doigts sur les cordes de sa guitare basse ou baryton. Mais également de la frappe aussi massive que subtile de Nicolas Courret derrière les fûts (Bed, Headphone, Eiffel et avec qui elle a déjà joué sur la tournée Games Over). Ou encore sur trois titres tout bonnement bouleversants, des cordes sensibles de la violoniste Carla Pallone (Mansfield.Tya, Vacarme – oui, Carla, tellement mieux avec le violon…). Un enregistrement à la maison, un lieu « pas vraiment adapté [(…) Mais on l’a fait quand même. »], étalé sur plusieurs mois, un temps (final) de gestation et d’enregistrement relativement long, pour se laisser du temps. Le temps d’être au plus juste, au plus près. D’elle-même, des autres aussi.
Notamment de chacun d’entre nous, aux prises avec une actualité qui vient bousculer nos vies, marquer nos quotidiens de lacérations de désespoirs et d’un sentiment d’impuissance : actualité exposée dans les médias, disséquée dans des documentaires glaçants (Le monde selon Monsanto, Jesus Camp) que la jeune femme tente de mettre en relief et à distance par une plongée dans les œuvres d’anticipation (1984 d’Orwell en tête, comme livre de chevet, mais également La Route de Cormac Mc Carthy/John Hillcoat pour n’en citer que quelques uns).
Pandemonium (capitale de l’enfer), Solace (apaisement) et Stars : trois thèmes que Lætitia Shériff concentre en un seul et même album, un lieu imaginaire situé entre Ciel, Terre et Enfer, où espoir et empathie offrent une échappatoire aux brouillards poisseux d’une crise aussi économique que politique ou écologique. On y croise des vies cramées par l’étourdissement d’un travail en 2/8, 3/8 et toute une cohorte de living dead blessés dans leurs corps et dans leurs âmes, des révoltes salutaires et des combats Tolkien-iens entre béton et arbres bitumés. Parfois sublimés par la voix sépulcrale d’un Pete Simonelli (Enablers) rehaussée par des cloches lointaines. Mais aussi de l’empathie pour ces vies qui s’accrochent à côté de nous dans le silence d’un bruissement d’ailes, ou de pensées tourbillonnantes qui accompagnent nos chers disparus, trop vite, trop tôt. Lætitia nous avait dit n’avoir jamais écrit de chanson d’amour. On voudrait la détromper. Dans cet album, il est aussi question de cela. D’amour. De celui qui sauve. De celui qui soigne. De celui qui garde la main tendue à l’autre.
On pense encore plus fort à vous aujourd’hui.
Plein de bises.