A certains moments, la Route du Rock se transforme en dancefloor. Plus ou moins acharné et remuant, certes, selon les styles, mais l’on se souvient pour notre part de prestations de Four Tet, Chloé, Etienne Jaumet ou Caribou qui nous avaient particulièrement emballés récemment. Quid de cette édition ? Petit aperçu du côté électro de la force.
L’année dernière, le festival était extrêmement heureux d’accueillir Richard D. James, entendez Aphex Twin, légente vivante de la planète électro, pour une fin de soirée à coups de beats concassés, souvent malades et explosifs. Cette année, c’est Squarepusher, une autre figure essentielle de la musique électronique qui terminera la première nuit au Fort St Père. Au même titre qu’Afx, le musicien britannique a participé aux heures les plus glorieuses de Warp (fin des 90’s, début 2000) et compte dans sa discographie parmi les albums les plus essentiels du sous-genre qu’on a curieusement appelé IDM (Intelligent Dance Music – le reste c’est pour les cons ?).
C’est justement Aphex Twin qui a pris le musicien sous son aile à ses débuts puisque c’est sur Rephlex (le label d’Afx) que Squarepusher sort un premier album fort justement remarqué (Feed me weird thing) en 1996. L’homme, qui est aussi un excellent bassiste au départ -et batteur également- y conjugue des amours a priori antinomiques : le jazz des Jaco Pastorius, Miles Davis ou Art Blakey entre autres et la drum’n bass. Il en ressort un mélange assez explosif entre virtuosité et sonorités jazz, constructions alambiquées, rythmes disloqués et totalement fêlés (une attention extrême est portée à la composition rythmique) que Tom Jenkinson continuera à développer dans ses albums suivants (notamment Burningn’n Tree ou Hard Normal Dadd, 1997, également considérés comme indispensables de la Drill’n Bass).
Bon, tout, ça, vous me direz, ce n’est pas très évident à danser : ça martèle, ça slappe, ça déconstruit à tout va. Pourtant Squarepusher trouvera le succès sur les dancefloors peu après, avec un titre considéré comme une joke pour ceux qui trouvaient sa musique trop cérébrale : My Red Hot Car (sur Plastic Go, Warp, 2001). Pourtant l’homme n’a en rien perdu de sa capacité à produire des titres vrillés et des beats de travers, comme l’atteste Ultravisitor (Warp, 2004) qu’on apprécie particulièrement par ici : bruitiste, complexe, l’album alterne entre de courts passages d’ambient céleste, d’accalmies jazz et de lourdes basses telluriques, entrecoupés de stridences soniques ou de circonvolutions rythmiques denses bien barrées.
Le souci, c’est que sur les albums qui suivent, Squarepusher convainc moins et déçoit parfois avec des titres aux ambitions moindres quant à la recherche et à l’originalité. Cependant, sa dernière sortie, Ufabulum (Warp, 2012), semble pour beaucoup renouer avec le Squarepusher des débuts : Tom Jenkinson y retrouve sa capacité à breaker les rythmiques et fait preuve d’une toujours aussi époustouflante maîtrise technique, en travaillant notamment autour des sonorités analogiques des machines légendaires (808, 303 ou 909) et des textures sonores. Véritable réussite pour certains, moins convaincant pour d’autres qui lui concèdent une maîtrise exceptionnelle tout en rejetant ses aspects les plus convenus, c’est sûrement en live que l’on prendra la mesure réelle de la musique de Squarepusher. Car une chose est sûre : il reste l’une des légendes de la musique électronique et n’a en rien perdu de sa technique renversante. Il pourrait donc bien nous en mettre plein les oreilles vendredi soir…
Squarepusher – Fort St Père, à 2h15 vendredi 10 août.
Dans un tout autre style, les Américains de Chromatics devraient également transformer vos bottes en caoutchouc (rhôôo) en chaussures de clubber sur le dancefloor (qui a parlé de boue ?) du Fort St Père. Bien sûr, pas de turbines boostées 2.0, ni même de 4/4 on the floor dans l’escarcelle des Chromatics, mais plutôt une électro ensorcelante aux rythmes lents et lascifs. C’est que depuis que Johnny Jewel a rejoint les rangs du groupe (comme compositeur, producteur et musicien-batterie, guitare, claviers-), Chromatics a quitté les rivages post-punk de ses débuts (dont on n’avait absolumment pas entendu parler, on doit le dire) pour une électro cold et hypnotique. Le co-fondateur du label Italians do it Better (et également membre de Glass Candy ou Desire) remettant au goût du jour lenteur et sensualité italo disco, à la beauté sombre et perverse.
Avec la sortie de leur premier album avec Johnny Jewel (Night Drive, 2007 distribué en France en 2008), le groupe de Portland – pour dire vite ! – livre un album entre disco malingre aux beats lents et synthétiques et guitares ou synthés cold wave, habité par la voix à la fois sensuelle et glaciale de Ruth Radalet. Avec une surprenante reprise du Running up that hill de Kate Bush à la fois poignante et désincarnée. Aussitôt, blogosphère et magazines spécialisés s’affolent et toute sortie d‘Italians do it better est attendue fiévreusement. Il faudra pourtant attendre 5 ans pour que le successeur de Night Drive voie le jour.
Entre temps, pour la petite histoire, Nicolas Winding Refn (oui, Monsieur Drive) et Ryan Gossling avaient demandé à Jewel de travailler sur la bande originale du film qu’allait devenir Drive, en lui donnant Angelo Badalamenti et Brian Eno comme références. Les autres producteurs n’ayant pas donné leur aval au projet, c’est finalement Cliff Martinez qui reprendra le travail avec le succès qu’on lui connaît. L’instrumental Tick of the clock se retrouvera néanmoins sur la bande originale de Drive comme moindre consolation (tout comme un autre titre de Glass Candy). Du travail effectué pendant cette période et des idées destinées à cette B.O. Johnny Jewel tirera finalement un Themes fo an imaginary film (sous le nom de Symmetry, avec Nat Walker).
Composé entre Portland et Montréal (Jewel explique avoir deux studios identiques, l’un en noir à Montréal, l’autre en blanc à Portland –ici-), ce très attendu nouvel album Kill for Love (joué live avec guitare, basse, machines et batterie), peut être envisagé comme une « extension conceptuelle de Night Drive » (New Noise n°10). Ce nouvel album repose en effet sur cette même pulsation cardiaque hypnotique, ce spleen nocture noyé de reverb’ avec une alternance d’ambiances qui prennent le temps de se développer et de morceaux de pop viciée et dark. Là encore une reprise, de Neil Young cette fois-ci, Hey, Hey, My, My (Into the black). Et au final, 17 titres de synth-pop désincarnée et hypnotique. On laissera la conclusion à Johnny Jewel lui-même : « Night Drive voulait sonner comme un accident de voiture. Kill for Love est plutôt un bloc de ciment tombant depuis un pont dans l’eau » (Tsugi n°53). On souhaite juste que ce ne soit pas prémonitoire… Et que l’interprétation de Kill for Love dimanche soir ne se fasse pas sous l’eau…
Chromatics – Fort St Père, à 21h45 dimanche 12 août.
Quant aux dj sets, il faudra cette année encore compter sur les Magnetic Friends pour réchauffer l’ambiance entre les concerts (avec une petite cerise sur le gâteau, puisque Stephen Malkmus himslef (monsieur Pavement) les rejoindra le dimanche pour nous faire montre de ses talents de sélecteur. Mais si après cela, il vous en reste encore sous les semelles pour danser all night long, il vous reste une possibilité. Avant de rentrer pour un after improvisé au camping (éventuellement !), vous pouvez poursuivre la nuit à l’Escalier Club à St Malo les vendredi 10 et samedi 11 août avec deux dj sets estampillés Route du Rock (à noter : une navette est prévue les deux soirs pour rallier l’Escalier Club pour ceux que cela intéresseraient). Le vendredi, c’est Michael Mayer, l’un des djs emblématiques du son de Cologne qui mixera à partir de 2h30. Le vendredi, c’est Jamie XX (le gars de XX) qui s’y collera à la même heure.
Michael Mayer est l’un des plus importants djs représentatifs du son de Cologne. Venu d’Offenbach, il s’installe à Cologne à partir de 1992 et après avoir fait partie de l’activisme techno de la ville (magasin Delirium, maxis sur Ladomat, organisation de soirées,..), il co-fonde le label Kompakt en 1998. Ce qui n’était au départ qu’un magasin de disques pointu spécialisé devient progressivement une plate-forme de distribution essentielle et un label séminal reconnu internationnalement. Co-initiateur du son de Cologne (pour faire bref : mélange de techno minimale et d’une pincée de pop classieuse, relativement minimaliste et expérimentale), Michael Mayer sortira plusieurs maxis, un album (Touch, en 2004), ainsi qu’un album récréatif réalisé à 4 mains avec Superpitcher sous le nom de Supermayer (Save the world, 2007 ) mais aussi une série de mixes. On se souvient notamment de son set pour Fabric (Fabric 13, 2003), ainsi que de ses trois volumes d‘Immer (Immer, Immer 2, Immer 3). Connu pour ses sélections toujours pointues et classieuses, il devrait livrer un mix idéal pour vous emmener jusqu’au petit matin.
Le lendemain, c’est Jamie XX, aka Jamie Smith, membre essentiel de the XX, qui prendra les platines. Si l’homme s’est illustré par ses talents de producteur de dubstep (avec le maxi Far Nearer), on a tout autant acclamé ses collaborations (We’re New Here, 2011, avec Gil Scott Heron) ou ses remixes (Adèle, Radiohead, Glasser, Florence+the machine…). Mixant tout autant house, électro, dubstep, le Londonien devrait lui aussi vous tenir éveillés jusqu’aux lueurs de l’aube.
Michael Mayer – L’Escalier Club à 2h30 vendredi 10 août/ Jamie XX -L’Escalier Club à 2h30 samedi 11 août
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La Route du Rock aura lieu du 10 au 12 août 2012.
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