En s’essayant sur le terrain glissant du dictionnaire rock, Pierre Mikaïloff ne cherche pas la simplicité. En effet essayer de définir quelque chose dont le leitmotiv pourrait être « Une seule règle, pas de règle » est pour le moins cocasse. Le sous-titre « Punk Rock 1969-1978 » permet d’expliciter ostensiblement le propos de l’auteur. On ne s’intéressera ici qu’à la genèse du punk jusqu’à son explosion en 1976-1978.
Pierre Mikaïloff n’a pas participé au mouvement Punk proprement dit car il n’avait que 15 ans en 1977. Mais en devenant guitariste du groupe Pop, les Désaxés, il va côtoyer un certain nombre d’acteurs issus des cendres du mouvement Punk. Cette position privilégiée permet un certain recul Ô combien nécessaire pour faire le tri dans le grand bordel que fut le Punk des premières heures. En effet un œil averti se devra de trouver le fil directeur entre des groupes aussi différents que les Stooges, Le Velvet Underground, Television, Ramones, les Sex Pistols ou Sham 69, etc.
Un esprit malicieux dirait sans doute que pour ces ados boutonneux et autres parias, monter un groupe de Punk était une bonne occasion de se faire des filles (ou des garçons) et de se payer du bon temps à moindre frais. Là dessus, je leur répondrais premièrement que ces groupes ont quand même avec le temps, appris à jouer et même assez bien pour certains et que deuxièmement, le Punk fut loin d’être le paradis sexuel que les tenues affriolantes auraient pu laisser suggérer. Alors dans ce cas pourquoi se compliquer la vie ? Monter un groupe fade dans la lignée d’un Mark Knopfler aurait été sans nul doute plus confortable. Alors où se situe ce fil directeur, l’alpha et l’omega du Punk Rock ?
Pour contredire un Joe Strummer, le Punk ne vient pas du néant, l’année 1977 n’était pas l’an 0. On n’est pas dans le créationnisme divin, mais dans un processus purement Darwiniste. Les mêmes causes produisent les mêmes conséquences. Le Punk Rock trouve donc sa source dans plusieurs styles musicaux : le rock garage des sixties, le Glam Rock et le Pub Rock. Au milieu des années 70, le rock était devenu insipide et les ondes étaient gavées de Country Rock boursouflé, de rock progressif soporifique et les vieilles stars des sixties planaient bien loin du vulgum pecus. C’est ainsi que diverses scènes sont nées indépendamment les unes et des autres en l’espace de quelques mois. Il y a eu, New York, Londres, Manchester, Paris, la région de Cleveland et même Brisbane aux antipodes. Puis rapidement des liens ont été tissés entre ces différentes scènes, d’abord entre Londres et New-York, puis Cleveland et New-York, ensuite Londres et Paris et enfin de la Westway (quartier Ouest de Londres) vers le reste du monde (du titre d’un fameux documentaire sur le Clash !).
En quelques mois, le Punk va connaître un essor considérable avant de mourir de sa belle mort (la première). Le Punk Rock est un mouvement bicéphale. Il souhaite détruire le rock, ce qu’il est devenu et dans le même temps se nourrit des clichés du rock dont il est issu. Certains groupes réussissent un temps à vivre avec cette dichotomie, comme les Clash tandis que d’autres comme les Sex Pistols en meurent. Certains groupes vivent dans le mythe du Rock And Roll éternel avec ses avatars comme l’addiction aux drogues dures de ses membres (Heartbreakers) alors que d’autres (Wire, Subway Sect, Television) sont dès 1977, dans une vision plus neuve qui dépasse déjà le Rock et qu’on appellera bientôt la New Wave ou le Post Punk.
Pierre Mikaïloff en composant son dictionnaire de A à Z réussit le pari fou d’englober toutes ses diversités qui composent finalement le Punk Rock. Pour chacune de ses références, il écrit un petit laïus qui croque délicieusement son sujet, le tout le plus subjectivement possible. C’est léger, fin, intelligent, ça regorge d’anecdotes savoureuses et c’est surtout irrésistiblement drôle. Car s’il est bien une composante que l’on oublie à propos du Punk Rock, c’est son humour. Voilà donc quelques petites tirades piochées quelque part entre A et Z :
Boomtown Rats : Les Rats ne sont pas vraiment Punk. Pour tout dire, ils ne sont pas grand chose.
God Save The Queen : Le Citoyen Rotten décrète la mort de la monarchie britannique comme on jetterait un cocktail molotov sur un véhicule anti-émeute : avec jubilation. Maximilien Robespierre n’aurait pas fait mieux.
Human League : Une expérience musicale dont on ne sort pas indemne. Lester Bangs est mort en écoutant leur album « Dare ».
The Jam : (A propos de « That’s Entertainment ») Paul Weller baisse la garde et laisse entrevoir ce qu’il aurait pu devenir s’il avait compris qu’être Paul Weller était après tout aussi gratifiant qu’être Pete Townshend ou Ray Davis.
Ultravox : (Après 1 page de description) Maintenant vous avez toutes les cartes en main pour imaginer à quoi peut ressembler un album d’Ultravox. Moi j’y ai renoncé.
Le livre fourmille de ces petites perles qui donnent toute la saveur à cet ouvrage. A noter que que l’auteur fait un rapide rappel historique au début du livre, et que des interviews de différents acteurs du mouvement (Tai-Luc, Daniel Darc, Colin Newman,etc.) viennent approfondir certaines pistes énoncées entre A et Z.
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Kick Out The Jams, Motherfuckers ! Punk rock, 1969-1978 : Pierre Mikaïleff, Éditions Camion Blanc
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Pour ceux qui souhaiterais approfondir le sujet, une large bibliographie est présente à la fin de l’ouvrage. La littérature sur le mouvement Punk est très abondante et en constante augmentation. Je conseillerais quand même 3 ouvrages vraiment bien fait :
– Babylon’s Burning (du Punk au Grunge) de Clinton Heylin aux éditions Diable Vauvert
Le livre parcourt l’histoire du Punk dans toute sa diversité jusqu’au Grunge, le tout basé sur une multitude de témoignages. C’est à mon avis le livre le plus exhaustif et le plus juste sur le sujet.
– Please Kill Me de Gillian Mc Cain et Leg McNeil aux éditions Allia
L’histoire du Punk américain, de sa genèse (Velvet Underground, Doors) jusqu’à la mort de Johnny Thunders. C’est un incontournable du genre.
– Rip It Up And Start Again (Post Punk 1978-1984) de Simon Reynolds aux éditions Allia
C’est l’aventure du Post Punk qui débute sur les ruines encore fumantes du vieux monde détruit par la 1ère Vague Punk. Plus positif, le Post Punk va exploser dans de multiples directions et influence encore profondément la musique actuelle.