Jouissif. On sort de Kaboom complètement euphorique. Le film est sorti en octobre après sa présentation à Cannes au printemps 2010, mais il aura fallu attendre ce mois de février pour le voir (enfin) reprogrammé dans une salle rennaise.
Kaboom, c’est le nom explosif que le génial Gregg Araki a choisi pour ce teenmovie délirant qui s’autorise toutes les audaces de mises en scène. Gregg Araki l’avait déjà montré avec The Apocalypse Trilogy (Totally fucked up 1993, The Doom Generation 1995, Nowhere 1997) dont la dernière partie était selon son auteur “Beverly Hills sous acides”.
Et puis, il y a eu Mysterious Skin, en 2005, adapté du roman de Scott Heim. L’histoire de deux ados qui font ce qu’ils peuvent pour recoller leurs passés : Neil, abusé dans son enfance, se prostitue avec tous les gays des environs, tandis que Brian cherche à retrouver les cinq heures de sa vie qui ont disparu de sa mémoire. Il imagine avoir été enlevé par des extra-terrestres. Malheureusement, la réalité est toute autre. Mise en scène poétique pleine de douceur malgré la gravité du sujet, photo impeccable, acteurs et mise en scène d’une grande justesse, le film a aussitôt emballé public et critique. Et nous avec.
Quand on a appris la sortie de Kaboom, le nouveau film du réalisateur, après Smiley Face en 2007, on a donc attendu fébrilement d’aller le voir. Et puis, le ciné TNB l’a intégré dans sa programmation de février.
L’histoire, pour ne pas tout raconter, tient en quelques lignes. Smith va avoir 19 ans. Il est étudiant en cinéma à L.A., beau comme un dieu et alterne relations gays et hétéros. Il ne sait pas pourquoi, mais il rêve d’un long couloir, avec une porte fermée, au bout, qui s’ouvre sur une poubelle. Il est à l’aube d’un passage, à un moment charnière, mais il ne sait pas trop de quoi. Il est évidemment très attiré par son room mate, surfer blond au corps d’athlète totalement stupide, mais complètement straight. Heureusement, sa meilleure amie, Stella, impertinente et cynique à souhait, vit sur le même campus que lui. Elle a d’ailleurs besoin de lui pour aller à une fête donnée par Lorelei, la fille qu’elle crève d’envie d’embrasser et surtout plus si affinités.
Et c’est là que tout s’emballe. Pendant cette fête, Smith mange un spacecake et la réalité devient tout de suite bien plus délirante. Des hommes aux masques d’animaux poignardent une fille rousse dans un parc à côté de lui.
Bad trip ? Cauchemar ? Réalité hallucinante ? Gregg Araki, et c’est là tout son talent, nous fait croire à toutes les pistes. On ne sait plus ce qui est réel, fantasmé, déliré ou rêvé. D’autant que le réalisateur avait commencé son film par le rêve du « couloir » et avec une double scène dans laquelle Smith embrassait son coloc’ –son rêve- et où le coloc’ en question honorait une jeune étudiante avec force énergie dans le lit à côté –la réalité-. On s’attend toujours, donc à ce que le(s) personnage(s) se réveille(nt) subitement…
De là, on plonge dans le surnaturel. Le film, et c’est encore là une de ses forces, est un habile mélange de films de genre, teenmovie bien sûr avec la vie sur le campus et la vie sexuelle débridée des personnages, mais aussi film d’horreur, comédie potache et film de science-fiction de série Z. On rit aux éclats pour ensuite retenir son souffle et sursauter d’angoisse. Le meurtre de la fille rousse est enchaîné sur un plan de garniture de pizza dégoulinante, une des scènes de sexe entre Stella et Lorelei se nappe d’un halo lumineux surnaturel… Et le pire c’est qu’on a presque peur à certains moments. Araki joue sur une mise en scène parfois lynchienne, avec ces bruits étouffés dans le placard qu’on ne peut s’empêcher d’aller ouvrir. On est d’ailleurs tenté de faire des parallèles avec Mulholland Drive. La mystérieuse boîte bleue qui détenait le secret, qui faisait basculer le film de Lynch, est cependant ici transformée en une poubelle derrière une porte.
L’incroyable leçon de cinéma qu’était Mulholland Drive se permettant de mélanger les genres (Hollywood, la comédie à la Buster Keaton, les films d’angoisse, etc.) dans un cocktail parfaitement dosé avec un talent à tomber à la renverse se transforme avec Kaboom en un mélange tout aussi explosif, à la différence près que Gregg Araki mixe ensemble des « sous-genres ». Peut –être pas un hasard, d’ailleurs que son protagoniste soit étudiant en cinéma…
Bref, Kaboom est une œuvre jouissive. D’autant que le film est d’une sensualité à tomber à la renverse. Les acteurs (Thomas Dekker, Haley Bennett en tête) sont beaux, sublimes, à la fois pleins de fraîcheur, de justesse et d’impertinence. Les lumières, qu’il s’agisse du soleil mordoré de la côte ouest, ou des ambiances bleutées de la chambre de cité U de Smith, les couleurs saturées (les yeux verts de Stella, le regard bleu de Smith n’en sont que quelques exemples), tout parle aux yeux et au corps.
Tout comme la mise en scène qui bifurque constamment et nous fait glisser d’un genre à l’autre sans prévenir. On murmure : « non, il ne va pas oser ». Et bien si. Et on en d’autant plus heureux ! C’est explosif, intense, généreux et joyeux. Le final, complètement barré et délirant, laisse les yeux écarquillés et bouche bée. D’autant qu’il arrive après une course-poursuite en voiture haletante au son d’un titre de Placebo qu’on n’avait, sûrement, pas écouté depuis nos 19 ans.
On sort de là heureux et excité par un film aussi explosif que généreux. Bien sûr, les amateurs de cinéma bien rangé et de narration fluide ne devraient pas adhérer. Tant pis pour eux. De notre côté, on courra encore les salles obscures à chaque nouveau film d’Araki.
Mouais, je te trouves très enthousiaste, je l’ai vu ce week end, c’est bien filmé, mais qu’est-ce que la fin est décevante.
Mr Bidon, merci pour ton commentaire… On est d’accord, la fin (comme le reste d’ailleurs) peut décevoir… Et je suis sûre d’ailleurs que beaucoup de spectateurs l’auront trouvée décevante, cette fin…Tant mieux, d’ailleurs que les avis divergent !
Mais très sincèrement, de mon côté, le fait qu’il choisisse d’aller jusqu’au bout de son délire, j’ai trouvé ça complètement rafraîchissant…
C’est qui on… j’ai vu le film lors de sa sortie à l’Arvor et le souvenir qui en persiste depuis est un profond agacement… ce qui est la caractéristique bien entendue de mes penchants pour le cinéma bien rangé et de la narration fluide… narration dont la structure dans ce film ne me semble pas autrement révolutionnaire… elle est même tout ce qu’il y de plus rangée… au moins pour la seconde partie du film qui semble uniquement construite pour justifier la première partie du film et amener une fin plus d’autant navrante qu’après avoir été profondément séduit et transporté dans son cinéma un premier temps effectivement brillant et décalé, Araki s’essouffle, faute d’avoir un quelconque discours… Il donne alors l’impression d’un brillant narrateur n’ayant rien à dire… là débute une seconde partie des plus affligeantes qui rétrospectivement me laisse l’impression d’un remplissage… du développement bâclé des situations et thématiques initiales digne d’un scénario de Scoobidoo… d’une fin à la hauteur d’un mauvais film étudiant… Mon agacement naît surtout de ce qu’Araki installe et permet d’entrevoir un premier temps, et de ce qu’il montre, ou ne montre pas par la suite.
C’est vrai que c’est très scoobidoo ! moi j’ai beaucoup aimé. le côté délirant/cheap aurait pu m’agacer mais là pour le coup je me suis laissée emmener. faut dire que la la lumière bleue de Mysterious Skin me poursuit encore, et je l’ai retrouvé avec plaisir. pas de problème non plus avec la fin, ça va au bout et c’est ça qui m’a plu.
Vous n’y êtes pas du tout si vous aviez suivi l’actualité et le film a la sortie. Vous l’auriez vu des afffiches dans lé métro et vous auriez pu le voir à L’arvor. Il y est resté 3 a 4 semaines…
@ Holo : « mais il aura fallu attendre ce mois de février pour le voir (enfin) REprogrammé dans une salle rennaise. »
et non pas « programmé »…