James Chance – Les anches remuent les hanches

James Chance, l’icône sulfureuse de la no wave new yorkaise, donnait un concert attendu sur la scène de l’Ubu ce mercredi. Légende vivante de l’avant garde, le pianiste-saxophoniste quinquagénaire venait présenter l’album « The Fix is in », remasterisé par Frank Darcel, avec un backing-band de musiciens français – pour ne pas dire bretons -, les Contorsions.

2010-05-LEO(88MAN)-UBU- - 07C’est un groupe d’allure intimiste mais habité par une énergie plus rugueuse qui lance la soirée : Leo(88Man). Le leader, Leo(88Man), au chant et à la guitare, s’est adjoint les services d’un second guitariste d’abord et d’un batteur depuis peu. Sur scène, le groupe propose un set construit. Il faut dire que ce ne sont pas des débutants. De longues tournées et trois albums à leur actif, dont le dernier en date, « From speaking parts to blazing rows » est sorti en 2010 sur Kythibong avec des collaborations de L’Enfance Rouge, entre autres, ou des Nantais de Fordamage.

Dès que le trio du Nord-Pas-De Calais commence à jouer, le vent des grandes plaines américaines souffle sur l’Ubu.  Le timbre du chanteur rappelle la voix de Bill Callahan (l’homme derrière Smog) tout comme les progressions des morceaux. Les  titres prennent le temps de s’installer. Les road-trips semblent habiter cette musique, proche de Callahan bien sûr, mais aussi de la suavité d’un Lambchop. Sur le dernier album, le groupe a partagé le vinyle en deux faces distinctes : l’une acoustique, l’autre électrique. Le groupe n’a donc aucun mal à durcir légèrement le tempo ou l’orchestration et approche parfois des rivages plus rock. Une reprise des Talking Heads, un rappel plus électrique encore, et le groupe quitte la scène en laissant derrière lui une impression favorable.

2010-05-J.CHANCE-UBU- - 22Dans le public, les rangs se resserrent progressivement. On repère les aficionados, jeunes et moins jeunes qui attendent avec une impatience grandissante l’arrivée du « Sax Maniac ». Le voici qui s’avance, veste de costume longue, chemise sombre à rayures, coiffure banane et souliers vernis, sans un sourire vers le Korg CX3. A ses côtés, un batteur, un guitariste et un bassiste. Tous sont d’un excellent niveau.

On a coutume de dire que dans la no wave, seul James Chance maîtrisait réellement le solfège et la virtuosité instrumentale. Il était la figure du « vrai » musicien qui décide de maltraiter l’instrument, de détourner la maîtrise instrumentale des canons classiques. Tout ça par choix. Et pas par défaut.

2010-05-J.CHANCE-UBU- - 24Et c’est d’abord ce qui saute aux oreilles pendant le concert : quel niveau de maîtrise ! Chacun avec son instrument… Le guitariste, Pierre Fablet,  joue du bottleneck ou du tournevis (oui, vous avez bien lu) si le besoin s’en fait sentir. La palette sonore qu’il définit avec sa Telecaster semble infinie. Le batteur, Alex Tual, manifestement solide musicien de jazz, joue à la fois l’énergie et la subtilité. Le bassiste, Jacques Auvergne, n’est pas en reste et galvanise le  groupe avec sa fougue rythmique. Quant à James Chance, il passe tour à tour dans un même morceau de son clavier au saxophone, sans oublier de chanter.

2010-05-J.CHANCE-UBU- - 18Tout en stridences, pépiements ou éructations, ses interventions au saxophone détonnent, explosent ou éveillent. Entre funk blanc, punk no wave et free jazz,  le New Yorkais prouve qu’il est encore très fort, même si vieillissant, dans ce qui a fait sa renommée. Et malgré le poids des années, il chante, hurle, éructe, s’imagine crooner quelques secondes et danse comme un beau diable. Ses mouvements des bras, des pieds, ses danses qu’on imagine venues tout droit de l’époque du Lower East Side et de ses terrains vagues crades, on les retrouve conformes à nos souvenirs peut-être inventés.

L’énergie dégagée impressionne. On sent les musiciens concentrés, attentifs à la moindre demande du New Yorkais. On connaît l’exigence folle de James Chance avec ceux qui l’accompagnent tout comme sa réputation ténébreuse de bagarreur. Le saxophoniste est peu connu pour ses sourires.  On sent la tension palpable. Personne n’a envie de brusquer l’icône sur scène et les musiciens donnent la priorité à ses exigences. Néanmoins, la soirée se passe sans heurt. Les morceaux se succèdent. On y entend quelques reprises de James Brown, le modèle revendiqué par ce fou de funk qu’est James Chance, des titres de « The Fix is in » mais aussi le morceau le plus connu du saxophoniste.

2010-05-J.CHANCE-UBU- - 14C’est l’immense « Contort yourself » , composé en pleine époque no wave ! Le titre obtient l’approbation immédiate du public. Pendant le rappel, le guitariste bondit de la scène (mais sans tournevis !) pour retourner la foule encore davantage avec sa guitare possédée.

La soirée s’achève. On aperçoit Jean-Louis Brossard qui observe le final. James Chance, bien que vieillissant, a livré une prestation de fort bonne facture. Bien sûr, l’éclat des jeunes années est un peu passé… Mais il faut le reconnaître, l’homme est encore habité… Et comme il le suggérait à un râleur dans le public « tu n’as qu’à monter sur scène et montrer ce que tu sais faire » .. Fort à parier que la moitié d’entre nous ne lui arriverait pas à la cheville.

Photos en milieu hostile -no white lights- : Caro

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Site de l’Ubu : http://www.lestrans.com/#/ubu/

Myspace de James Chance : http://www.myspace.com/jameschanceandthecontortions

Myspace de Leo (88Man) : http://www.myspace.com/leo88man

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