On ne pouvait manquer la venue de Shannon Wright en Bretagne. Même si on a fait bien moins long que d’habitude (tournée et froid obligent), prendre des nouvelles de Shannon, de sa musique, continuer de creuser la manière dont elle compose, dont elle envisage la musique, s’intéresser aux projets qui la nourrissent nous est essentiel. On profite donc de la réédition de deux de ses disques en vinyle Honeybee Girls (2009) et Let in the Light (2007) chez Vicious Circle pour partager cette nouvelle rencontre avec l’Américaine (nouvelle, car il y en a eu quatre autres, parfois longues, à retrouver compilées ici.)
Nous sommes en novembre, dans un lieu extraordinaire, une manufacture des tabacs qui va être transformée en Pôle Culturel à Morlaix. Béton brut, moellons apparents, peinture écaillée, rideaux d’époque pendant le long de fenêtres opaques, brisées : le futur Sew de Morlaix ressemble à une usine désaffectée mais pas encore à un équipement culturel flambant neuf. Pourtant les membres de l’association Sew (l’équipe de tourneurs et programmateurs Wart -à qui l’on doit notamment Panoramas-, du cinéma La Salamandre et du théâtre l’Entresort) et les architectes du projet ont eu la riche idée (et ce sera vrai durant toute la durée des travaux) d’en faire un chantier ouvert, vivant qui accueille concert, projections, spectacles, visites et on en passe, et ce avant même son ouverture.
C’est dans ce cadre que Wart a proposé à Shannon Wright de venir donner deux concerts « secrets » (une spécialité Wart-ienne, pour ceux qui les suivent) dans la Manufacture des Tabacs en cours de désamiantage et traitement des bois. Le lieu est improbable (longue volée de marches pour y parvenir, toilettes fantômes, murs défigurés et éviers en fond de scène) mais aussi génialement dingue et défoncé que chaleureux. Le cadre parfait pour deux prestations hors du temps (on aura une petite préférence pour celle du dimanche) devant un public d’happy fews (c’est sold out) qui découvrent Shannon avec bonnet et écharpe. Jazzmaster et Wurlitzer.
Le second soir, on rejoint donc Shannon Wright dans un cagibi-loge à l’éclairage capricieux. Pour encore, un moment suspendu. Il y sera question des hot dogs de Steve Albini, de loup, de cadeau d’anniversaire, d’images et de musique, de batterie funk, de piano, de guitare, mais surtout de cette désarmante intégrité qui dit si bien Shannon.
Si vous ne connaissez pas Shannon Wright…
On ne peut pas mentir, cette fille-là, on l’aime d’amour. Parce qu’elle nous a centrifugé cœur, âme et estomac tout ensemble à chacune de ses prestations ou sorties discographiques. En 1998, l’Américaine saborde son groupe, Crowsdell, et part, seule, avec sa guitare comme unique bien. De là naîtront les fragiles et troublants Flighsafety et Maps of Tacit (1999 et 2000), puis plus tard, le rêche et sublime Dyed in the Wool (2001). Une vraie claque déjà. De ces disques qu’on écoute en boucle pendant des jours, sans rien vouloir écouter d’autre. Tout ça grâce à l’essentiel label bordelais Vicious Circle qui vient alors de signer la sortie de l’album dans l’Hexagone. Nous, on n’y comprend rien. Pendant des jours, voire des semaines entières, on se repasse un même morceau en boucle, découvert sur le sampler d’Abus Dangereux. On vient d’être grillé par la foudre. On attendra avec une fébrilité alors inconnue la sortie de l’album en France. Dyed in the wool, teint dans la laine, imprimé au plus profond de nos épidermes, déjà.
La France a aussi la chance de la découvrir en live, en première partie de Calexico notamment, lors de prestations intenses. Shannon est écorchée et passionnée, elle ne laisse personne indifférent. On l’a dit. Plus qu’une claque : une tornade. A l’intégrité et à la sincérité qui vous font mal au ventre mais vous libèrent en même temps. Sur scène, le visage souvent dissimulé derrière ses cheveux, Shannon Wright se cache. Mais se donne, et donne, entière. Sans filet, possédée. Ses déflagrations sonores vous mettent de terribles claques dont vous peinez à vous relever. Vous pensez enfin arriver à vous rétablir ? Peine perdue, le morceau suivant vous renvoie directement dans les cordes…
En 2004, elle retrouve Steve Albini pour son album (alors) le plus rock et le plus rêche, Over The Sun. Cet album change des vies. Tumulte de guitares électriques, voix poussées à l’extrême. C’est un disque abrasif. Shannon y manie la guitare « comme une serpe» disent les gars de Vicious. Et puis il y a le piano. Ces morceaux doux en apparence qui vous poignardent tout aussi fort. Suivra un disque avec Yann Tiersen qui la fera connaître davantage (écoutez par ici ce que Yann Tiersen dit de cette rencontre qui l’a plus qu’inspiré).
Puis contre toute attente, Shannon revient en 2007, avec Let in the Light, un album apaisé, sans pour autant être rangé. On l’imagine plus heureuse, moins à vif, mais on la sait toujours aussi exigeante. Shannon ne lâche rien. Elle n’a rien à faire des clichés, des modes, des étiquettes. Elle reste sur le fil tendu. Intègre. L’album suivant, Honeybee Girls, sorti en septembre 2009, alterne les assauts frontaux, les climats orageux et les moments plus paisibles… Mais méfiez-vous de l’eau qui dort. Sous ce calme apparent, les cassures apparaissent. Et les morceaux au piano se révèlent tout aussi ravageurs, tout comme cette incursion très rare (alors) dans la discographie de l’Américaine, dans les terres électroniques sur un morceau glaçant et bouleversant, Father.
On pensait attendre plus longtemps avant la sortie d’un nouvel opus. Et puis Secret Blood est arrivé début novembre 2010. Une entrée en matière sur les chapeaux de roue, un brûlot hardcore (l’énorme Fractured qui prend toute sa puissance en live), des ballades renversantes et encore des mélodies qui livrent progressivement leurs secrets. La sortie d‘In film Sound début 2013 nous marquera une nouvelle fois au fer rouge. On ne pensait (naïvement) pas que Shannon pouvait aller encore plus loin. En 9 titres désormais essentiels, elle livre un album à la densité qui vous percute l’âme, vous ouvre la poitrine et perfore vos poumons. Explosions rêches, riffs qui transpercent, propulsés par une rythmique à la puissance nucléaire ou accalmies poignantes et déchirantes (oui, Who’s sorry now ? ou Bleed juste après) In Film Sound déchaîne les corps et libère les âmes.
C’est donc tout tremblant, avec l’impatience nous tordant le ventre, qu’on a découvert Division, sorti en février 2017. Né d’une rencontre essentielle, celle de l’Américaine avec Katia Labèque, immense pianiste aux oreilles grandes ouvertes, un soir d’orage émotionnel en Suisse (voir ci-dessous), l’album explore de nouvelles facettes de l’art de songwriter de la musicienne. Shannon essaie de nouvelles choses : elle y mêle acoustique et électronique (les immenses pianos du KML studio aux synthés analogiques, les batteries acoustiques aux boîtes à rythmes digitales), se permet une fragilité et une tendresse à faire chialer les pierres et ose un travail autour des voix et des mélodies vocales tout aussi renversant et désarmant. Au final un disque courageux, libre, qui a d’ores et déjà rejoint la liste des disques qui feront date dans la carrière de l’Américaine. Et qui se révèlera tout aussi percutant et émouvant en live.
Alter1fo : Vous venez de commencer cette nouvelle tournée. Vous avez joué jeudi à Rezé et c’était une fois encore impressionnant, tout comme hier soir ici à Morlaix déjà. On est heureuses de vous retrouver sur scène avec David Chalmin et Raphaël Seguinier…
Shannon Wright : Oui, nous sommes vraiment ravis de nous retrouver et de jouer ensemble à nouveau. Sur la dernière tournée nous avons joué avec Mathieu, qui a été incroyable. Raphaël s’était blessé la main, de façon assez brutale. Mathieu, qui est l’un de ses grands amis, l’a remplacé au pied levé et a fait un boulot incroyable. Il a travaillé très dur. On était vraiment très heureux de l’avoir avec nous. C’était vraiment génial.
Avant de débuter cette nouvelle tournée en France, vous avez joué en septembre pour le 20ème anniversaire d’Electrical Audio de votre ami Steve [Albini]. Comment ça s’est passé ?
C’est Steve qui m’a appelée pour me demander si je voulais participer à la fête pour ce 20ème anniversaire. Ce n’était pas vraiment un festival, mais plutôt une grosse journée avec à peu près 8 groupes. C’était génial. Ça a commencé pendant la journée…
Oui, vous avez joué l’après-midi…
Oui, tout à fait. Avec Kyle [Crabtree, des Shipping News, avec lequel Shannon joue souvent -en tournée et sur disque-]. En duo. C’était vraiment une belle journée. On a pris beaucoup de plaisir. C’était à Chicago. Il y avait donc plein de gens de Touch and Go, plein d’amis que je n’avais pas vus depuis très longtemps. Ça a donc vraiment été super. Steve [elle rigole] a vendu des hot dogs toute la journée, végétariens ou non [la remarque suit une discussion précédant l’interview à propos d’huîtres]. Il faisait le cuisinier, il avait son tablier. Il regardait les groupes sur le côté de la scène. Mais il a trouvé le moyen de s’occuper toute la journée. Parce qu’il se sent assez gêné de parler de lui…
On voudrait revenir sur votre manière de composer. Peut-être que c’est impossible à expliquer… Vous nous aviez dit qu’au moment d’écrire, vous entendiez les chansons dans votre tête. Comment ça se passe : vous tentez de reproduire ce que vous avez en tête au piano ou à la guitare ou bien explorez- vous plutôt les deux instruments, en vous arrêtant sur ce qui sonne bien ?
Je crois que c’est un peu des deux. C’est difficile à comprendre, parce que même à moi ça me semble étrange et je ne saisis pas tout. Parfois j’ai une émotion, un sentiment à propos de quelque chose. Mais ce n’est pas très précis, c’est plutôt comme une sorte de halo, pour ainsi dire. Parfois je m’assois au piano ou j’attrape juste ma guitare et ça devient vivant/réel. Ou alors, d’autres fois, j’entends les notes dans ma tête. Ça a vraiment été dingue pour moi quand, pour certaines chansons que j’ai écrites, tout s’est passé comme si je les connaissais déjà, comme si elles existaient déjà ailleurs. C’est vraiment bizarre. C’était comme si je les avais déjà écrites. C’est vraiment difficile à expliquer. Même si j’écris un truc au piano beaucoup plus difficile que ce que je n’aie jamais écrit, avec des mouvements nouveaux, des notes, des structures que je n’ai jamais utilisées auparavant, ça surgit et c’est comme si ça avait toujours été en moi. Je n’ai pas de réponse à cette question (rires).
Mais merci d’essayer… Vous nous avez dit avoir une relation différente avec le piano et la guitare. De quelle manière cela modifie votre manière de composer ?
(Elle réfléchit) Je crois que c’est assez similaire d’une certaine manière. Ça dépend plutôt de mon état d’esprit. Parfois je suis agressive au piano, parfois non. Mais je crois qu’au piano, c’est peut-être plus difficile. J’aime les challenges. La guitare me vient un peu plus facilement. Donc je crois qu’il faut que je sois dans le bon état d’esprit pour composer à la guitare d’une certaine façon. Mais j’adore jouer au piano, m’exercer, m’entraîner, muscler mes doigts, tous ces trucs. J’aime vraiment cet instrument. Il m’inspire tellement.
J’adore la guitare aussi mais le piano est juste… massif. Quand tu joues seul dans une pièce, le son est tellement riche, inspirant.
Est-ce qu’en pensant préalablement au morceau, vous vous dites, ce morceau sera à la guitare, celui-là au piano ?
Non. Parfois je m’assois pour jouer et à l’instant où je commence à jouer je sens que je peux écrire une chanson.
Je viens de réaliser la bande originale d’un film. Pour Guillaume Nicloux. C’est un réalisateur indépendant. C’est lui qui a fait Valley of Love. Je ne connais plus le titre français.
Le film pour lequel j’ai réalisé la bande son est juste incroyable. Je l’ai juste terminée avant de venir pour cette tournée. Guillaume Nicloux voulait une musique originale donc je l’ai composée en totalité. J’ai vraiment adoré le faire. J’ai dû composer tous les jours pendant deux mois. Je lui envoyé des tonnes de bouts de morceaux, de parties de musique. Comme ça l’inspirait, il me renvoyait alors de nouvelles idées. Et ainsi de suite. On s’est mutuellement inspiré et on a pris beaucoup de plaisir à créer ensemble. C’est vraiment quelque chose de nouveau, que je n’avais jamais fait auparavant et j’ai vraiment apprécié.
Ils m’ont envoyé les images et m’ont donné la liberté de faire ce que je voulais. C’est un film qui se passe avant la seconde guerre mondiale, quand l’Indochine était une colonie française. C’est assez violent, très intense. Les épreuves par lesquelles passent le personnage principal se révèlent très dures et c’est un film très émouvant. Ça a été filmé en 35 mm et le Vietnam y est magnifique, luxuriant.
[Les lumières grillent et on se retrouve dans le noir. On rigole. On en profite pour raconter à Shannon notre interview avec son ami Yann Tiersen, dans le noir complet, son visage sporadiquement illuminé par le rougeoiement de sa cigarette, et le temps suspendu qui en a découlé. Ainsi que les brûlures de cigarette... On reprend.]
La batterie, le rythme sont vraiment des éléments importants dans votre musique…
Oui, essentiels. Pour moi, le rythme est tellement important.
J’aime la façon dont la musique s’empare de notre corps.
Peut-être que ça vient aussi de quand j’étais enfant : j’écoutais beaucoup de soul, j’aimais les beats disco. C’est avec ça que j’ai grandi et je n’ai donc jamais éprouvé le besoin de faire un rythme rock’n roll standard. Pour moi, le beat de la grosse caisse est très important. Mais en fabricant un motif rythmique, on tombe facilement sur des rythmes rock’n roll habituels. J’aime aller chercher ailleurs, davantage vers une idée du funk, de la soul. Qui sont davantage liés à la danse. Mais pas à la danse versant techno, plutôt à ces danses old school comme James Brown, qui tournent autour du groove. Vraiment, pour moi, le groove d’un morceau est quelque chose d’essentiel.
J’ai écrit beaucoup de parties de batterie, et ce que m’en ont dit les batteurs, c’est qu’eux n’auraient jamais pensé à les envisager de cette manière, justement parce qu’ils sont batteurs. Comme je joue de la guitare, du piano, j’envisage les choses de manière différente. Et ça fonctionne vraiment bien pour tout le monde.
Sur scène, vous chantez Accidentally seule au micro, sans jouer en même temps, ni de guitare, ni de piano, ce qui n’arrive presque jamais (on se souvient seulement de Father il y a longtemps sur la tournée d’Honeybee Girls). Pourquoi avez-vous choisi de présenter ce morceau de cette manière sur scène, on pourrait presque dire sans la protection qu’offrent les instruments ?
D’une certaine manière, il y a une protection… Quand j’ai décidé d’écrire ce morceau, comme je vous l’ai déjà dit, j’ai choisi d’utiliser un vieux Casio des années 80, un instrument ridicule, un instrument pour les enfants pour écrire une chanson vraiment profonde, qui touche le cœur. C’était comme un challenge pour moi. C’est une chanson très émouvante.
J’en ai parlé à David et Raphaël, en leur disant que je n’avais pas envie de la jouer sur scène, que peut-être eux pouvaient le faire et que moi je chanterai. Que ça me permettrait d’être plus impliquée dans la chanson, sans avoir à m’inquiéter de jouer les bonnes notes sur le Casio. Et en fait ça m’a vraiment apporté davantage de liberté de ne pas avoir à jouer et à chanter en même temps. J’apprécie d’avoir ce moment différent dans la dynamique du set. En réalité, d’habitude je ne « chante » pas vraiment. Donc là, c’est un moment où je me concentre uniquement sur le chant.
A ce propos, est-ce que ce n’est pas difficile de plonger dans vos morceaux qui sont émotionnellement très riches, tous les soirs ?
Non, parce que je crois que c’est important pour tout le monde que tout ça puisse sortir.
C’est un moment où je suis complètement moi-même. D’une certaine manière je suis vraiment vulnérable face au public, mais je m’en moque. Parce que je sens que je suis honnête quand je dis : « Ok, je suis avec vous. Je veux que vous soyez avec moi. » Nous sommes tous pareils, nous sommes ensemble. Pour moi, c’est la chose la plus importante, la plus belle. Parce que nous en avons tellement besoin. Traverser la vie est tellement difficile pour chacun d’entre nous, alors si nous pouvons tous partager ce moment ensemble, nous rapprocher un temps avant de repartir vers nos vies, vers tout ce dont on soit s’occuper…
C’est ce que la musique a fait pour moi. J’essaie juste de continuer à faire ce que la musique fait pour moi en temps qu’auditrice.
Je ne sais pas si vous pourrez nous répondre. Comment faites-vous pour vous préparer à ce moment sur scène ?
Je ne me prépare pas (explosion de rires).
Je ne me prépare pas du tout. Aussitôt que la musique débute, le moment commence. Il n’y a aucune préparation. Je laisse les choses venir, comme elles viennent, comme elles sortent naturellement. Parfois de petites choses me distraient, comme le son de l’ampli, trop grave, ou trop brillant… Des choses comme ça. Et je hais cela parce que cela me distrait de la musique. J’essaie toujours, encore, d’atteindre ce moment où je ne pense à rien d’autre. Et quand cela arrive, je suis pleinement heureuse.
C’est une joie pour moi. Ce n’est pas laid, ce n’est pas sombre à la folie. Oui, bien sûr, ce sont des émotions profondes, entières. Mais il y a toujours cette beauté en elles. Je me sens très chanceuse d’avoir l’opportunité de pouvoir vivre ça. Je suis toujours très reconnaissante.
Vous jouez depuis longtemps maintenant. Est-ce que votre manière de composer a évolué ?
Oui, bien sûr. On grandit, on évolue en temps que personne, on ne change pas forcément, mais on a un meilleur aperçu, une plus grande acuité que lorsqu’on était plus jeune. Parce qu’on comprend peut-être mieux les choses.
Il y a peut-être aussi davantage de peurs. Quand on est jeune, on a cette sorte d’écran devant les yeux avec cette idée qu’on peut changer le monde. En vieillissant, on se rend compte que ce n’est pas aussi simple que ça.
D’un côté, ça devient donc plus angoissant. En tout cas pour moi.
Je crois que j’ai gagné en profondeur en vieillissant, avec ce que cela implique. Sans perdre le souvenir de ce que c’est que d’être plus jeune. C’est juste une histoire de croissance. Je suis plus grande, plus mature que lorsque j’ai commencé.
Ce qui est frustrant pour moi, quand je pense à la musique, c’est lorsque quelqu’un compose sans chercher à progresser. Vraiment, on peut aller beaucoup plus loin, tellement plus loin lorsqu’on cherche à progresser. Bien sûr seulement si l’on est honnête, juste, avec soi-même et qu’on ne fait pas de la musique simplement pour vendre des disques. Il est important de rester l’artiste que l’on est. Si on y parvient, la profondeur que l’on peut trouver est tellement plus grande que lorsqu’on a, je ne sais pas, 27 ans. Ce n’est pas une mauvaise chose d’être jeune, on peut aussi faire de la musique profonde à cet âge-là mais ça ne doit pas être « j’ai 35 ans, maintenant je dois m’arrêter. ».
La musique est une forme artistique essentielle et grandir en tant qu’artiste est aussi une chose essentielle. Je crois que ça arrive de moins en moins de nos jours.
Thomas [Rabillon] a réalisé une magnifique vidéo à Rome, pour Lighthouse [drag us in]…
Thomas m’a beaucoup filmée depuis des année. Il a des tonnes de rushes qui n’ont jamais été utilisées. Je crois qu’il aimerait faire un documentaire. L’autre jour, on en a parlé, mais il n’a pas encore décidé. Je crois qu’il veut faire le film sur plusieurs années. On verra où il veut aller. On ne sait pas. C’est un ami très proche. Je l’adore. C’est sûrement la seule personne avec laquelle je me sens à l’aise avec la caméra. On a fait beaucoup d’entretiens filmés privés, et je suis très prudente avec tout ça, mais parce qu’on est très proche, c’est plus facile avec lui. C’est un garçon brillant. Je suis heureuse.
Dans cette vidéo, c’est un peu comme si on arrivait à vous voir tous les deux…
Oui, vraiment.
J’adore son travail.
C’est le piano sur lequel j’ai enregistré Division.
En fait j’ai enregistré cette chanson pour ma meilleure amie. Les paroles n’ont pas nécessairement rapport avec notre amitié, mais c’était son anniversaire et je n’avais plus du tout d’argent pour lui offrir quelque chose. Donc je lui ai dit « je t’ai écrit cette chanson, joyeux anniversaire … »
Wahh, quel cadeau ! (rires).
C’est drôle parce que Raphaël et David me disent : « euh, tu sais, mon anniversaire, c’est la semaine prochaine… » (rires).
Elle a été très touchée.
Mizotte et Cabecou ont également réalisé une magnifique vidéo. Est-ce que vous avez travaillé ensemble ?
Oui. Nous nous sommes rencontrés par l’intermédiaire d’amis communs. J’aimais leur travail et ils aimaient le mien. On a parlé de collaborer ensemble. Je leur ai dit que je voulais faire quelque chose autour des films d’une des pionnières de l’animation qui a travaillé avec des papiers découpés [après recherche, il nous semble qu’il s’agit de Lotte Reiniger, mais sans certitude]. J’aime vraiment ses films. Je voulais faire une bande musicale. Tout ça, en fait, avant qu’on ne parle de faire cette vidéo ensemble avec eux. Mon idée était de donner deux ou trois concerts, de montrer le film, de demander à mes amis Yann Tiersen et Warren Ellis, de Dirty Three, de jouer avec moi. Et comme il y aurait eu ces invités, ç’aurait été pour une soirée, pas pour une vraie tournée. Mais ça n’a pas marché.
L’Orchestre de Paris a fait exactement la même chose, à peine deux mois après que je n’en aie eu l’idée, ce qui est assez dingue.
Donc, finalement, quand je leur ai parlé, je leur ai dit que ce serait chouette s’ils pouvaient se servir de papiers découpés animés. Je voulais un loup. Il y avait aussi ce livre japonais que j’avais offert à des amis, en noir et blanc, tout à fait similaire, sans textes, avec seulement les illustrations… L’idée originelle était de faire un cd, avec un volcan en éruption et une ville qui s’écroulait. Et tous les animaux regardaient cela d’en haut : « vous les humains, vous avez fait ça !» Finalement ils ont changé un peu l’histoire, mais je suis très heureuse car elle tourne autour de la même idée. Ils ont fait un travail magnifique.
Vous avez dit que leur travail « donnait vie à l’inoubliable loup qui vit dans votre tête. » (Rires). C’est le même loup que vous dessinez sur nos disques quand vous les signez ? (Re rires.)
Peut-être. Je ne sais pas. Pour ce loup, je me souviens qu’étant petite j’ai vu ce film qui m’a beaucoup touchée. C’était un film pour les enfants. C’était l’histoire d’un loup, à l’époque où Los Angeles grandissait, grandissait et cette croissance énorme chassait les animaux plus loin dans la forêt. Mais ce loup continuait de revenir dans les parages parce que c’était sa maison. Ce film m’a tellement touchée quand j’étais petite… Les loups sont en même temps assez effrayants et intenses, mais aussi tellement beaux. [Après recherche, on penche pour « The Legend of Lobo », mais sans certitude, là encore]. Je crois que je me sens liée avec cet animal. Peut-être que j’étais un loup dans une autre vie, qui sait…
Un loup noir. (Rires)
[en français] Ah oui.
Je crois qu’il y a un lien…
A bridge…
Oui. (sourires)
On a lu que vous n’aimiez pas trop en parler mais on aimerait en savoir plus à propos de Crowsdell, parce que c’est là que vous avez commencé…
C’était un tout petit groupe. C’est étrange parce que ce sont les premières chansons que j’aie jamais écrites. Je crois que j’ai écrit peut-être cinq chansons et on s’est immédiatement retrouvé à faire un album sur une grosse maison de disques. Je ne jouais de la guitare que depuis un ou deux ans, je crois…
Je suis encore une enfant sur cette musique. Vous savez, souvent, les gens attendent un long moment, font souvent partie de plusieurs groupes pendant une longue période avant d’être signés. Alors que nous, nous avons enregistré l’album avec Stephen Malkmus [Pavement] avant de partir directement en tournée, pour jouer devant 2000/3000 personnes. On était simplement des gamins de Floride. C’est une incroyable expérience, mais on était juste des gamins timides, gentils. A cette époque-là, j’en étais encore à me demander comment on écrivait une chanson, comment ma voix sonnait dans le micro. C’est comme si c’était un embryon de ce que j’ai pu faire par la suite.
[David et Raphaël passent la tête par la porte dans le noir, s’excusant de devoir nous couper. Il est temps de plier guitares et bagages et de retrouver la civilisation -chaleur, toilettes et lumières-. On finit donc en quelques secondes, histoire de laisser Shannon et son équipe se mettre au chaud.]
Votre question préférée. En deux mots, vos projets pour la suite ?
Quand j’ai composé la bande originale du film de Guillaume Nicloux, j’ai écrit beaucoup de musique. … J’ai donc commencé à composer mon prochain album. [Explosions de joie de notre part suivie de rires]
J’en ai joué quelques parties à David et il a été très enthousiaste. Ils ont l’air d’être emballés. Donc on va voir, peut-être qu’on enregistrera l’année prochaine… [2018]
Photos live, prise de son et aide à la traduction : Caro
Un immense merci (encore et toujours) à Guillaume Le Collen de Vicious Circle pour avoir rendu tout ça possible une nouvelle fois.
Pour ceux qui ne les auraient pas, rééditions vinyles remastérisées (globe audio) sur Vicious Circle des albums de Shannon Wright Let in the Light (sortie originale : 2007) et Honeybee Girls (sortie originale : 2009) le 30 mars 2018.
Plus d’1fos sur Shannon Wright
Une fois de plus merci pour cette superbe interview ainsi que pour le texte qui la précède et qui réussit l’exploit de mettre des mots percutants sur « l’effet Shannon Wright » !
Avant son concert à Bruxelles, je me suis retrouvée par hasard à 1 mètre de distance d’elle, ce que je n’avais même jamais espéré, sauf quand je suis au pied de la scène pendant le concert. Pourtant j’avais souvent imaginé un moment où je pourrais enfin la remercier pour ce qu’elle nous donne. Et là : plus rien. Incapable de sortir un mot. Pas même juste un « merci ». Le moment où vous cherchez des mots assez puissants pour exprimer un phénomène viscéral et que finalement, rien ne vient. Vous pouvez juste regarder Shannon Wright passer devant vous et disparaître dans les backstages…
Quelle personne rare…Je crois que j’ai eu la même explosion de joie que vous concernant le prochain album 🙂
Je garde l’espoir de pouvoir la remercier un jour, j’en ai besoin, par rapport à tout ce que j’ai reçu. En attendant, je me régale de vos publications. C’est génial de lire des interviews qui vont en profondeur. Et c’est génial de lire que d’autres personnes sont aussi remuées que moi par ce que transmet Shannon Wright. Sauf que vous, vous parvenez à aligner 2 mots devant elle ! 😀
Bravo pour votre travail et merci merci merci de le partager avec nous.
Bravo pour ce superbe interview.
J habite dorénavant aux États Unis et ai eu la chance de voir Shannon en concert à Chicago pendant que Steve Albini faisiait ses hot dogs. Le festival où la journée était très simple devant un petit public, très belle ambiance.
J ai pris mon courage à 2 mains et suis allé discuter avec elle et Steve avant le concert et ai été très surpris de sa facilité d accès.
Vraiment très sympa, je leur ai demandé s ils avaient l intention de retravailler ensemble et on dit quelque chose du genre “who knows…” d après un recent post de Shannon je crois deviner que ce moment devrait arriver en sept… j ai hâte!
Bonne route à vous !