Pip Pop organise à l’Ubu, jeudi 1er juin, une joliment émoustillante soirée regroupant les superbes allumés d’Aquaserge et nos inlassables défricheurs de son favoris de La Terre Tremble!!! A cette occasion, nous vous proposons le long et chouette entretien que nous avons eu avec le trio rennais pour parler de leur quatrième disque Fauxbourdon. Histoire de vous donner envie de plonger tête baissé dans un des disques qui risque bien de figurer dans nos galettes essentielles de 2017 et d’en découvrir son épatante version live.
Les amateurs de pop alambiquées et de musiques de traverse sont gâtés. Il leur suffira de se rendre jeudi 1er juin à l’Ubu pour s’offrir dans une même soirée deux des formations françaises les plus emballantes dans le style.
Aquaserge est un des héritiers directs de la scène prog-rock de Canterbury, et d’autres dérangés magnifiques (l’Art Ensemble de Chicago en tête, mais aussi Serge Gainsbourg ou Zappa bien sûr et on en passe), ses membres ont un temps servi de backing band à l’esthète pop Bertrand Burgalat, mais ont également été vus autour d’April March, Tame Impala, Stereolab, Acid Mothers Temple… En 10 ans (quasi) et 4 albums derrière eux, dont le dernier en date Laisse ça être est sorti cette année, Aquaserge a prouvé qu’il était possible de mélanger pop, jazz, prog, free ou kraut avec goût et talent. De sacrés bonshommes qu’on a hâte de découvrir sur scène.
Seconde raison impérative de vous rendre à cette soirée : les épatants Rennais de La Terre Tremble !!! viendront défendre sur scène leur tout récent et tout excellent nouvel album Fauxbourdon. S’il y a bien une qualité commune à beaucoup de groupes que l’on suit de près dans ces colonnes, c’est celle de réussir à être à la fois totalement cohérent et perpétuellement en remise en cause du statu quo. Le trio Rennais La Terre Tremble !!! en est un parfait représentant. Depuis leur premier album en 2007, Julien Chevalier, Benoît Lauby et Paul Loiseau ne cessent en effet d’explorer la matière sonore avec une réjouissante obstination. Nous avons également pu apprécié maintes fois leur qualité scénique et sommes très impatients de voir comment leur set a évolué depuis leur excellente prestation au dernier festival Alambik sur Rennes.
Jeudi 1er juin 2017 – Ubu, 1 rue Saint Hélier, Rennes – 20h – 8/10/12/14€
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Nous avions déjà rencontrés La Terre Tremble !!! en 2010 pour un premier focus sur la scène rennaise [là] puis en 2013 pour les interroger longuement sur leur excellent troisième album Salvage Blues (Murailles Music). Nous avons eu le plaisir de retrouver le trio au complet juste avant leur passage à l’édition 2017 de l’Alambik aux Agités du Bocal pour essayer percer quelque peu les fascinant mystère de leur quatrième album Fauxbourdons.
alter1fo : Quels étaient vos envies avec ce nouvel album.
Julien : On a eu une grande pause dans notre production d’album. Notre album précédent remontait à cinq ans et le ciné concert (Sur des vieux cartoons de Tom & Jerry) nous a occupé pendant quasiment trois ans. Au point que pendant ces trois ans, on n’a pas composé. On ne s’occupait que de ce ciné-concert. Ça nous aussi emmené vers de nouvelles eaux. On s’est retrouvé à réfléchir à un nouvel album. L’idée c’était de couper avec le précédent qui était très massif avec beaucoup de guitares. On avait fait le tour de ça. On a aussi fait beaucoup de concerts avec cet album là. On avait donc envie de nouvelles choses : de nouvelles textures, de nouveaux instruments. L’envie aussi de se réinventer, nous trois, au bout de dix années à faire de la musique ensemble.
Justement sur le précédent vous nous aviez déjà dit avoir voulu sortir des rôles prédéfinis. Est-ce que pour celui-là aussi il y avait cette envie de « casser » les choses ?
Julien : On a voulu changer la façon d’envisager nos chansons. Auparavant, il y avait beaucoup de choses qui venaient de la guitare dans la composition. Dans nos têtes, on avait déjà cette idée de sons différents mais comme on était très attaché à cette guitare, ça tournait encore beaucoup autour de ça. Sur cet album là, je pense qu’on s’est vraiment donné la liberté de se dire quel son on voulait, sans se limiter à la guitare. On est donc parti sur d’autres instruments, y compris ceux qu’on ne maîtrisait pas forcément.
Du coup l’idée d’utiliser des synthés est venue dès le départ ou au fur et à mesure ?
Paul : On a commencé à utiliser les synthés sur nos ciné-concerts. Pour suivre l’action des films, il nous fallait la gamme de sons la plus large possible, qu’ils soient acoustiques, électriques ou électroniques. Petit à petit, on a donc amassé des synthétiseurs et ils sont venus s’ajouter à notre instrumentarium. Sauf que les synthés, c’est aussi assez dangereux. Notre idée, c’était d’utiliser des synthés dans notre musique mais surtout pas de faire une musique « à synthés ». Tous les instruments ont une tendance à t’instrumentaliser, mais les synthés peut être encore plus. Le danger était de passer d’une musique « à guitares électrique », comme sur Salvage Blues, à une musique « à synthétiseurs ». Il y a beaucoup de trucs qui me fatiguent dans ce style où il y a tellement de gens à imiter John Carpenter que ça finit par ne plus vouloir dire grand chose. On voulait continuer à faire nos chansons en mettant les synthétiseurs à leur service.
Benoît : On voulait se dégager de l’idée de composer à partir de riffs. Que ce soit à partir de guitares acoustiques ou électriques, on tournait principalement autour de ça depuis de nos débuts. Salvage Blues a peut être était le paroxysme de cette démarche. En live, ça devenait même fatigant. On finissait par se planquer derrière une attitude rock, toute fuzz en avant. Ça nous permettait aussi de maquiller un peu les choses et on devenait moins précis. C’est marrant à faire mais on a aussi entendu des amis qui nous ont prévenus que nos compos commençaient à basculer derrière un mur de son crade.
On s’est retrouvé avec des synthès assez typés. Il y a donc eu un jeu pour ne pas aller dans le tout vintage. On a toujours aime mélanger le chaud et le froid dans les sons et ça nous intéressait d’avoir des sons plus modernes avec d’autres plus anciens. Sans trop les mettre en avant pour ne pas avoir un aspect chrome trop moderne.
On est donc rester sur des chansons tout se dégageant de cette base de riffs pour laquelle on était un peu arrivé au bout.
On se souvient que pour le précédent album vous nous aviez dit avoir pris le temps de laisser mûrir les choses. Comment ça c’est passé pour celui-là ?
Benoît : ça a aussi été un processus long, de jachère. On a pris du temps comme sur des résidences. On creusait des matériaux et puis on les laissait de côté. On s’en désintéressait pendant des mois et après on en reprenait un bout pour recomposer des choses à partir de cette base. Paul amenait aussi des compositions presque terminées et on les réinterprétait, les réarrangeait… ou les suivait telles quelles. On n’a toujours pas une recette fixe mais dans tous les cas, c’est un travail sur un temps long. On prend le temps d’expérimenter, d’enregistrer des choses, même non abouties, pour les laisser mûrir dans leurs coins avant d’y revenir.
Il y a la composition mais il y aussi eu l’adaptation pour la scène qui nous a pris du temps. Avec les synthés, le jeu est tout de suite moins intensif. On se retrouve en retrait par rapport aux compositions. Ça nous plaisait de changer les énergies de groupes et de jeu, même si ça fait un peu peur au début.
L’écriture des paroles n’est jamais facile pour toi, je crois, Paul. J’ai entendu qu’elle avait été particulièrement compliquée sur cet album. Tu peux nous expliquer ?
Paul : Ce n’est jamais simple d’écrire des paroles. Je ne suis pas un parolier de nature. Je ne passe pas mon temps à écrire des textes dans des petits carnets. Je ne suis pas un poète du quotidien. Ça a donc été un travail assez particulier. On a commencé par enregistrer toutes les musiques du disque sans aucun chant. J’avais les chants dans ma tête mais sans aucune parole précise. Je savais ce que je voulais mélodiquement. C’était très écrit. Par contre, l’écriture des paroles est venue après l’enregistrement. Ça m’a pris des mois et ça a donc été assez compliqué. Après, c’est comme tout. Quand tu arrêtes de réfléchir à ce que tu fais, que tu n’essayes plus de parler avec ton égo ou tes petites volontés, il y a quelque chose qui se passe et c’est venu petit à petit, de lui-même.
Ce que je dis souvent, c’est qu’à un moment donné, il faut faire confiance au processus beaucoup plus qu’à soi-même.
alter1fo : On a le sentiment que les voix prennent une part de plus en plus importante dans vos albums. Quelles sont les vois ou harmonies qui vous émeuvent ou vous épatent ?
Paul : Il y en a tellement !
Benoît : Les voix en chœur.
Julien : On en parlait justement en buvant un coup après une répét’ il y a deux soirs de ça. On parlait des voix brésiliennes. C’est une musique qui a quelque chose de très paradoxale. Il y a ce mélange de voix blanches très pures et de musiques très latines qui vont chercher des lignes mélodiques très particulières, des chauds-froids très bizarres. Ça nous plaît beaucoup. Tout comme la pop américaine ou anglaise des années 60…
Paul : Robert Wyatt (Acquiescement général) Pour revenir à Salvage Blues, le chant était débordant, viscéral. Il y avait des voix assez hurlées. Ça collait à l’idée, à la thématique du disque. Sur Fauxbourdon, l’idée était d’utiliser des voix peut être plus blanches ou en tout cas des lignes claires, précises mélodiquement et plus douces dans les intentions.
Benoît : On en revient à cette idée de chanson : un chant et du son. Sur Salvage Blues, on avait un chant mêlé, fantomatique. Un chant qui vient du bas. Alors que là, on a un chant plus apaisé qui est un vrai arc-en-ciel au niveau des harmonies.
C’est aussi un sentiment qu’on avait eu avec le dernier album de Patriotic Sunday (auquel nos trois lascars ont largement contribué) de chants qui devenaient plus aériens, plus vastes par rapport aux précédents disques.
Paul : En fait, c’est ce que j’avais envie de faire depuis longtemps. Ce qu’il y a sur Fauxbourdon, c’est tout ce qu’on n’a pas réussir à faire sur les précédents. Le propos n’est plus du tout le même. Ça fait longtemps que j’avais envie de faire des chansons un peu « hors du temps », qui aient quelque chose d’assez mélancolique et délicat tout en restant ambiguës ou inquiétantes.
Sur Faux-Bourdon, on entend en même temps des chœurs très pop sixties (on sait que Paul, notamment, est un grand fan des Beatles) mais aussi des voix (je n’y connais rien en production) qui sonnent parfois lointaines et désincarnées comme chez Bowie période Low/Heroes sur Festina Lente…
Paul : Tout à fait. Pourtant, je crois qu’on peut dire qu’aucun de nous trois n’est fan de Bowie.
Benoît : A part peut être une chanson sur son dernier album.
Paul : Je pense qu’il est mort pendant le mixage. Nous étions en train d’enregistrer les chants à ce moment là. Je ne peux pas te dire si c’était voulu ou ça a joué mais il y a beaucoup de gens qui nous ont dit ça.
Julien : Sur Festina Lente, il y a aussi eu un moment où on bloquait et je me souviens avoir rêvé la partie de chant. On en avait parlé et on était d’accord sur ce truc là. Il y a aussi une autre influence qui est moins connue et moins évidente, c’est un musicien japonais : Haruomi Hosono. Il a une voix de crooner froid, très année 80. Il nous a beaucoup influencé sur ce disque.
Indépendamment des genres musicaux, vous dîtes vouloir surtout «tourner autour de la chanson », de son format. Forcément, ça nous a fait penser au dernier Simple Songs, d’O’Rourke. Je me souviens qu’à notre première interview, vous nous disiez « la marge implique qu’il y ait des cadres, mais je crois qu’on préfère encore se cantonner aux cadres, à l’intérieur desquels on se sent plus libre de mouvements. La limite, ça a quelque-chose d’assez libérateur. » Est-ce que vous pensez le format chanson, justement, comme un cadre ?
Julien : Tout dépend comment on envisage la chanson. Pour notre part, on amène tout ce qu’on peut dans la chanson et après on regarde ce qu’on peut en faire. A la fois, il y a un cadre mais la chanson n’existe que par ce qu’on amène à l’intérieur. Le jeu, c’est de travailler ça trois et de voir comment faire fonctionner ça sur 3 ou 4 minutes.
Benoît : Il y a tout type de chansons. Quand on dit chanson, on pense souvent à quelque chose de trois minutes, de très calibré. Alors qu’il y a plein de groupes avec des narrations beaucoup plus longues. On peut y mettre des textures hyper lourdes ou hyper maigres, voire Lo-Fi mais ça reste des chansons. A partir du moment où ça raconte une histoire et où la voix est un poil plus en avant, on tire vers la notion de chanson. Ça varie aussi énormément selon les cultures musicales. Il y a bien ce cliché de la chanson pop de 3 minutes 40 mais nous, on ne s’y retrouve pas. Il nous faudra toujours un élément déviant dans les mélodies, dans le rythme… et pas toujours forcément voulu.
Vous disiez avoir choisi de faire un ciné concert sur des vieux Tom & Jerry parce que ça vous laissait plus d’espace que sur un « monument » cinématographique. Hors, sur le morceau Ringroad continuum, on a un hommage très explicite à Ennio Morricone. En guise de monument, ça se pose là. Qu’est-ce qui vous a mis en confiance par rapport à ce génie ?
Julien : Justement, cette chanson ne nous a pas mis en confiance du tout. La référence à Morricone, elle est claire. Pour te dire la vérité, avant de s’appeler Ringroad continuum, entre nous, on l’appelait tout simplement Morricone (Rires). Nos intentions étaient très claires sur ce morceau alors que d’habitude on n’a jamais de références aussi identifiées. On a eu envie de s’y coller parce qu’on adore vraiment Morricone… et ses élèves aussi d’ailleurs. Par ce que Morricone, s’il reste le maître ça reste la partie émergée de l’iceberg dans l’histoire des compositeurs italiens de musiques de film. On s’y est clairement cassé les dents. On a commencé par se dire qu’on pouvait le faire et on a fini par se dire qu’on n’y arriverait jamais (Rires). C’est beaucoup plus compliqué qu’on ne le croit. Il ne suffit pas de mettre une ligne de piano avec des percus très oppressantes. Tu as l’impression d’y être presque et… ce n’est pas du tout ça. On a fini par s’en sortir à la fin au mixage mais ça a été très compliquée pour y arriver.
Après, c’est vrai qu’on a bouffé pas mal de B.O. de film dans les dernières années, que ce soir de compositeurs italiens ou autres.
Toujours dans les références plus ou moins explicites, on retrouve le morceau Catch 2022… On pense tout de suite au film sidérant de Mike Nichols Catch-22. Est-ce que le film a nourri l’écriture du morceau ?
Paul : Non, il n’a pas nourri le morceau. Je dirai que c’est d’ailleurs plutôt le roman de Joseph Heller (qui a inspiré le film)… Le livre est assez taré, il faut s’accrocher. Mais c’est simplement une petite citation. C’est quelque chose qu’on fait souvent, on pioche à droite à gauche, on se sert un peu partout.
Catch 2022 [le morceau] n’a pas tant de rapport avec le film. Si ce n’est que, si j’ai tout compris, Catch 22 est un terme militaire pour expliquer une situation sans issue, bloquée. Cette chanson parle un peu de ça. Quand je relis la chanson aujourd’hui (en tout cas la manière dont je l’interprète, parce que je ne suis même pas sûr que c’était ça au départ), j’ai l’impression qu’il s’agit de deux parents qui abandonnent leur enfant. Mais avec une grande bienveillance. Un peu comme s’ils disaient « en t’abandonnant, nous te libérons ». (Se tournant vers Benoît) Ça me fait penser à cette histoire d’insectes dont tu nous parlais l’autre fois…
Benoît : Les scarabées ! (rires) La mère abandonne toutes les larves et elles sont obligées de se démerder pour arriver à survivre, avec tout un système de double parasitage très compliqué. En gros, plus elles sont abandonnées tôt, plus la nature trouve des moyens assez fous pour qu’elles perdurent. Leur processus créatif, leur croissance viennent de ce qu’elles sont abandonnées très tôt. Cet abandon prématuré leur donne aussi une totale liberté, une force…
Paul : Ça n’a bien sûr rien à voir avec la chanson, mais quand Benoît en parlait, ça m’y a fait penser.
Comment avez-vous choisi l’ordre des titres pour ce quatrième album ? Dans la douleur ?
Benoît : Non ça n’a pas été si dur que ça. Mais c’est toujours une étape importante. Ça se bâtit. C’est venu assez naturellement.
Julien : Étant donné qu’on fait aussi du vinyle, l’objet vinyle est forcément entré en compte dans le tracklisting. Ce qui, en réalité, facilite beaucoup la donne. Quand tu réfléchis par face de vinyle, ça devient tout de suite beaucoup plus clair.
Paul : J’ai l’impression qu’il y a eu des évidences. Dès la composition, on voit déjà la place que certaines chansons occuperont sur le disque. Par exemple, pour Pretend I’m there, il était évident que ce serait la fin du disque.
J’ai l’impression qu’on finissait tous nos albums précédents avec une chanson assez lourde. Et c’est dur pour l’auditeur. C’est, en quelque sorte, le prendre en otage. Alors que là avec Pretend I’m there, même si les paroles sont assez cruelles et déprimantes, la chanson est très douce. C’est un peu une love song. C’est une façon de finir sur la rêverie, la douceur…
Ernest Bergez fait une apparition sur l’album. Comment s’est passée la rencontre et pourquoi avez-vous eu envie de travailler sur ce morceau avec lui ?
Paul : On a composé la chanson en question à trois et je galérais pour trouver ma partie de chant. Je ne trouvais pas ma voix. Je ne voyais pas ce qu’il fallait chanter là-dessus. Et pour la première fois dans notre expérience de groupe, on a demandé de l’aide à quelqu’un.
Ernest est sur Murailles Music, enfin sur le tourneur de Murailles. Et comme le patron de Murailles est assez protecteur avec ses artistes, il aime bien qu’ils se mélangent. Aussi, quand on lui a dit qu’on avait des difficultés sur un morceau, il nous a conseillé d’appeler Ernest, en disant que ça allait être génial.
On l’a rencontré à cette occasion. On ne le connaissait pas du tout. Bien sûr on avait écouté Sourdure et on avait trouvé ça extraordinaire…
Au final, Benoît est allé le voir à Clermont-Ferrand.
Benoît : Oui, il habite à Clermont, alors ça facilite les choses. Je l’avais vu au Trabendo et j’avais pris une belle claque.
Dans sa musique, il y a aussi des liens avec ce qu’on fait, ces bidouillages de drones. Il manie également assez bien des éléments électroniques. Mais de façon très différente des synthés, plutôt avec du circuit bending. De fait, ça s’est croisé. Il se trouve que c’est quelqu’un de très avenant. Ça s’est donc fait aussi comme ça.
Paul : On ne lui a rien dit de particulier. On lui a filé la chanson en lui disant de prendre la place qu’il lui fallait sur le morceau.
Benoît : Mais c’était une belle gageure pour lui aussi. Il a bien galéré. Il y a passé beaucoup de temps. Je crois que c’était la première fois qu’il écrivait en occitan.
Paul : Ce n’est pas une langue qu’il maîtrise encore complètement. Il ne sait pas encore écrire en occitan.
Benoît : Il ne maîtrisait pas encore le processus d’écriture et la prononciation. Il m’a dit y avoir passé de belles nuits. Et n’être pas sûr de se relancer dans un exercice comme celui-là (rires). Parce que cela lui a mis une pression qu’il n’imaginait pas.
On est tous très contents du résultat.
Ça donne un groove étrange au morceau.
Benoît : On avait même un peu peur que ça dénote dans l’album.
Julien : Il y a d’ailleurs des amis proches ou des gens qui nous suivent qui disent que c’est très dérangeant pour eux qu’une nouvelle voix arrive sur l’album…
Question classique : pourquoi Faux-Bourdon ?
Julien : C’est un choix de la fin. Ça a été compliqué aussi.
Paul : On ne va pas vous donner les clés du disque comme ça (rires). C’est l’association de mots, qui, placés comme ça nous parlent. Ça résonne avec plein de choses pour nous. Ça me fait penser à ce moment où on est n’importe où, chez soi, dans la rue et où on s’arrête de faire ce qu’on est en train de faire. On écoute alors simplement ce qu’il se passe. On écoute ce brouhaha, cette espèce de mise à plat…
Benoît : … qui est souvent liée à une fatigue auditive. Quand on entend tous les sons mais sans rien comprendre. Lorsque tu parviens à entendre cinq conversations simultanées mais sans parvenir à les comprendre.
Là oui, clairement, on buttait sur le titre. D’habitude, il y a toujours des idées qu’on propose. Alors que là, rien. On avait fait le tour des trucs en tr : travail, trompe-l’œil… (rires) Salvage Blues sortait aussi un peu du truc. Mais là rien ne se passait.
Qu’est-ce qui a débloqué les choses alors ?
Benoît : Nécessité fait loi (rires).
Paul : C’est venu comme les paroles, d’un coup. Et c’était ça.
C’est Samplerman qui a réalisé l’artwork de Faux-Bourdon, ainsi que le premier clip issu de l’album. Là encore, comment s’est passée la rencontre, comment est venue l’idée de travailler avec lui ?
Paul : On ne l’a jamais rencontré. C’est venu d’un blog, Matière, Matière, Matière. Qui reprend tout ce qui se fait dans le visuel contemporain, en version tumblr. Il y a énormément de choses. Et au milieu de ça, il y avait un travail de Samplerman.
On est allé voir plus précisément ce que faisait ce gars. On ne savait même pas qui il était (il se cache derrière ce sobriquet, donc il pouvait très bien venir du fin fond des États Unis…) On l’a juste contacté en lui demandant qui il était. Et il se trouve que ce gars habite… Belle Ile en Mer ! (rires) Il est très sympa. On lui a demandé si ça l’intéresserait de bosser sur une pochette. Il nous a répondu avoir justement envie de faire une pochette de disque et que cela représentait une super occasion. Il a écouté le disque, nous a fait de supers retours. Il nous a proposé plein de choses. Et en plus tout est génial dans ce qu’il propose.
Julien : A la base, le visuel qui est au dos de la pochette devait être le recto. Mais ce boulot-là était une sorte de condensé de ce qu’on lui avait demandé de faire. Au bout d’un moment, on s’est rendu compte qu’en lui demandant plein de choses de cette manière-là, on était peut-être en train de dénaturer son travail. On s’est en tout cas posé la question. En fait, on a trouvé ce qui allait devenir la pochette en allant refouiller dans ses originaux. Avec cette image, c’est beaucoup plus évident.
Par rapport à son boulot, également, la façon dont il travaille ses formes nous rappelait la façon dont on peut envisager notre musique. Prendre des éléments, les traiter ensuite différemment, les sortir de leur contexte et en faire un truc original. C’est aussi ça qui nous a rapprochés.
Paul : Il y a aussi quelque chose assez hors du temps chez Samplerman. On ne sait pas si c’est ancestral ou futuriste. C’est dur à dater. Il y avait donc des liens évidents avec ce qu’il essaie de faire. Je crois qu’il a une banque de données de tout ce qu’il collecte en termes de comix depuis les années 30. Je crois que c’est sur un site d’archivage. Il pioche là-dedans. Il a une imagination débordante. Ça a l’air d’être un taré de travail. On est vraiment content d’avoir rencontré ce gars, même si on ne l’a jamais vu de visu. J’aimerais vraiment le rencontrer d’ailleurs !
Pour vous, studio et live sont deux entités différentes, que vous abordez différemment. Là c’est votre quatrième date depuis la sortie. Comment s’articule le passage de ce nouvel album au live ?
Julien : Ça a été un peu comme d’habitude. On sait qu’a priori il y a des choses qui ne sont pas possibles à refaire. Mais on essaie quand même. On trouve des solutions. Il y a des choses qui ne fonctionnent pas du tout. Ce n’est pas possible. Mais on essaie encore (rires). C’était peut-être l’un des plus grands défis, avant de s’y coller. C’est sûrement un des trucs qui nous faisait le plus peur par rapport à nos albums précédents.
Paul : En enregistrant le disque, même, il y a des moments où on se disait qu’on n’allait jamais y arriver en live.
Julien : Et je dirais qu’au final ça n’a pas été si compliqué qu’on aurait cru. Après il a fallu qu’on étoffe nos instruments sur scène pour pouvoir reproduire certaines choses. Mais je trouve que ça se fait plutôt bien. Peut-être aussi parce qu’on a l’expérience des albums précédents. On commence à savoir comment ça fonctionne chez nous.
Paul : Les trois ans de ciné-concert ont aussi changé notre rapport à la scène. On a passé trois ans de notre carrière à être dos au public, à regarder un écran. Notre musique a peut-être changé, par rapport à ça, vers un truc moins frontal. Et je crois que ça se ressent dans notre rapport à la scène, du peu qu’on en vécu depuis ces trois dates Il y a quelque chose de beaucoup plus concentré, moins conquérant, moins épique et moins frontal. Parfois quand je repense aux lives de Salvage Blues, j’ai l’impression qu’on affrontait tout. On affrontait notre musique, on affrontait notre public, on était constamment dans un truc d’affrontement. Ce n’est plus le cas, je crois qu’aujourd’hui. Peut-être qu’on est vieux… (rires)
Pour finir, après cette date, quels sont vos projets à venir ? Des choses que vous voudriez souligner particulièrement ?
Benoît : Tourner, d’abord, clairement. Interpréter ça. Là c’est encore tout frais, fragile. On ne peut pas encore dire qu’on a fait trois dates parce que par exemple pour la date du Trianon avec Blonde Redhead, on a adapté les choses. On a fait un petit set, spécialement pour cette date-là. Donc en réalité, c’est hier qu’avait lieu notre première date. Et ça s’est bien passé. Mais tout est en rodage et c’en est encore là. On sait que ça va prendre du temps. On va retrouver nos marques petit à petit. Il est vrai que le ciné-concert nous a habitués à certaines choses : on joue assis, ça n’évolue pas du tout car on joue dans un cadre très précis d’images. C’était même surprenant hier de jouer debout, face à un public : ça fait du bien ! Donc clairement, le projet ça reste de défendre l’album. On n’en est pas à déjà penser à un nouveau ciné-concert, …
Merci !!
Merci à vous.