En première partie de notre duo préféré Mansfield.TYA (voir l’annonce ici), c’est un superbe projet qu’on retrouvera ce vendredi 6 novembre à l’Antipode : Benjamin Jarry avec Double Bind. Autrement dit un quatuor violoncelles, piano, clarinette, juste formidable. Interview.
On avait découvert Benjamin Jarry, violoncelliste Nantais, lors d’un premier dimanche aux Champs Libres concocté par l’association Electroni[k] en 2013. Il était alors en solo (ou sur un morceau rejoint par l’ami Ghislain Fracapane – Mermonte, Fago.Sepia-) pour une prestation essentiellement basée sur son précédent projet Splendid Isolation. On l’avait retrouvé en février 2015, une nouvelle fois pour un Premier Dimanche aux Champs Libres mené par Electroni[k] pour une version d’abord solo de Double Bind, puis en quatuor violoncelles, piano, clarinette. On a d’ailleurs eu peine à croire que c’était le premier concert de la formation, tant on s’est laissé emporté par les développements hypnotiques fomentés par le quatuor. Benjamin Jarry utilise son violoncelle et des traitements électroniques pour boucler les différentes mélodies jouées sur son instrument à l’aide d’une pédale de boucles, un peu à la manière de Julia Kent. Mais c’est surtout autour de la répétition que tournent ses compositions. Les motifs se répètent pour s’entremêler progressivement comme chez Steve Reich. Compositions qui s’organisent sur la répétition mais qui se révèlent paradoxalement, à tiroirs, bifurquant d’un motif à un autre et révélant une grande variété. De façon étonnement accessible et complexe, même. On risque fort d’être une nouvelle fois fasciné par ce qui se joue dans nos oreilles. On a donc profité de la venue du Nantais à l’Antipode MJC pour lui poser quelques questions.
Alter1fo : Pour commencer, pourriez-vous présenter le projet Double Bind en quelques lignes ?
Double Bind est un projet de compositions écrites pour deux violoncelles, un piano et une clarinette. Ce projet tire son nom d’un concept psychanalytique qui désigne la notion d’injonction paradoxale et, dans le cas de l’acte de composition, la tension qui existe entre le désir d’imiter ses mentors et celui de s’en singulariser. L’esthétique globale de ce projet se situe au croisement entre les musiques minimaliste et répétitive d’une part et les musiques actuelles et électroniques (traitement et sampling) d’autre part.
Avant Double Bind, vous aviez sorti un premier opus solo, Splendid Isolation, paru en 2012 sur le label Drone Sweet Drone Records. Comment en êtes-vous arrivé à ce projet en quatuor ? Quelle est la genèse de Double Bind ?
Composer pour plusieurs instruments permet de sortir de la logique d’accumulation liée au boucleur et ainsi de créer des ruptures et des modulations.
La pièce Double Bind était jouée à l’origine en solo avec le boucleur mais ne donnait pas de résultat tangible à l’enregistrement. Le 4ème morceau de Splendid Isolation est donc devenu le premier de Double Bind, et seul un nouvel instrumentarium a pu rendre grâce à la pièce. J’avais déjà essayé d’écrire pour trio à cordes ou quartet il y a quelques années mais sans résultat. J’avais cependant gardé de côté certains motifs que j’estimais efficaces. C’est surtout au niveau des structures, sur la façon de hiérarchiser les éléments, qu’une évolution s’est fait sentir.
Pour Double Bind, vous jouez avec Suzanne Fischer (violoncelle), Clara Bodet (clarinette basse) et Sandy Ralambondrainy (piano). Comment les avez-vous rencontrés ?
Suzanne et moi avons eu la même professeur de violoncelle, Marion Middenway. J’ai rencontré Clara lors d’une master class avec Christain Wolf organisée par Apo 33. Sandy et moi avons travaillé sur des installations pour l’association Territoires imaginaires. Leur enthousiasme pour interpréter et questionner ma musique a considérablement consolidé le quatuor.
Votre musique nous a immédiatement fait penser à Steve Reich à cause de ses jeux sur les motifs répétitifs et les timbres que vous utilisez. On a également beaucoup pensé à l’émotion que peuvent dégager les compositions de Michael Nyman et bien sûr des Américains de Rachel’s, voire Gordon Whiters ou Oliver Coates. Lorsqu’on vous a vu jouer en solo et utiliser des boucles, on a également fait le rapprochement avec Julia Kent. Êtes-vous d’accord avec ces rapprochements ? Comment qualifieriez-vous votre musique de votre côté ? Quelles sont les influences que vous revendiqueriez ?
Oui c’est juste.
Je peux rajouter à ces influences la scène noise des 90 ‘s (My Bloody Valentine, Sonic Youth) et encore des musiciens minimalistes comme Tony Conrad ou Charlemagne Palestine.
J’utilise un dispositif proche de celui de Julia Kent d’où le rapprochement. L’idée est de joindre ce dispositif de sampling avec un ensemble instrumental.
Comment composez-vous ? Est-ce que vous composez seul ou bien est-ce que chacun arrive avec une partie, une idée, autour de laquelle vous travaillez ensemble ?
Oui je compose seul, un peu comme je le faisais pour Splendid Isolation.
Nous cherchons ensuite ensemble des façons d’interpréter. En revanche, certaines parties plus abstraites sont structurées autour de partitions graphiques et laissent une plus grande marge de manœuvre aux interprètes.
On avait adoré Splendid Isolation, que vous aviez alors réalisé en solo. Quelles étaient vos envies avec cet enregistrement ?
Mon but était d’utiliser le boucleur comme outil de composition et non comme un substitut à un accompagnement. Il devenait alors naturel de se diriger vers des musiques répétitives.
Pour le moment, deux titres du projet Double Bind peuvent être écoutés via votre bandcamp. Est-il prévu une sortie de disque dans l’avenir ? Et si c’est le cas, à quoi peut-on s’attendre ?
Oui un disque sera enregistré et distribué dans un avenir… plus ou moins proche. Il ressemblera aux démo, avec un meilleur son, plus de morceaux et plus d’expérience dans le jeu.
On a été frappé par le visuel qui accompagne les deux titres de votre bandcamp. D’où vient cette photographie ?
C’est une photographie de presse qui montre une personne noyée dans le golfe du Mexique. J’y ai retrouvé une thématique déjà usitée sur la couverture de mon solo: j’avais recherché à l’époque une façon de suggérer une forme d’apesanteur musicale, à travers des structures s’étirant, des tuilages, l’utilisation hypnotique de la répétition. Cette absence de gravité est cependant ambiguë : elle est celle d’un navire qui sombre sur la couverture de Splendid Isolation. La photo qui illustre Double bind reprend cette idée. L’aspect répétitif de cette musique induit une l’introspection, presque une régression qui par certains aspects peut être vue comme un refus du réel, d’où la connotation morbide de la photo. De plus, le contraste entre le ciel et la mer renforce la dualité exprimée dans Double Bind.
Pour finir, après ce concert à l’Antipode MJC, quels sont vos projets, vos actualités ?
Finir une nouvelle composition pour le quartet, plus longue et plus massive que les deux précédentes.
Reprendre un projet solo avec des dispositifs numériques offrant plus de possibilités que le boucleur.
Et puis des collaborations en cours: un nouveau programme avec l’ensemble Minisym, un nouveau disque avec Marc Morvan, une pièce de théâtre avec la compagnie extra-muros…
Merci !!
Benjamin Jarry/Double Bind sera en concert vendredi 6 novembre à l’Antipode MJC (2 rue André Trasbot – Rennes) avec Mansfield.TYA à partir de 20h.
Tarifs : Sortir ! : 5 € / Membres ADMIT : 14 € / Prévente : 16 € / Sur Place : 18 €
Plus d’1fos sur Benjamin Jarry/Double Bind et le concert à l’Antipode.