Honnis soient les Skinheads !

Moonstomp

S’il est bien un mouvement qui traine une fâcheuse réputation, c’est bien le mouvement Skinhead. Pourtant tout n’était pas si noir (ou blanc) à l’origine. En effet ces jeunes prolétaires agités vouaient un tel culte à la culture Jamaïcaine de la fin des sixties que lorsqu’elle prit le virage du Rastafarisme au début des années 70, cela stoppa brutalement l’ascension de cette mouvance. Plus tard avec l’arrivée du Punk et sous fond de crise économique, une bonne partie du renouveau Skinhead flirtera pour son plus grand malheur avec l’extrême droite et entérinera de fait son statut de mouvement maudit.

Trente ans après le fatal glissement vers des extrémités peu glorieuses, plusieurs ouvrages sortent pour expliquer, clarifier et amener une certaine réhabilitation du Skinhead. Déjà en 2006 le cinéma avec « This Is England » avait remis un peu les pendules à l’heure en re- contextualisant ce phénomène typiquement anglais. Le film a ses défauts mais permet au grand public de découvrir un mouvement pluriculturel, multi-ethnique plus complexe et moins effrayant qu’il n’y paraît. Après 2011 avec la traduction de l’anthologie Mods de Paolo Hewitt qui suivait la sortie du film « We Are The Mods », l’année 2012 serait-elle celle des Skinheads ?

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Historiquement les Skinheads viennent de la radicalisation d’une partie du mouvement Mods quand celui ci, renonçant à ses racines musicales purement noires (Jazz, Ska, Rhythm and Blues, Soul), s’ouvrit au psychédélisme et opta pour des tenues moins strictes et plus décontractées. Cette scission s’opéra au milieu des années soixante par les éléments les plus jeunes, les « Hard Mods ». Les cheveux se firent plus courts avec des tenues vestimentaires plus uniformisées et moins extravagantes que leurs ainés. Au fur et à mesure que les Mods disparaissaient, le mouvement Skinhead émergea. Musicalement, ces jeunes prolétaires optent pour le Ska et le Rocksteady Jamaïcain. Les tenues de travail (Jeans droits, Doc Martens, Polos Perry, Blousons Harringtons) deviennent la norme pour le jour, tandis que les costumes plus élégants sont réservés pour les clubs de danse, la nuit. Les blancs et les Rude Boys Jamaïcains se mêlent pour ne former qu’un seul groupe. L’amour pour la musique lisse leurs différences. Les grands noms de l’époque sont : Toots And The Mayals, Desmond Dekker, Laurel Aitken ou les Ethiopians. Le mouvement est complètement apolitique. La seule chose qui compte c’est la frénésie du Beat, à tel point que lorsqu’au début des années 70, le Dub, puis le Reggae remplacent les rythmes endiablés, cela tue purement et simplement le mouvement.

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L’arrivée du Punk à la fin des années 70 va sortir de l’oubli un mouvement moribond qui se retrouve dans cette musique agressive et peu sophistiquée. La deuxième vague Punk va être l’occasion de l’émergence de nouveaux groupes qui vont jouer un punk rock basique avec des cœurs appuyés de type, stade de foot. C’est la naissance de la Oi! Ce type de Punk plait par sa simplicité et par des paroles orientées « Working Class » et complètement dénuées d’ironie : un premier degré de rigueur aussi bien dans les paroles que dans la musique. Le fer de lance de cette musique est mené par Sham 69 et leur fameux « If The Kids Are United (They Never Be Divided) », Angelic Upstarts, Cock Sparrer ou les Cokney Rejects. Le terme Oi! sera popularisé et ardemment défendu par le journaliste Gary Bushell (ex-manager des Cokney Rejects) dans le journal « Sounds ».

Le Skin du début des années 80 se différencie largement de son comparse de la fin des 70’s. Il s’est nourri de la radicalité et de l’agressivité du Punk pour proposer une variante beaucoup moins amicale. Visuellement aussi, le look s’est militarisé. Les Boots de parachutistes coqués ont remplacées les Docs Martens. Les Bombers MA1 des aviateurs américains foisonnent et le jeans est bariolé de taches de javel (version camouflage urbain). La situation économique n’est pas non plus la même. La crise pétrolière est passée par là, et la majorité des Skins qui sont au chômage deviennent des cibles plus faciles pour le « National Front » (NF, parti d’extrême droite). Les Skins sont des bonnes recrues pour les actions coup de poing mais ils deviendront rapidement ingérables pour un parti en quête de respectabilité. Il faudra quand même quelques années avant que l’extrême droite ne comprenne que les Skins ne deviendront jamais des militants modèles.

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Alors qu’en juillet 1981, la Oi! s’apprêtait à rentrer dans les charts anglais, un concert est organisé dans un pub de Southall, un quartier asiatique qui avait connu des émeutes raciales très violentes 2 ans auparavant. A cette époque les Skinheads étaient violemment montrés du doigt par une presse toujours à l’affut d’articles à sensation. Ce soir là, la police quadrille le quartier et la communauté Pakistanaise est chauffée à blanc. Lorsqu’on signale une agression par un Skin, la situation dégénère. Le pub est incendié à coup de cocktails molotov. Les Skinheads prennent la fuite tandis que les affrontements continuent le restant de la nuit entre policiers et les jeunes du quartier. Cet incident sera une nouvelle fois monté en épingle et portera un coup fatal à la scène Oi! et au mouvement Skinhead en général.

En parallèle Sham 69 est obligé de se séparer à cause d’une partie définitivement incontrôlable de son public qui vouait une sympathie certaine pour l’extrême droite. Le fait que leur chanteur, Jimmy Pursey participe au coté de The Clash au festival ‘Rock Against Racism‘ (RAR) ne changera rien. Après tous ces incidents, les groupes de Oi! seront obligés de choisir leur camp. La quasi totalité se déclarera proche de la gauche ou simplement apolitique. En réaction au RAR, Ian Stuart et son groupe Skrewdriver, proche du NF créeront le RAC (Rock Against Communism). Le RAC finira par ratisser plus large que le Punk en englobant tous les groupes proches de l’extrême droite, mais n’arrivant jamais à toucher quiconque n’était déjà pas proche de leurs idées.

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Aujourd’hui il existe toujours une mouvance Skinhead même si elle est extrêmement hétérogène. On pourrait presque dire qu’il y a autant de types de Skins que de Skinheads. Néanmoins le look s’est recentré sur celui des origines, le « Spirit of 69 ». Musicalement les grandes tendances sont toujours le Ska/2 Tones, le Rocksteady, et le Street Punk, version moderne de la Oi! d’antan. Le look Skin permet en outre, pour les punks vieillissant, de recycler la panoplie Destroy de leur 20 ans, tout en arborant une coupe de cheveux plus passe-partout (très utile pour un job régulier), à moins que ce soit juste une revanche sur une calvitie précoce ?

Deux ouvrages sur cette thématique sont donc sortis ces jours ci.

Skinheads de John King aux éditions Au Diable Vauvert.

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Skinheads retrace le parcours d’une famille de Skinheads à travers plusieurs générations. Terry English un Skinhead de 1969 a monté une affaire de Taxi à Londres dans laquelle tous les employés sont des Skins, notamment son neveu Ray un « Skin 84 ». Terry est veuf et malade. Il pense que sa fin est proche. Mais il a des principes, c’est quelqu’un qui travaille dur et qui ne va pas s’apitoyer sur son sort. S’il doit partir, se sera, droit dans ses Docs et le poil coupé ras, au sabot n°2. Son neveu, lui est enlisé dans des problèmes de couple et est en colère contre la terre entière. Sa colère et ses principes inflexibles l’empêchent d’avancer. Autour d’eux, l’univers tourne autour des copains du pub, du billard, du foot et surtout de la musique qui est le pilier central de leurs vies.

Skinheads est la vision d’une certaine classe laborieuse anglaise qui n’hésite pas à se défendre et à défendre ses principes quand la nécessité l’oblige. Le livre est un régal. C’est une immersion totale dans un univers typiquement britannique. Il n’y a que là bas que l’on peut trouver de telles sub-cultures (Rockers, Mods, Punks, Skin, Souls Boys, 2 Tones, etc.) qui perdurent de génération en génération et où l’esprit de corps est omniprésent.

Skinhead – Nick Knight aux éditions Camion Blanc.

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Ce livre est la première traduction du livre de 1982 sorti chez Omnibus Press et qui faisait référence depuis sur le mouvement Skin. Le livre est écrit à plusieurs mains. Nick Knight dans la première partie revient sur l’historiographie du mouvements et propose à la fin du livre une sélection de photos datant de 80/81 prise dans L’East End Londonien. Ensuite Dick Hebdige, théoricien des cultures undergrounds s’attarde sur la psychologie des Skinheads du début des 80’s. Enfin Jim Ferguson nous montre un panel exhaustif du « dress code » en vigueur entre les années 69-71. On notera une nouvelle fois à quel point les Skins, héritiers des Mods, étaient soucieux de leur apparence jusqu’au moindre détail.

Pour ceux qui comme moi ont fuit comme la peste (brune ?) cette inamicale population, rassurez vous, il est loin le temps des affrontements légendaires entre les différentes factions de la jeunesse. Le Skin après avoir connu une enfance dorée, s’est révélé difficilement supportable pendant son adolescence. Aujourd’hui, il est revenu à ses fondamentaux, c’est à dire du « Smart-dressing » pour danser sur un « Heavy Heavy Monster Sound » ! Alors Skinhead, il est temps de cirer tes chaussures de danse, samedi soir la jeunesse s’amuse, et c’est bientôt l’heure du « Moonstomp Skinhead » !

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