France et Chausse Trappe clôturent Zang Toumb en beauté

2011-04-09-Zang_Toumb-alter1foDu 15 mars au 9 avril, le festival Zang Toumb rassemblait plusieurs manifestations dans différents lieux rennais : performances sonores, expositions, conférences et projections se sont succédées, que ce soit au Bon Accueil, à l’école des Beaux-Arts de Rennes, à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne, à l’IUFM ou à l’Antipode (avec justement, la sublime et étincelante -dans tous les sens du terme !- performance sonore de Sakamoto Hiromichi, violoncelliste et multi-instrumentiste qui a eu lieu le 22 mars, voir le compte-rendu de la soirée ici).

Ce samedi 9 avril, c’est La Chapelle du Conservatoire qui ouvrait ses portes à Zang Toumb pour la dernière soirée de cette édition. Initié par des étudiants de plusieurs écoles d’art et d’architecture, ainsi que de jeunes artistes, architectes, théoriciens ou musiciens « qui développent des pratiques reliées à la notion de machine » , ce festival proposait en soirée de clôture un concert avec France et Chausse Trappe.

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Lorsqu’on pénètre dans la Chapelle du Conservatoire, on remarque tout de suite que la scène est à même le sol, sur la moquette. La « vraie » scène est simplement occupée par les amplis, surmontés par les têtes d’amplis, face à nous. Les deux groupes présents ce soir ont en effet demandé aux organisateurs de jouer à la hauteur du public, pour créer une ambiance plus intime et moins frontale.

Pari réussi ! Tout de suite à l’aise, le public, pour une grande partie, s’assoit sur la moquette face aux deux groupes. D’autres choisissent de rester debout pour danser et rentrer dans la transe et quelques uns s’allongent  sur le sol. Le sol couvert de moquette renforce encore l’intimité du lieu. La petite Chapelle se remplit vite et est déjà bien pleine lorsque Chausse Trapppe s’installe derrière ses instruments.

2011-04-09-Zang_Toumb-alter1fo-7Un violoniste à l’impeccable mèche blonde, un batteur qui assure avec talent derrière les fûts, un guitariste et un bassiste entament donc le premier morceau de ce set. Chausse Trappe est au carrefour entre post-punk, kraut-rock, noise et math-rock. Leur premier morceau, instrumental, comme tout le set, prend le temps de se développer. Le violon, la basse, la guitare et la batterie cherchent à créer une sorte de son continu qui se développe progressivement. On se laisse vite prendre par ce long développement qui se révèle très vite hypnotique. Ce premier morceau dure plusieurs minutes et lorsqu’il s’achève, les applaudissements sont fournis. Leur qualité de régionaux de l’étape n’y est certainement pas étrangère, mais c’est surtout le talent et la maîtrise des quatre musiciens qui emportent les suffrages à notre avis. Les quatre artistes sont carrés et précis.

Ils maîtrisent aussi parfaitement les pédales d’effets qu’ils utilisent. Le groupe essaie en effet de travailler sur la tessiture du son. Le violon passe par exemple lui aussi par des pédales d’effets et emplit l’espace de fréquences différentes. Pour le second morceau (le set ne comptera que trois morceaux, étant donné la longueur des compositions du quatuor), le guitariste troque sa guitare contre une basse. Le groupe apparaît donc dans une nouvelle formation : batterie-violon-basses. Il y gagne aussitôt en intensité et en énergie. Après un premier morceau relativement posé et calme, ce second titre sonne plus lourd et massif. Pour autant, le travail sur les fréquences et sur les sons dans l’espace reste fourni et fouillé.

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Pour le troisième et dernier titre, le batteur quitte ses fûts pour se diriger vers un vieux synthétiseur surmonté de quelques machines. Il commence seul. Des harmonies soniques emplissent progressivement l’espace. Le violon, la guitare puis la basse s’agrègent progressivement à la texture sonore qui se développe lentement. Le batteur revient ensuite derrière sa batterie et le morceau continue sa longue progression. La musique de Chausse Trappe révèle l’épaisseur du son, mais sans abandonner pour autant un développement des compositions proche de la noise et du post-rock qui rendent ses morceaux, pourtant complexes et expérimentaux, facilement accessibles à ses auditeurs.

Tout aussi hypnotique se révéle la prestation des Stéphanois de France. Aussi peu googlisable que Chausse Trappe, le trio est pourtant remarquable. A côté des plus habituelles basse et batterie (tenues respectivement par Jérémie Sauvage et Mathieu Tilly), c’est une vielle à roue (jouée par Yann Gourdon) que l’on peut découvrir sur scène. Pour autant, la musique du trio des conforts du Massif Central n’a rien d’une musique folklorique traditionnelle. La vieille à roue est plutôt utilisée pour son côté hypnotique et dégage une sorte de larsen continu. On est davantage du côté de Terry Riley et de sa pièce In C. Tout comme celle du compositeur américain, la musique de France ressemble à un tissu musical tournant sur lui-même et évoluant lentement d’une couleur à l’autre, grâce à la répétition continue du même motif, qui varie, imperceptiblement.

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Le groupe ne jouera en effet qu’un morceau, une très longue pièce, qui s’étire sur plusieurs dizaines de minutes. Ils commencent à jouer alors que le public est encore dehors. Mais très vite, la Chapelle se remplit à nouveau. Yann Gourdon avance avec sa vieille à roue face à nous, puis se retourne, faisant face aux deux autres musiciens. C’est le seul instant où le public pourra le voir de face. Une fois retourné, nous ne le verrons plus qu’avancer et reculer de quelques pas en suivant le rythme, hypnotique, de la musique.

La vielle à roue est utilisée pour créer une sorte de bourdon continu, une sorte de larsen qui remplit l’espace de ses fréquences. La basse, métronomique appuie le plus souvent sur les temps et contre-temps, dans une répétition continue du même motif mais avec des variations ténues, parfois imperceptibles si l’on n’y fait pas attention. La batterie est simplifiée : une grosse caisse, une caisse claire, une charley surmontée de clochettes et un tambourin à clochettes. Rien de plus, rien de moins. Le batteur, lunettes de soleil sur le nez et tout aussi métronomique que le bassiste, répète lui aussi constamment les mêmes motifs avec une régularité qui aurait eu sa place dans le krautrock. Pourtant, imperceptiblement, certaines variations infimes apparaissent progressivement à l’oreille.

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Les musiciens de France génèrent une longue pièce répétitive qui repose sur des micro-variations tonales continues. Le résultat est totalement hypnotique. Le son devient matière. De loin, on pourrait croire qu’il se passe toujours la même chose tant cette musique joue sur la répétition. Mais tout comme celle de Terry Riley, cette musique repose sur une pulsation continue sur laquelle se détachent progressivement des variations infimes. Le magma sonore répétitif est traversé par des changements progressifs qui sautent aux oreilles pour tant qu’on arrive à se laisser hypnotiser par cette répétition continue. On a l’impression d’être sur un immense nuage de masse sonore qui voyage lentement et nous laisse découvrir progressivement ses aspérités cotonneuses et les masses d’air qui flottent autour.

Dans le public, certains dansent, emportés par la transe musicale. D’autres s’allongent pour se laisser voyager au gré des déplacements de masse sonore. On se souvient d’ailleurs que le trio a sorti  une cassette en septembre dernier (et désormais épuisée) avec deux lives, un sur chaque face. L’originalité de la cassette reposait sur le fait que les deux lives étaient en réalité le même morceau, mais enregistré lors de deux prestations différentes. On imagine donc que pour le groupe, l’essentiel réside dans comment cette pièce résonne dans un nouvel espace, face à un public différent.

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L’une des choses notables durant cette prestation, c’est qu‘à aucun moment, le morceau ne baisse d’intensité. Sur cette quarantaine de minutes, les musiciens tournent, répètent, mais sans jamais faiblir et hypnotisent progressivement leurs auditeurs. On imagine pourtant que le dos de Yann Gourdon doit souffrir de porter cette vielle à roue si longtemps, que les muscles des trois musiciens doivent progressivement se raidir et ne plus en pouvoir. Rien ne transparaît pour autant. Chacun tient la régularité de la pulsation et l’intensité de la prestation.

Après plusieurs dizaines de minutes, le bassiste s’esquive discrètement derrière la scène, suivi par Mathieu Tilly qui va s’asseoir et se dissimuler derrière l’ampli de la basse. Il ne reste plus que Yann Gourdon qui tourne la roue de sa vielle dans ce bourdon continu, seul face à son ampli surélevé et à sa petite table de mixage. Il s’en approche progressivement puis pose sa vielle à terre. Il monte derrière la scène et s’esquive à son tour, en se frottant le visage, épuisé, on imagine, par l’intensité de la prestation et par la fatigue physique que celle-ci a pu engendrer.

Zang Toumb s’achève sur un bourdon lancinant qui s’atténue progressivement. On se promet, l’année prochaine, de leur confier de nouveau nos oreilles. Les propositions artistiques du festival se révélant ambitieuses, relativement inhabituelles, mais d’une qualité indéniable.

Photos : Caro

1 commentaires sur “France et Chausse Trappe clôturent Zang Toumb en beauté

  1. sylvain kicka

    Ce fut un concert exceptionnel. Surtout Chausse-trappe, que j’ai trouvé brillant. Je suis un vieux fan de post-rock et de musique sérielle, et je trouve ici que la combinaison des deux fonctionne à merveille. Vivement la suite!!!!

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