Nous les voyons mais nous ne les regardons pas. Nous les entendons mais nous ne les écoutons pas… Les personnes vivant dans la rue sont devenues notre quotidien à un point tel que nous y prêtons de moins en moins attention. D’ailleurs, tout est fait pour les éloigner de nos centres villes. Les arrêtés municipaux anti-mendicités ne cessent d’augmenter quand certaines municipalités rivalisent d’imagination pour implanter du mobilier urbain anti-SDF.
Il y a un an tout juste, nous vous parlions de ce chouette projet créé par des étudiant-e-s de Rennes 2 et réunis sous le nom du collectif Que suis je sans toit ? (qui semble malheureusement inactif depuis l’été dernier). « Que suis-je sans Toit » avait pour but de nous sensibiliser sur la situation des SDF en réalisant leurs portraits photographiques. Aujourd’hui, les mots ont remplacé la photo et c’est un livre d’entretiens publié aux éditions « Le temps qui passe » et écrit par Pascal Rougé qui a retenu notre attention.
Ce livre aborde à travers la retranscription de conversations, de confidences et d’échanges, la vie de ces gens que l’on appelle communément SDF, clochard, zonard, mendiant, vagabond, nomade… L’extrême pauvreté décrite dans le bouquin n’est pas seulement matérielle : elle pointe du doigt les insuffisances de notre système qu’il soit social ou économique pour lutter contre les exclusions. Chiffre marquant, le nombre de personnes sans domicile a bondi de 50 % entre 2001 et 2012. Aujourd’hui, 141 500 personnes sont à la rue, logent à l’hôtel, sous un abri de fortune ou en centre d’hébergement selon le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre.
Pascal Rougé, professeur de philosophie depuis une quinzaine d’années est connu des rennais-e-s pour avoir travaillé au cinéma l’Arvor mais aussi parce qu’il fût le directeur de publication de la revue littéraire « Tempêtes sous un crâne » dans les années 90. Bourreau de travail, il publie aujourd’hui son 21ième ouvrage aux éditions « Le temps qui passe » en autoédition.
Après un premier ouvrage paru au milieu des années 1990 consacré aux personnes sdf, Pascal Rougé a donc voulu voir de quoi il en retournait vingt ans plus tard. Toujours motivé par un désir de mieux comprendre leurs conditions, il est allé à leur rencontre dans les rues de Rennes avec ses interrogations et son dictaphone.
Pascal Rougé : « L’objectif de ce livre est de scruter comment vivent les gens qui sont à la rue et de donner la parole à ces sans-voix, à ceux que l’on n’entend jamais. Je me suis posé pas mal de questions avant de me lancer notamment sur le premier contact. Comment allais-je être reçu, comment serais-je perçu…? Finalement, mon passeport fut mon premier bouquin que je leur ai présenté. Très rapidement, les personnes ont adhéré au projet et tout s’est enchaîné… »
Avec audace, souvent agenouillé à même le sol pour être à leur hauteur, Pascal Rougé a su installer une certaine confiance. Il a ainsi obtenu les témoignages précieux de Yasmina, de Psyké, du « Che », de Jean-Pierre, de Bertrand et de Charif, de Thomas et de Joëlle, tous à la rue ou dans une situation d’extrême précarité.
Confidences fortes. Ni vernis ni atténuation, le livre n’édulcore aucun aspect et reflète une violence quotidienne : bagarre, tension avec la police, alcoolémie, lutte pour un territoire, recherche d’un abri… Pour Pascal Rougé, « cette violence est existentielle, biologique, institutionnalisée, sociale, économique […] ces gens sont agressés de toute part et sont arrivés à un stade où toute contrainte les affecte. ». Si la vie est une lutte, la rue est son champ de bataille.
Digne d’un uppercut, le livre démontre que les Sans-Abris de par leur hétérogénéité et leur mobilité posent de grandes difficultés pour nos sociétés actuelles à gérer cette exclusion. Certains désertent des lieux pourtant censés leur venir en aide comme le Fourneau ou le Foyer Saint-Benoit-de-Labre, souvent à cause des vols ou de la violence in-situ. « Ces structures d’accueil sont parfois trop contraignantes pour eux et la plupart font le choix de les ignorer pour se débrouiller tous seuls… » selon Pascal Rougé. D’autres verront leur demande au 115 rester lettre morte, faute de moyens : « Seule une demande sur deux faite au 115 est satisfaite » précise Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.
Le livre est une sorte de passerelle entre le lecteur et ces gens de la rue. Nous en ressortons émus, touchés, une fois la dernière page tournée. Cette réalité faussement occultée par nos propres œillères ne peut nous laisser insensible. Elle nous rappelle d’ailleurs ce genre de claque que l’on se prend après une nuit de tournée en maraude. Lutter contre l’indifférence reste, nous le supposons, l’objectif principal du combat de Pascal Rougé : « En 20 ans, ce qui n’a pas changé, c’est cette indifférence. Ces gens de la rue font partis du mobilier urbain quand on ne les chasse pas. J’ai l’impression qu’on ne les voit plus comme des êtres humains… »
En espérant que le livre tombe dans les mains du plus grand nombre, Pascal Rougé nous le confesse, il continuera d’interviewer encore d’autres personnes. En attendant, Yasmina, Psyké, « Le Che », Jean-Pierre, Bertrand, Charif, Thomas et Joëlle ont reçu le bouquin accompagné de dessins et de leurs portraits photographiques. Cela semble peu par rapport à leur situation actuelle mais à travers leurs témoignages, tou-te-s ont pu affirmer leur existence et être reconnus en tant qu’individu et non plus comme appartenant à un groupe social, celui des exclus. Un peu d’humanité, que diable !
Un livre à lire absolument.
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L’Extrême exclusion, entretiens avec les Gens de la rue (Pascal Rougé)
aux Editions Le Temps qui passe.
8€ (1,50€ de frais de port).
En vente dans les librairies de rennes (liste non exhaustive) :
Le Failler, Forum du Livre, Planète IO, L’Encre de Bretagne, Blindspot-Les angles morts (rue Poullain Duparc)…
Vous pouvez aussi le commander à l’adresse suivante :
Éditions Le Temps Qui Passe, 37 rue des Jardins de la Vilaine, 35170 Bruz.
Sur internet : https://editionsletempsquipasse.wordpress.com
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En Seine-Saint-Denis, le “115” à bout de souffle (reportage Le monde )