Avant de subir de plein fouet la crise sanitaire qui ne semble pas vouloir s’arrêter, le tourisme d’affaires avait le vent en poupe. « C’est un moteur de l’économie », analysait un élu. Ainsi, des centres des congrès et des parcs des expos ont poussé comme des champignons pour accueillir conventions, séminaires et rencontres professionnelles. Rien qu’en Bretagne, on en compte près d’une vingtaine. Il faut dire que cela peut parfois rapporter gros ! D’après une étude conduite par le cabinet d’audit EY, pas moins de 380 000 événements d’entreprises ont été organisés en 2018, pour 32 Milliards d’€uros de retombées (chiffre difficilement vérifiable, mais bon… ce sont eux les pros, NDLR.) Les principaux gagnants sont bien entendu les entreprises du secteur (agences, organisateurs et prestataires), les hôteliers, les transporteurs et restaurateurs. Mais qui dit « gagnant » dit forcément « perdant », et bien souvent, ce sont les habitant·es qui trinquent.
En effet, pour attirer le chaland, il faut « pimper » sa ville pour la transformer en une destination « attractive et rayonnante ». Nouveau look pour une nouvelle vie économique, Cristina Córdula sort de ce corps. Et pour cela, rien de tel que de pouvoir vanter dans les brochures publicitaires soignées un centre-ville « adapté » à cet effet, c’est-à-dire :
- Calme, comprendre : « Pas de nuisances sonores, donc pas ou peu de concerts… »
- Propre, comprendre : « Dehors celles et ceux qui ne consomment pas, les pauvres, les marginaux… »
- Uniformisé, comprendre : « Installation de grandes chaînes de magasins que l’on retrouve partout (Séphora, Nespresso…), installation des mêmes banques, des mêmes bistrots-gastros… »
Vous l’aurez deviné, il s’agit là d’un cahier des charges rarement compatible avec une vie culturelle riche, avec une vie sociale diversifiée, et encore moins avec une vie nocturne intense.
À Rennes, par exemple, les incidences de cette stratégie touristique de plus en plus agressive sont depuis longtemps visibles : gentrification de la place Saint-Anne jusqu’au Mail Mitterrand, expulsion des populations indésirables du centre-ville, fermetures administratives à l’encontre de plusieurs bistrots historiques, multiplication des caméras de vidéosurveillance, interdiction de manifester dans le vieux centre, disparition des petits commerces au profit de gros propriétaires ou de lieux plus onéreux (Del Arte, Piromalli, mode des burgers gastronomiques, des bistrots à manger… ), etc.
Bref, le tourisme d’affaires est une plaie. Une vraie plaie !
Petits arrangements.
Récemment, la Chambre régionale des comptes de Bretagne a jeté son dévolu sur la gouvernance de la commune de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) pour les exercices 2014 et suivants. Dans un rapport publié le 13 novembre 2020, elle pointe du doigt de graves dysfonctionnements dans la gestion du centre des congrès de la cité corsaire. En effet, malgré des observations répétées dès l’année 2013, la chambre dénonce une gestion « irrégulière » de l’équipement. Ses conclusions sont sans appel : « la commune a laissé à une association (association « Palais du Grand Large », NDLR) composée de quelques membres, pendant plus de 30 ans, le soin de gérer cette activité cruciale au développement touristique et économique de Saint-Malo en s’affranchissant de toute règle de mise en concurrence. »
René Couanau fut maire de Saint-Malo de 1989 à 2014, Claude Renoult, d’avril 2014 à juin 2020, NDLR.
Les rapporteurs émettent d’ailleurs « des doutes sérieux sur la qualification juridique des conventions signées en 1987 et en 2015 par la commune avec l’association » et prévient que « le non-respect des procédures (d’obligations de publicité et de mise en concurrence, NDLR), présente un réel risque pénal […] à la fois pour l’ordonnateur, mais aussi pour les tiers qui auraient pu être favorisés, comme l’association « Palais du grand Large » et son président, qui dispose d’intérêts dans le secteur de l’hôtellerie, du tourisme et des services à Saint-Malo. »
Sur la période 2014-2018, le chiffre d’affaires net moyen de l’association a été de 2,17 M€ par an et la gestion de cet équipement lui a permis de dégager un bénéfice net de 263 292 € sur ces cinq exercices.
Qui perd gagne.
Dans le monde impitoyable des rencontres professionnelles, la concurrence est rude. Enclavé par les centres des congrès de Rennes, de Dinard, de Lorient et de Saint-Brieuc (il faut croire que si tu n’as pas un centre des congrès dans ta ville à 50 ans, c’est que tu as raté ta mandature, NDLR), Saint-Malo s’est lancée en 2015 dans une opération de rénovation du bâtiment afin de le moderniser et de renforcer le niveau de ses prestations. En raison de son indisponibilité depuis novembre 2018, et afin d’éviter un contentieux, un protocole transactionnel a été signé en 2019 par la commune avec l’association gestionnaire. Le coût pour la collectivité atteint la somme de 630 000 €. La chambre regrette donc que la collectivité n’ait pas su « mener des négociations financières plus poussées avec l’association afin de réduire le coût de ce protocole transactionnel ». Elle estime que cette transaction « comporte des concessions réciproques manifestement disproportionnées au détriment de la commune » et par conséquent qu’elle est « irrégulière ».
Qui perd gagne (bis repetita ?)
Comme vu précédement, pour assurer la réhabilitation de cet équipement, la cité corsaire a choisi de signer un bail emphytéotique administratif (BEA) et un contrat de mise à disposition avec la société Kendalia. Le BEA présente l’avantage d’assurer la rénovation dans des délais très contraints (10 mois), sous la responsabilité technique et financière de la société, et de limiter le risque d’un éventuel dérapage financier de l’opération pour la commune. Bon, le hic est que ce contrat impose à la collectivité le versement d’un loyer annuel de 822 754 € HT pendant une durée de 25 ans, en contrepartie du financement et de la réalisation des travaux. Le coût final pour la collectivité de cette opération de réhabilitation et de maintenance du centre des congrès atteindra donc 20,43 M€ soit un coût supérieur (+ 945 300 € sur 25 ans) à celui qu’aurait représenté la réalisation directe des travaux par la commune.
La semaine dernière, dans le Ouest-France, le maire actuel de Saint-Malo, Gilles Lurton (Les Républicains), a pris quelques distances avec le choix de l’équipe précédente. Selon lui, « ce montage semble avoir fonctionné jusqu’à maintenant » mais craint que l’équipe municipale ait « à revenir sur ce sujet dans les prochains mois ». Le mystère demeure entier. Rappelons qu’en 2015, Stéphane Perrin, élu de l’opposition (Parti radical de gauche) n’était pas très enthousiaste. « Avec ce type de montage, les collectivités sont rarement gagnantes », expliquait-il. Son collègue, Pierre Site (Parti socialiste) était plus direct : « c’est une mauvaise affaire à long terme et de la facilité à court terme. » A suivre…
Épilogue.
Ce n’est qu’en 2019 que la commune a décidé, via une procédure conforme aux règles de la commande publique, de passer une délégation de service public pour désigner un nouvel opérateur chargé de l’exploitation de cet équipement communal. Depuis le 1er juillet 2019, la gestion est donc assurée par « Destination Saint-Malo Baie du Mont Saint-Michel », une société publique locale créée par Saint-Malo Agglomération (actionnaire majoritaire à hauteur de 69 %) et la Ville de Saint-Malo en 2017.
La famille Raulic et les Nielles
Pour rappel, c’était en 1987, sous l’impulsion du maire de l’époque, Marcel Planchet, que la gestion et l’exploitation du centre des congrès ont été confiées à l’association de type loi 1901 « Palais du Grand Large ». Celle-ci était composée de chefs d’entreprise de la région Malouine et de professionnels du tourisme (hôteliers, restaurateurs…). Son fonctionnement était disons, parfois… en roue libre. Son contrôle en 2000 par la chambre de la cour des comptes de Bretagne a fait apparaître de nombreux conflits d’intérêts. On pose ci-dessous un extrait du rapport d’observations définitives publié en 2001.
En 2013, Serge Raulic, président de l’association, se défendait dans les colonnes du Ouest-France suite aux premières accusations de la Cour des Comptes (lire ici : Palais du grand large : « 36 millions de retombées »). Serge Raulic n’est pas un inconnu. Il est à la tête d’un véritable empire et règne sur le business lucratif de la thalassothérapie. D’ailleurs, son groupe homonyme est aussi à la manœuvre pour construire, avec le soutien de l’ancienne et actuelle municipalité, un vaste complexe hôtelier sur la falaise encore sauvage des Nielles. Ce projet pharaonique est contesté par de nombreux riverains et une association. Déplorant l’urbanisation de cette « dent creuse », ces opposants dénoncent le bétonnage de la côte et le non-respect de la loi Littoral pour une infrastructure touristique surdimensionnée alors que l’offre est déjà pléthorique (cf. voir la pétition : Non au projet du groupe Raulic sur le site du Camping des Nielles à Saint-Malo, NDLR.)
La Chambre de la cour des comptes s’interroge d’ailleurs sur le montage financier. Elle constate qu’entre l’offre initiale de 2016 et le projet présenté en 2019, la surface de plancher du projet a progressé de 15 % alors que le prix d’achat est resté identique. Pour elle, « la commune aurait eu toute légitimité, au regard du projet définitif, de subordonner l’évolution du projet initial à une négociation sur le prix de vente des terrains en cause. » L’opposition socialiste a toujours dénoncé un prix d’achat « très inférieure au prix du marché (entre 15M€ et 25M€) ». En conclusion, la Chambre s’inquiète d’« un risque juridique avec de possibles conséquences financières » et « invite la commune de Saint-Malo à provisionner les sommes suffisantes si un contentieux contre les décisions susvisées venait à être ouvert. »
LIRE les conclusions du RAPPORT de la Chambre sur Association Palais du Grand Large à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) – 2001
LIRE les conclusions du RAPPORT de la Chambre sur Association Palais du Grand Large à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) – 2013
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