Samedi 2 février, à l’appel de la Coordination régionale Bretagne-Pays-de-Loire-Normandie solidaire des personnes immigrées, une grande manifestation joyeuse et festive a eu lieu à Rennes contre la nouvelle loi asile-immigration. Une vraie réussite ! A cette occasion, il nous semblait important de donner un coup de projecteur sur le collectif de soutien aux personnes sans-papiers. En effet, malgré une médiatisation locale de ses nombreuses actions (occupations de lieux, manifestations, rassemblements…), nous n’avions que peu d’informations sur son origine, son mode de fonctionnement et son évolution.
Crée en 2001, les membres de ce collectif se réunissent régulièrement à la Maison Internationale de Rennes avec pour objectif commun la suppression du statut de « sans-papiers ». Forcément, en 15 ans de lutte, il y a des hauts et des bas, des victoires mais aussi des défaites sans oublier une législation de plus en plus liberticide et une répression de plus en plus forte. Mais est-ce bien là l’essentiel à retenir ? « La personne qui combat peut perdre mais celle qui ne combat pas a déjà perdu », disait Bertolt Brecht. Rencontre et interview avec X., militant actif de la première heure.
[PARTIE 1] – Aux origines du collectif de soutien aux personnes sans-papiers
ALTER1FO : Quel regard portez-vous sur l’évolution du droit des personnes étrangères en France depuis la naissance du collectif ?
X. : Au cours de ces 30 dernières années, nous avons pu observer l’application d’une réforme tous les un an et demi en moyenne. Pour faire court, l’ordonnance de 1945 a été peu modifiée jusque dans les années 80 mais tout bascule à partir des années 90, notamment avec les lois Pasqua sous le gouvernement Balladur.
L’activité législative est donc très importante. Si on lit la loi de manière stricte, on se rend vite compte que cela va de mal en pire, qu’il existe de plus en plus de restrictions. Mais il ne faut pas oublier que chaque modification apporte également avec elle son lot de contradictions dans les procédures administratives qui peuvent être transformées en « ouverture » par les avocat·e·s, les juges ou par les collectifs. Le rapport de force se déplace sans cesse.
Est-ce que l’ampleur des mobilisations en soutien aux personnes sans-papiers se calque sur les nouvelles lois ?
X. : Ce qui change est la facilité ou non de rassembler selon la couleur politique de l’exécutif du moment. Sous un gouvernement de droite, il n’y a globalement pas de problème, l’union de la gauche fonctionne. A contrario, le parti « socialiste » a cette capacité d’accéder au pouvoir avec des annonces généreuses. Mais très vite, elles sont remplacées par une politique proche de la droite. Parfois pire. Et c’est cela qui est déstabilisant et qui complique une convergence des forces.
Une caractéristique du collectif est de rendre visible la lutte. Face à vos occupations, vos rassemblements ou manifestations, les réactions des rennais·es ont-elles évoluées avec le temps ?
X. : Personnellement, ce n’est ni pire ni meilleur. Nous organisons une exposition chaque semaine pour briser les clichés et les idées reçues de l’immigration, place de la République. Cela nous permet de discuter avec pas mal de monde et franchement, j’ai du mal à voir une franche évolution. Il y a toujours celles ou ceux qui vont nous demander d’héberger nous-mêmes les personnes sans-papiers mais cela en reste là. Ce n’est pas plus violent que ça.
Cependant, en France, il y a une extrême droite forte. C’est un fait. Ce n’est pas le Rassemblement National qui est le plus dangereux mais ce parti légitime tout ce qui est à sa droite comme ces groupes identitaires plus ou moins organisés qui n’hésitent pas à aller à la baston. Au début de mon militantisme, j’allais tracter dans la rue, seul, parfois à deux ou trois personnes. Pas plus… Maintenant, je surveille et vérifie toujours d’être en nombre suffisant lors de nos actions, juste au cas où il arrive une embrouille.
Justement vos actions sont relayées dans la presse locale. L’exemple de celle qui a eu lieu contre la pratique des tests osseux en est une parfaite illustration. A chaque fois, j’imagine que cela doit remonter aux oreilles de nos élu·e·s. Quelles sont vos rapports avec la municipalité rennaise ?
X. : Nous nous tournons vers elle lorsque l’État fait défaut ou que la situation est bloquée. Cela se fait toujours dans un rapport de force.
Je me rappelle une action du collectif pour soutenir des familles qui risquaient de dormir à la rue. A cette époque, Edmond Hervé était le maire de Rennes. Nous avons envahi la salle du conseil municipal pour demander leur mise à l’abri. C’était un vrai bordel. Ça gueulait de partout. Au début, Edmond Hervé restait de marbre et froid comme il pouvait l’être de temps en temps et poursuivait son ordre du jour. Finalement, il a lâché cette phrase « il n’y aura pas d’enfant à dormir dans la rue ! ». Depuis, c’est devenu une sorte de ligne rouge à ne pas franchir même si sous l’ère Delaveau, il y a eu quelques reculs.
Avec la pression mise par les différentes associations et collectifs (DAL, UTUD, milieux squats…) pour obtenir un centre d’hébergement ouvert 24h/24 7j/7 de manière inconditionnelle, Nathalie Appéré s’est, elle aussi, engagée publiquement en 2014 à tenir la promesse d’Edmond Hervé. C’est un acquis, ce n’est pas rien !
Mais pour nous, ce n’est pas satisfaisant. Ce que nous reprochons à la municipalité depuis toujours, c’est de ne pas aller plus loin dans l’exemple et de ne pas vouloir héberger TOUT-LE-MONDE ! Quand les services municipaux ouvrent un gymnase, c’est uniquement pour mettre à l’abri des familles avec des enfants mineurs. Jamais ils ne laisseront une place aux célibataires ou aux couples sans enfant mineur. Soyons fous, « vivons en intelligence » et arrêtons de laisser dormir des dizaines de personnes à la rue.
L’année dernière, ce rapport de force s’est intensifié à travers l’occupation de différents lieux symboliques de la ville de Rennes : Crij, TNB, CDAS et surtout l’Université de Rennes2. En ayant participé à quelques AG, nous avons pu constater une forme de « remise en question » pour ne pas dire « contestation » par des membres du collectif. Peux-tu nous en parler ?
X. : Il existe aujourd’hui un environnement particulier qui influe fortement sur le milieu militant et qui nous contraint pas mal. Nous le voyons bien avec le mouvement des « gilets jaunes », une action violente physique ou matérielle sera assurée d’être relayée dans les médias et aura un poids supplémentaire face au pouvoir. C’est un fait. Du coup, tu peux te demander si ce n’est pas le seul moyen pour parvenir à tes fins.
De fortes divisions sont apparues durant l’occupation de Rennes 2 au sein du collectif car quelques militant·e·s nous trouvaient trop mous, trop « plan-plan ». Effectivement, nous le sommes et l’ « ennemi » est aussi au courant de cela. Il sait qu’il n’y aura pas de violence, qu’il n’y aura jamais de gestes contre les flics ou de casse parce que le consensus en a décidé ainsi. Encore une fois, le fait d’organiser, de discuter de la forme de nos actions a pour but de permettre aux personnes sans papiers de participer et de prendre la tête de leur lutte sans prendre aucun risque.
Une autre explication à ces AG houleuses est que nous nous sommes retrouvés au milieu d’un conflit entre les milieux autonomes et la présidence de la FAC. Un blocage de l’université était annoncé et nous ne voulions pas que notre lutte soit récupérée d’un côté comme de l’autre, de manière consciente ou non, intentionnelle ou non. Quand on a commencé à investir Rennes 2, nous avions annoncé à nos interlocuteurs la date de notre départ. C’est un choix du collectif et nous respectons toujours ce que nous disons. C’est notre réputation qui est en jeu ici et c’est grâce à elle que nous pouvons occuper d’autres lieux et continuer à alerter sur des situations d’urgence. Parfois, ne pas aller plus loin dans le rapport de force n’est pas facile à faire comprendre et à faire accepter.
Cela a eu des répercussions sur le collectif ?
X. : Personnellement, j’ai toujours eu un rapport ambigu avec les milieux autonomes, entre une certaine attirance et répulsion. Mais il est vrai qu’il est toujours difficile d’accepter que d’autres viennent remettre en question votre mode de fonctionnement.
Une belle manifestation s’est tenue samedi 2 février contre la nouvelle loi Asile-Immigration votée l’été dernier et publié au journal officiel en septembre dernier. Peux-tu nous donner deux mesures qui vous choquent le plus pour mieux comprendre les conséquences de son application ?
X. : Avant, une personne pouvait effectuer un recours auprès de la Cour Nationale du Droit d’Asile lorsque sa demande d’asile était refusée par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Dorénavant, dans certaines situations, le recours reste possible mais la personne pourra quand même être expulsée. Il y a eu une circulaire de Castaner fin décembre qui demandait aux préfets d’appliquer « résolument » cette disposition pour accélérer les procédures d’éloignement.
Autre point qui nous pose un vrai problème, ce sont les mesures d’interdiction de retour sur le territoire, créées en 2011 mais qui seront cette fois-ci systématisées. Il faut comprendre par-là que ce sont des dizaines de milliers de personnes qui vont se retrouver condamnées à vivre dans la clandestinité. Le combat n’est pas terminé. Loin de là.
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[PARTIE 1] – Aux origines du collectif de soutien aux personnes sans-papiers