Chronique SFFF : Kloetzer, Beukes, Watson

Pour ce trimestre et pour l’été, nous irons du Pôle Sud à l’Angleterre, en passant par Johannesburg, le pays de Galles, et même le Chili. En quête d’un code ou d’une rédemption, de lectures ou de prix littéraires. Avec un des meilleurs auteurs français, une Sud-Africaine et une Gallo-Canadienne.

Vostok – Laurent Kloetzer

VostokLe milieu du XXIè siècle, au Chili. Léonora est la sœur de Juan, chef de bande, membre du Cartel, qui contrôle les villes et les plaines. Les montagnes sont aux Andins, qui envoient des drones pour détruire, qui tentent de réguler le climat.

Parce que son frère veut accéder au réseau de ses ennemis, la jeune fille ira en Antarctique, sur les traces de Veronika Lipenkova, dans la base de Vostok, construite par les soviétiques. Son ghost la suit. Mais Araucan, pour exister, a besoin que Léo ne l’oublie pas.

Il y a deux histoires dans le livre de Laurent Kloetzer : celle de la petite Chilienne et celle de la scientifique russe. Les deux sont dures. Comme le continent glacé.
Le froid détruit : le métal, le plastique, les corps, les esprits.
Mais quand on est parti contre toute logique, ou quand on se bat pour retourner dans l’enfer, c’est qu’on est dans cette forme d’aventure parmi les plus pures : l’exploration. Celle qui oblige aux solutions mécaniques inédites ou désespérées. Celle qui amène parfois à mourir par le feu sur la glace. Qui fait travailler ensemble, se défier. Qui révèlent les survivants : pas forcément ceux qui paraissaient les plus forts.

Le (demi) auteur d’Anamnèse de Lady Star a cette fois signé sans sa femme, Laure.
Il est donc pleinement responsable de ces idées fabuleuses : utiliser le plus grand lac du monde (où une conscience peut flotter), décrire l’Antarctique pour décrire le temps, montrer qu’on n’est pas obligé d’être les méchants, faire rêver les morts des vivants, se demander vers où regarder.

Zoo City – Lauren Beukes

ZooCityZinzi December vit à Zoo City, dans Johannesburg, comme les autres animalés. Son mec, Benoit, a écopé d’une mangouste. Pour la mort de son frère, l’ex-junkie doit se coltiner un paresseux. Si leurs animaux meurent, ils meurent aussi.

Mais avec la bestiole, peut venir un pouvoir. Celui de Zinzi consiste à retrouver les objets perdus.
Odi Huron, manager, producteur va lui confier la recherche de Songweza. La jeune fille forme avec son frère jumeau S’busiso l’un des groupes les plus en vus du pays.

Au début, le trouble est double. Il y a l’Afrique, qu’il faudrait écrire au pluriel, le pays de Mandela semblant être un aimant pour une bonne partie des réfugiés potentiels au sud de l’équateur. Il y a aussi la dimension fantastique : qu’est-ce qui provoque l’apparition d’un animal ? Quels relations entretiennent les humains avec leur « mashavi » ? Qu’est-ce que le Contre-courant ?
Puis vient l’enquête presque classique, où l’on passe en revue les témoins, les proches, où les emmerdes déboulent. Zinzi est d’ailleurs championne toutes catégories pour les recevoir par paquets de douze.
On pense avoir déjà lu tout ça, sauf que Lauren Beukes en propose ici une sacré drôle de version : la SF est comme un pas de côté. Et il y a son humour. Humour des descriptions, des catégorisations des personnages par la narratrice. Mais, mélangé à la dureté de cette société, à la violence, voire à l’horreur, il en ressort plus noir que les gens dont on n’apprend quasiment jamais la couleur.
La balade dans l’industrie musicale de l’Afrique du Sud vaut le détour, particulièrement si l’on a la bonne idée de s’accompagner d’un site de streaming pour découvrir les gens cités.
Enfin, il y a cette trouvaille géniale des animaux en symbiose. Le paresseux de Zinzi ne supporte pas qu’elle se défonce, et le lui fait savoir. Ailleurs, lors de la course-poursuite, il est autant un atout qu’un handicap. Et on ne parle pas des relations des bestioles des amants ou quand deux animalés s’affrontent.

Mais pour suivre l’ancienne journaliste dans son enquête, accrochez-vous. L’écriture de Beukes est dense. Ici, on ne vous tient pas par la main tout du long pour vous aider à suivre.

Morwenna – Jo Walton

MorwennaMorwenna Phelps a 15 ans. Sa sœur jumelle est morte dans un accident qui l’a laissée estropiée. Elle a fui sa mère et a été placée chez son père, qu’elle ne connaît pas. Celui-ci vit avec ses trois demi-sœurs, « les Tantes » .
La jeune fille doit alors intégrer l’école privée d’Arlinghurst. Il lui devient donc très difficile de communiquer avec les fées, tout en se protégeant grâce à la magie.
Ce qui va la sauver : les livres. Ceux de la bibliothèque de l’école ou de la ville voisine, des librairies, ceux que vont lui prêter son père ou les gens qu’elle va rencontrer. Quasiment tous des livres de Science-Fiction ou Fantasy.

Jo Walton a dressé ailleurs la liste de tous les romans cités dans son récit. Pour le fan c’est une mine, qui n’a pas peu contribué au succès de « Morwenna ». Même avec les limites de langue (les auteurs sont anglophones, à ce jour tout n’a pas été traduit) et d’époque (nous sommes en 1979, ce qui est sorti depuis 30 ans n’existe pas), il y a de quoi parfaire sa culture SFFF. Surtout du côté des chouchous : Tolkien, Zelazny, Delany, Le Guin …
La lycéenne donne son avis sur presque tout ce qui lui tombe dans les mains. Mais y puise aussi ses connaissances sur la plupart des sujets : du judaïsme aux relations amoureuses ou sexuelles. Il faut dire qu’au rythme de 2 livres par jour, il faut combler son appétit.

Mais le plus intéressant, c’est la forme : Morwenna nous livre son journal, qu’elle tient quotidiennement. Tout passe par son regard. Est-elle folle ? L’accident l’a-t-il traumatisée ? Les fées existent-elles vraiment dans ce monde ? Que lui veut sa mère ? Que peut faire la magie ?
Les relations avec les autres filles ou les membres de son club de lecture (de SF), avec ses tantes (sont-elles des sorcières?) ou son père et ses grands-pères (le Gallois et le Juif) sont l’autre sujet majeur du roman. Être handicapée quand les sports d’équipe ont une telle importance, ne pas avoir le bon accent, ni les bonnes préoccupations (quelle voiture a son père ?), constater que son corps a changé mais ne rien comprendre au système de taille des soutien-gorges, vouloir devenir écrivain, trouver son entourage stupide et la nourriture infecte. Tout ça va lui arriver, et surtout le plus grand des choix.

En voici un plus petit : vous préféreriez rencontrer un Elfe ou un Plutonien ?

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