Cartographie du Hip-Hop Rennais – Mekah

Placer le hip-hop Rennais sur une carte, donner la parole, petit à petit, à tous ses acteurs, rookies, vétérans, old timer ou jeunes pousses, qu’ils officient en tant que Djs, beatmakers, Mc’s, en groupes, comme beatboxers, réalisateurs, photographes ou clippeurs, et on en passe, qu’ils soient actifs aujourd’hui ou qu’ils l’aient été par le passé, tous contribuent à faire de la scène hip-hop rennaise un vivier foisonnant et bien souvent passionnant. Ce dossier, évolutif, leur est consacré.

(crédit visuel Marion Lépée)

Cette semaine pour enrichir notre cartographie nous recevons Mekah, considéré maintenant comme un old timer de le rap jeu Rennais.
Il vient nous parler, dans une interview fleuve, de sa carrière et de sa vision du rap. Nous revenons avec lui sur plusieurs aspects de sa carrière notamment ses albums personnels ainsi que sur les projets auxquels il a participé en temps qu’activiste. Il nous parle aussi de ses futurs projets et de son regard sur le milieu hip-hop rennais.

Fiche de présentation

Origine : Rennes/Paris
Lieu de résidence: Aubervilliers
Blaze/pseudo/nom: Mekah / Meuk Meuk / Mister Cam
Crew : Tombés Du Camion
Année d’activité: 1995
Genre musical: Rap tout simplement
Nombre d’album ou projets: 5 ou 6
Projets majeurs de ta carrière: 1er album « Trop vrai pour être beau » et la compile rap rennais « Rain City »

 


Alter1fo : Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ?

Mekah : Mekah, 25 ans, bientôt 40, je rappe depuis une vingtaine d’années. J’ai commencé dans ma chambre comme beaucoup de rappeurs, et j’ai mis un peu de temps à oser affronter le public. Faut dire à l’époque, ce n’était pas forcément évident pour un blanc qui ne vivait pas en cité.
J’ai fait plusieurs maquettes pour les potes, quelques scènes, des prises de mic en soirées Ragga/Jungle/Drum’n’bass (très fréquentes à l’époque) et surtout aux commandes, avec El Tismé et Kreema, de l’émission «C.Fran & Direkt» sur Radio Campus Rennes (devenu depuis C-Lab) pendant à peu près 6 ans. C’est là que c’est devenu un peu plus sérieux. J’avais déjà mon style ! A savoir un flow assez clair et des textes parsemés d’humour, ou au moins d’ironie, tout en abordant des thèmes sérieux. Le fait de freestyler en direct quasiment chaque lundi a été un bon exercice.

Tout comme vivre en coloc avec mon pote Ticoq, avec qui on a formé le groupe «Tombés du Camion». J’ai commencé à bosser sur un album solo, boosté par mon pote et beatmaker Kreema qui montait son studio au même moment. Les enregistrements ont duré 2 ans et ont donné lieu à la « P’tit Voyou Tape », une sorte de carte de visite super éclectique et pleine d’invités, puis à « Trop vrai pour être beau », mon premier album physique, celui sur lequel j’ai essayé de ne mettre que des morceaux soignés au niveau de l’écriture, et de privilégier un style musical plutôt classique, hors des tendances du moment… En fait, j’ai fait cet album comme si ça devait être mon seul et unique. Un truc intemporel qui puisse être écouté aussi bien par mes potes, ma femme, ma famille, des collègues, des gosses, sans que je puisse en avoir honte. Et c’est sur cet album qu’il y a les morceaux « Blanc » et « Rain City » qui sont un peu mes petits tubes à moi.

Qu’est-ce qui t’a décidé à te lancer dans la musique ?

A la base, j’ai toujours aimé écrire, raconter des histoires. Au début des années 90, je vivais dans le 19e à Paris et on a tous été à fond sur les premiers MC Solaar, NTM, IAM… Mais c’est en arrivant à Rennes, à 14 ans, que je suis vraiment tombé dans le rap. J’avais des copines au collège qui rappaient un peu, et je me suis dit que moi aussi je pourrais essayer. J’ai testé le DJing en même temps, mais j’ai vite arrêté. Faut dire, je fréquentais DJ Netik à ses débuts et j’ai vite senti que je n’aurai jamais le niveau.

En rap, je n’étais pas super doué mais j’avais des trucs à dire et le sens de la formule. Du coup, j’ai persévéré, essentiellement dans ma chambre dans un premier temps (j’étais très timide) puis au foyer de mon lycée. Par la suite en montant mon propre crew « l’Echapatwar », j’ai enfin pu me frotter à la scène (en 1999). On a gagné un tremplin qui nous a permis d’apparaître sur une compilation de groupes lycéens et de faire plusieurs fêtes de la musique. Ce qui est marrant, c’est qu’à ce moment, j’ai à la fois compris que je voulais vraiment faire du rap mais aussi que je n’en ferai jamais carrière. J’ai eu quelques propositions sérieuses mais ça impliquait à chaque fois de jouer un rôle ou de me formater, soit dans le registre comique, soit dans le registre caillera… Ce qui ne me correspondait pas du tout.

Du coup, je revendique mon amateurisme et ça me donne un certain détachement sur le « milieu » rap français, mais ça ne m’a pas empêché de continuer de plus belle, au fil des rencontres, sans jamais forcer, et en faisant toujours les choses à ma façon. Et tant pis si je suis difficile à cerner ou à mettre dans une catégorie, au contraire c’est plutôt bon signe à mes yeux.

J’ai fini par enregistrer un album parce que mes proches me le demandaient et surtout pour laisser une trace, pour qu’il reste quelque chose de moi et de tout ce temps passé à pratiquer ce truc avec passion. Je n’ai pas l’impression de m’être « lancé » dans la musique, c’est plus un truc qui s’est fait naturellement. Il se trouve qu’il y a eu un bon bouche-à-oreilles, au-delà du petit milieu hip-hop Rennais, ce qui m’a amené à être un peu mis en avant par des médias locaux, comme le Mensuel de Rennes, qui m’avait classé parmi les artistes les plus prometteurs, tous styles confondus. C’est assez chelou avec le recul. Je suis très mauvais dans l’autopromo, je sais absolument pas me vendre donc je reste un amateur et c’est très bien comme ça. La célébrité, ce n’était pas pour moi de toutes façons.


Comment travailles-tu pour écrire un morceau ?

A mes débuts, je grattais quasiment tout le temps, dans les transports, dans mon lit et surtout en cours évidemment. J’avais rarement d’instru dans les oreilles, mais j’écoutais tellement de rap que j’avais toujours un beat dans la tête. J’écrivais tellement que je demandais à mes proches de me donner des thèmes. Parce que moi, ado, j’avais tendance à parler que de cul et de shit sinon (rires). Mais, quand j’ai rencontré Kreema, et qu’on a commencé à bosser vraiment ensemble, il est arrivé souvent que j’écrive en même temps qu’il compose.

Aujourd’hui, surtout depuis que je suis papa en fait, je ne prends plus le temps de me poser pour écrire. Du coup, c’est souvent dans le métro le matin que ça se passe. J’écoute des intrus dans le casque et je note quelques phases sur mon téléphone. Et de temps en temps, je retourne lire mes notes et, soit je jette parce que c’est naze, soit je continue. Parfois même, j’assemble des phases sans lien au départ et j’arrive à en faire des couplets cohérents.

Plutôt live ou studio ?

Vu ma timidité, je devrais répondre studio mais, même si je kiffe la partie création et l’ambiance du studio, je crois que mes meilleurs souvenirs sont liés à des concerts. C’est vraiment un plaisir ultime de voir les gens bouger, sourire, crier ou juste écouter ce qu’on a eu envie d’exprimer. Sans le partage, la musique n’aurait pas grand intérêt. D’ailleurs, j’aime le live uniquement à plusieurs. J’ai fait pas mal de concerts en solo et j’y prends beaucoup moins de plaisir qu’avec Ticoq par exemple.


Dans tes projets, on sent souvent ce détachement vis-à-vis du milieu rap, dont tu viens de nous parler, comme si tu ne prenais pas ça au sérieux… Quel recul as-tu sur ton travail ? Qu’essaies-tu d’apporter et de faire ressentir dans ta musique ?

C’est vrai que, malgré mon investissement dans le rap pendant tant d’années, j’ai toujours eu le sentiment d’être un peu en dehors. Sans doute parce que j’ai longtemps regardé ça de loin, sans oser me confronter aux autres rappeurs rennais, mais aussi, comme je l’ai dit avant, parce que j’ai vite abandonné mes ambitions et accepté d’être un amateur. Un amateur qui tente quand même sa chance parce que de toutes façons j’aime rapper, et parce que j’ai l’impression que ça intéresse quelques personnes.

Alors effectivement, du coup je peux donner l’impression de ne pas prendre ça au sérieux, ou d’être parfois moqueur envers ceux qui, eux, donnent l’impression de trop se prendre au sérieux. A mes débuts, je faisais pas mal d’imitations, de parodies… Aujourd’hui, je n’en éprouve plus le besoin. Les rappeurs sont souvent déjà dans la caricature. Consciemment ou non d’ailleurs. Je trouve que le rap manque parfois de second degré, d’autodérision mais surtout d’originalité et de sincérité. Ce sont des choses qui font partie de ma personnalité et qui, j’espère, se ressentent dans mes morceaux.

L’un des projets majeurs de ta carrière c’est l’album « Rain City » qui fait désormais référence dans le milieu rap Rennais. Comment t’es venue l’idée de cette compilation et comment as-tu fait pour connecter tous les Mc’s présents sur le projet ?

Je crois que l’idée, n’importe qui aurait pu l’avoir. D’ailleurs, il y a eu d’autres compils de rap rennais avant et après, que ce soit par le Crij ou par d’autres rappeurs comme Rekta récemment.

Il se trouve que j’étais peut-être le mieux placé à ce moment-là pour le faire. Grace à l’émission de radio, j’ai pu rencontrer une grosse partie de la scène hip-hop rennaise (et nationale aussi d’ailleurs), et surtout avoir une vision d’ensemble. Avec l’équipe, on était convaincus qu’il y avait un potentiel de ouf dans cette ville et qu’il fallait le mettre en lumière. Mais on n’avait pas de moyens, mis à part humains. On a donc sollicité tous les rappeurs de notre entourage, contacté d’autres par Facebook, sans restrictions de styles, de quartier ou autre, et on a demandé à chacun de proposer 2 ou 3 titres de leur répertoire récent.

Certains ont envoyé des inédits mais le but n’était pas forcément d’avoir des exclusivités. Simplement de réunir les meilleurs morceaux possibles. J’ai reçu une soixantaine de sons que j’ai écoutés plusieurs fois, avec plusieurs groupes de potes, et on en a sélectionné 25, ceux qu’on jugeait les plus efficaces, tout en essayant de représenter toute la diversité du paysage rap de Rennes.

Les artistes ont été très motivés dans l’ensemble et ça s’est finalement fait assez vite. On avait lancé l’idée durant l’été 2010 et le truc est sorti en octobre. Même si je n’ai aucune idée de l’engouement réel que ça a eu, je sais que les retours ont été quasiment tous ultra-positifs et que ça a permis à pas mal de gens de découvrir qu’il y avait un vrai vivier. Certains connaissaient déjà Simba, Micronologie ou Kenyon, mais ils ont pu constater qu’il y avait aussi plein d’autres talents comme Enogy, Alexel, Twareg, Ti-Mano, Unité Mau Mau

Quel est le titre ou la collaboration dont tu es le plus fier ?

Je crois que c’est « J’respecte », un morceau de mon 1er album qui parle de religion et de tolérance et sur lequel chante mon pote Dared, dont je kiffe la voix. En fait, à la base, c’est parti d’une commande. Mon père réalisait un documentaire sur la laïcité pour France 3 Rennes et il m’a demandé d’écrire une chanson pour son film. J’ai beaucoup réfléchi au sujet et j’ai eu de super discussions avec lui, ainsi qu’avec Kreema et Konick (un beatmaker qui faisait équipe avec lui à l’époque) et on a enregistré une première version un peu sombre de ce morceau, qui s’est donc retrouvé dans un documentaire à la télé.

Quand on a commencé à taffer sur l’album, Dared, qui kiffait le texte, m’a proposé d’en faire une nouvelle version, plus mélodieuse et positive. C’est rare de refaire un morceau et de l’améliorer mais là, clairement, il a pris une nouvelle ampleur. Ce n’était pourtant pas évident, avec un thème comme ça, d’éviter les clichés et la naïveté. Au final, c’est un morceau dont on me parle encore régulièrement, sans doute parce qu’il est malheureusement toujours autant d’actualité. Et puis c’était surtout le morceau préféré de mon père, qui est mort depuis, et forcément le fait qu’il ait été à la base du morceau le rend particulièrement touchant à mes yeux.

Quels sont tes futurs projets ?

Honnêtement, le rap fait plutôt partie de mon passé (petite dédicace à Fabe au passage), mon 2e album, « Solo » date de 2015, et la plupart des morceaux étaient plus anciens encore. Et puis j’avoue j’écoute beaucoup moins de rap qu’avant, mais que je le veuille ou non, ce truc fait partie de moi, donc je crois que j’arrêterai jamais totalement.

J’ai donc en projet un petit EP qui contiendra sans doute entre 6 et 9 titres. J’avais envie de dire encore quelques trucs et d’essayer de nouveaux styles de prods et de flow. Il faut dire que j’ai vécu pas mal de choses ces dernières années, que ce soit la mort de mes parents, celle de mon pote Max (Siondesh), différentes galères familiales ou au taf, mais aussi mon mariage, la naissance de mon fils, des voyages… Donc je suis retourné chez Kreema, et je me suis fait plaisir.

Il y a des morceaux qui risquent de surprendre un peu, voire de déconcerter, mais j’espère que les gens prendront quand même le temps d’écouter, à une époque où on juge vite et où on ne fait plus beaucoup d’efforts pour écouter vraiment. En tous cas, je reste toujours dans le même état d’esprit : dénoncer ce qui me révolte et partager ce qui me fait du bien, toujours avec humour et sincérité. Normalement, ça s’appellera « Carte Postale », y aura quelques Rennais dessus et ça sortira en fin d’année.

Quelles sont tes attaches avec la ville de Rennes et comment trouves-tu l’évolution de la scène locale actuelle depuis tes débuts ?

Je suis arrivé à Rennes en 1994, il y avait déjà une scène rap intéressante : T5A, Facteur X, Da Hoodiz, Deesses Africaines, Mystica Teatcha, les Rabza, Hip Obskur… je n’ai pas toujours suivi l’évolution, ou alors de loin, mais aujourd’hui internet permet de voir un peu mieux ce qui se passe, sans être sur place. Je vis à Paris depuis 6 ans maintenant et je reviens à Rennes en speed 3 ou 4 fois par an donc je ne sais pas trop comment ça se passe, mais je vois circuler les sons, les clips, les annonces de soirées… Je constate que certains évoluent vraiment de manière intéressante, et font des choses à la pointe en termes de flows, d’ambiance sonore et même en termes de visuel.

Les clips signés Un escroc par exemple sont superbes. Y a aussi les gars du B2SClvn qui font des trucs vraiment cools. Reta a réussi à bien développer son délire aussi, j’aime bien. Et toujours Kenyon qui se renouvelle pas mal ces derniers temps. Idéal Jim est très inspiré aussi. Bon, j’ai quand même l’impression qu’il y a un peu moins de diversité de styles aujourd’hui et qu’on est beaucoup sur la tendance trap, cloud, autotune, etc, mais tant que c’est bien fait, ça ne me gène pas.


Est-ce difficile de percer quand on vient de Rennes et pas de Paris où la musique et les contacts sont principalement concentrés ?

C’est clair. D’ailleurs, malgré tous les talents dont je t’ai parlé, rares sont les gens capables de citer un rappeur rennais en dehors de Bretagne. Dans l’underground, certains sont un peu connus mais on n’a encore jamais eu de « tube » rennais reconnu nationalement. Après, on ne peut pas savoir si ça aurait été différent à Paris. Parce que, OK, à Paris, il y a tous les rappeurs connus, plein de médias, de studios, de scènes, etc, mais il y a aussi une concurrence bien plus importante et un artiste est encore plus vite noyé dans la masse. Pour ma part, je n’ai pas forcément beaucoup insisté mais j’ai eu très peu d’occasions de promouvoir mes albums ou de faire des concerts à Paris, où le public ne se bouge pas trop pour des inconnus, alors qu’en Bretagne, j’ai encore un petit public et des petits médias qui suivent mon actualité. Rennes a ce côté village qui fait que tout le monde, dans chaque milieu, se connaît plus ou moins et s’intéresse à ce qui se fait. Ce serait cool que ça dépasse un peu plus les « milieux » d’ailleurs. Je trouve un peu triste que des Rennais citent Lorenzo ou Columbine mais ne sachent pas qui sont les MC’s historiques de leur ville.

La question que tu aimerais que l’on te pose ?

Et tu ne veux pas que je fasse ton métier à ta place aussi ? (rires)

Le mot de la fin ?

La vie ce n’est pas un concours de popularité, malheureusement quand un con court, on ne peut plus l’arrêter.

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