Il a fait chaud, très chaud, ce jeudi 18 octobre à l’Antipode. La faute à trois groupes de pop survitaminée à l’énergie communicative et à un public venu en nombre (concert à guichets fermés) pour bondir sur les morceaux de pop éclatée de Mein Sohn William, BRNS et Breton. Compte-rendu.
On est heureux de retrouver Mein Sohn William devant un public compact. Les morceaux dadaïstes et déglingués de Dorian Taburet méritent en effet toutes les lumières.
Dorian Taburet est devenu deux depuis peu. Ceux qui l’ont déjà vu sur scène nous rétorqueront que jusqu’à preuve du contraire, l’homme avait déjà deux paires de bras tant ce one-man-band s’apparentait au zébulon en live, bondissant d’un clavier à une batterie électronique, papillonnant de samples vocaux en sonorités 8-bits greffées à sa guitare acoustique pour un résultat aussi jubilatoire qu’époustouflant. Mais on leur expliquera qu’Antoine Bellanger, déjà présent sur l’album (S/T, janvier 2012) rejoint également Dorian Taburet en live maintenant. De toute façon, expliquait Dorian Taburet dans le New Noise n°9, Mein Sohn William est né « sans forcément avoir décidé d’être seul » . Et il ajoutait ces paroles prophétiques : « Franchement, j’ai du mal à envisager Mein Sohn William comme un projet solo à long terme : des gens vont forcément y entrer d’une manière ou d’une autre. »
Ce sont donc non pas un, mais deux zébulons que nous retrouvons sur la scène de l’Antipode. Leur complicité communicative fait plaisir à voir.
Aussi trublions déjantés l’un que l’autre, les deux hommes lancent un Our Naked President percutant et jubilatoire, aux voix habitées en diable. Dorian Taburet alterne guitare sèche, souvent samplée et bouclée, percussions à l’aide de baguettes sur un pad électronique et autres fantaisies vocales loufoques tandis qu’Antoine Bellanger n’est pas en reste aux percussions (claves, baguette sur pad electronique, oeuf…), au synthéthiseur et aux choeurs à peine moins désopilants que ceux de son voisin.
Comme tout le monde, on se laisse prendre par l’énergie ligne haute tension du duo. Ainsi que par ses fantasques pitreries telle cette chanson d’amour (dédicacée à sa Mutter présente dans la salle par Dorian) qui commence par les pleurnicheries feintes des deux garçons. Mais surtout, c’est la qualité des compositions du fiston William qui nous impressionne. Sous leurs atours fantaisistes et leurs développements bondissant de ruptures en ruptures, tel Million Thousand People, catapultant une intro pop à la guitare sèche à une folie 8-bits ébourriffante et s’enchaînant sur un riff addictif qui fera headbanguer crânement les rangs de devant, les chansons de Mein Sohn William font bel et bien état de vrais talents de composition. Et la présence d’Antoine Bellanger n’est certainement pas étrangère au fait que les morceaux sonnent à la fois plus directs et plus fluides. Derrière nous, quelqu’un qui n’avait pas vu Mein Sohn William en concert depuis quelques temps est d’ailleurs complètement bluffé par la progression du Rennais. Au final, une très chouette prestation de Mein Sohn William qui a ouvert les oreilles d’une partie du public de ce soir aux développements inattendus et a déjà bien chauffé l’ambiance.
Ce sont ensuite les Belges de BRNS (prononcez Brains) qui prennent possession de la scène de l’Antipode. Les Bruxellois sont très attendus par une bonne partie du public tant leur premier essai Wounded (long maxi de 7 titres ou mini album ?) a prouvé que les quatre garçons ont un véritable don pour les morceaux catchy qui vous attrapent l’oreille et la secouent dans une multitude de directions. Mais c’est également leur réputation scénique qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux et autres blogs de France et de Navarre. Ainsi la plupart du public présent lors de la dernière édition d’Art Rock confirme haut et fort les critiques élogieuses qu’on a pu lire et entendre un peu partout. Après une petite pause pour le changement de plateau, les rangs se resserrent donc fort logiquement devant la scène.
On repère aussitôt les deux fondateurs du groupe dès leur entrée sur scène, Timothée Philippe, cheveux courts relevés et lunettes à la monture épaisse derrière les fûts sur la droite qui assure également le chant lead le plus souvent et surtout avec talent, et juste à sa gauche, Antoine Meersseman, chemise à carreaux ouvertes sur un t-shirt blanc, aux claviers ou à la basse qui chante également. Sur leur gauche : Diego Leyder, t-shirt à grosses rayures et petites lunettes de métal, à la guitare et aux choeurs, ainsi que César Laloux, casquette sur la tête, aux percussions, claviers, choeurs, clochettes colorées et on en passe…
On pense très vite un peu à l’énergie débridée de ces diables d’Animal Collective ainsi qu’à leurs mille-feuilles sonores.
Peut-être à cause parfois, de ces rythmiques un peu tribales, à ces ruptures inventives ou à ces choeurs chantés à gorge déployée par les quatre garçons. Un peu aussi, comme le font les Menomena de Portland.
Parce que les BRNS ont dans leur besace pop plein de petites trouvailles sonores, de bidouille intelligente et de débrouillardise indie : leurs morceaux sont arrangés avec ces petites touches qui font la différence : des cloches à point nommé, de petites notes aigues à la guitare, un ajout de percussions… On sourit un peu sur Deathbed car on croit entendre Coldplay le temps de quelques mesures, I love you so, i love you soo…
Et pourtant, si tout est évident, rien n’est lisse pour autant. BRNS préfère les aspérités lo-fi et l’énergie organique. Des petits arrangements, de ci, de là, des sursauts rythmiques inattendus : BRNS , sans jamais renier harmonie et mélodie, éclate sa pop. Notamment grâce à un batteur aussi charismatique qu’énergique qui captive les regards. Et surtout qui insuffle une énergie atomique aux morceaux à coups de roulements et de grosse caisse massive.
On est également surpris de voir qu’en live, le travail sur les nappes sonores est bien plus évident, avec ces accords de synthés plaqués avec assurance et ces jeux de pédale pour triturer le son de la guitare. Aussi quand les quatre Belges entonnent leur tube Mexico, juste avant leur dernier morceau, c’est devant un public totalement conquis. La prestation du quatuor finira donc logiquement dans les acclamations. La chaleur est encore montée de plusieurs degrés.
Et ça ne risque pas de refroidir avec Breton, si on en juge par la foule qui s’agglutine en rangs serrés devant la scène avant l’arrivée de Roman Rappak et sa bande. Repérés grâce à 3 eps en édition limitée et leur signature chez Fat Cat, les cinq Londoniens ont en effet fait du chemin depuis leur premier concert à Rennes aux dernières Transmusicales : leur premier album, Other’s People Problems est sorti cette année, et a rencontré une grosse reconnaissance publique et critique.
Sur l’écran en fond de scène, le nom du groupe s’affiche en noir sur blanc, paradoxe étonnant pour une formation dont la musique est plutôt un kaléidoscope coloré mêlant crânement les influences. Pop par leur évidence mélodique, les jeunes Anglais ont pourtant mélangé plein d’ingrédients dans la marmite, à l’image de leur mentor, André Breton, fondateur du surréalisme : basse dubstep, rythmique hip hop, electronica, post-punk, indie pop, envolées de cordes, et on en passe,… Et c’est une réussite : sorte d’avant pop vénéneuse et enlevée, la musique de Breton est bien loin d’être indigeste. Et devient même survitaminée en live. Comme on a pu le voir cet été à la Route du Rock où les jeunes gens ont bel et bien renversé le Fort St Père avec un show bondissant, catapultant les festivaliers hors de toute réserve.
On comprend donc l’excitation bouillonnante du public de ce soir. Derrière les Breton, plusieurs clips défilent sur le grand écran (le groupe a en effet démarré sa carrière en bricolant des vidéos qu’ils mettaient en musique eux-mêmes dans une ancienne banque dans le nord de Londres -rebaptisée bretonLABS-). Mais nous ne vous en parlerons toujours pas, encore une fois happé qu’on a été par Roman Rappak, guitariste chanteur bondissant au charisme magnétique.
On avait pour notre part regretté que les nuances plus évidentes de l’album des Londoniens aient été un peu noyées dans un grand raout d’énergie lors de leur prestation à la Route du Rock. On trouve que c’est plutôt le contraire ce soir. Le son est particulièrement propre, laissant davantage entendre les détails malins de la musique des Anglais : samples de cordes, choeurs hip hop ou saturation sur Pacemaker, riff punk funk mêlé aux coups de boutoirs électro sur Jostle ou richesses de certains virages mélodiques, aussitôt addictifs.
Les Anglais assurent, et déroulent leurs titres sans accroc. Et cela nous semble, pour le coup, trop propre. Il nous manque cette étincelle que le groupe sait faire surgir en live pour consummer les foules. Pire, même, Roman Rappak, qu’on a connu disert et bavard, s’exprimant dans un excellent français (il a étudié au lycée français de Londres) n’adresse au public que quelques mots, et en anglais. On a l’impression que tous les ingrédients sont là : bonnes chansons, pleines d’idées intéressantes, groupe charismatique, public prêt à en découdre et pourtant, on reste en dehors, comme si le groupe assurait sans oser. Quelque chose ne prend pas.
Ou plutôt pas encore. Parce que sur Edward The Confessor et ses samples breakés, le groupe commence à lâcher du lest. On retrouve alors la bande altruiste qui nous avait emballé à la Route du Rock : Roman Rappak, à la présence scénique impressionnante, redevient l’homme généreux et bavard qu’on avait entraperçu à St Malo. Semblant libéré, il répète en français à quel point Rennes, ses Transmusicales et son public ont été important dans la genèse du groupe, avouant que leur venue ici, au Parc Expo et ses suites, les ont fait réfléchir sur leur musique. Le public de l’Antipode accueille ces confessions dans des cris chaleureux.
Choeurs à cinq voix, chantés à pleins poumons par des garçons qui se donnent littéralement à leur public et rythmiques électro irrésistibles font encore grimper l’enthousiasme. La foule chauffée à blanc danse et exulte pour une fin de concert aussi dense et intense qu’on l’espérait. Comme une très grande partie du public, transpirant et bondissant, on adhère sans réserve.
L’énergie du groupe est galvanisante, d’autant que l’un des musiciens saute au milieu du public en continuant de chanter, au milieu d’une foule comblée. Le concert s’achève après un rappel acclamé sur une foule aux bras levés, qui suit, les jambes bondissantes, la danse convulsive des quatre Anglais. Breton, André cette fois-ci, l’avait dit: « la beauté sera convulsive ou ne sera pas » . Dont acte.
Photos : Caro