Absolute Directors, le temps de la décadence – Franck Buioni

Attention chef d’oeuvre ! j’aurais pu parler de la nouvelle bible du nouvel Hollywood, mais le terme est trop galvaudé. Néanmoins, ne serait-ce que le volume (1005 pages), on est proche des Saintes Ecritures, enfin la partie apocalyptique, celle de Sodome et Gomorrhe. Dans le nouvel Hollywood, il sera forcement question d’Hollywood, ce lieu banni des Dieux et jeté en pâture à la fange. C’est dans cet endroit de perdition que Franck Buioni s’est immergé pour nous remonter les plus croustillantes anecdotes qui vont égayer le récit.

french connection

Le livre démarre à tombeau ouvert avec l’épopée de William Friedkin, un furieux de première, un éternel fouteur de merde qui après avoir gravi tous les échelons et évité tous les écueils de la profession en filmant certains des plus grands films de l’histoire du cinéma (French Connexion, L’exorciste, le convoi de la peur), comme Icare, se grillera au firmament. Il faut dire que William Friedkin n’est pas un pied tendre. Il fait régner une atmosphère de terreur sur les plateaux, et personne n’est épargné par le despote. Tant que la machine à fric fonctionne, les financiers suivent et ce malgré son jusqu’au boutisme et son caractère de cochon. Mais quand le navire commence à prendre l’eau et que les entrées au box office ne sont plus au rendez vous, c’est illico le retour de bâton. Friedkin est muselé par les studios. Il mettra de longues années à s’en remettre. Ces jours ci, il semblerait qu’il soit revenu un peu plus sur le devant de la scène, comme en témoigne l’excellent Killer Joe sorti en 2011 avec Matthew McConaughey.

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Puis vient le tour de Brian De Palma, Monsieur Incorruptible d’Hollywood, celui qui a compris dès le début de sa carrière le pouvoir de nuisance des studios voués au grand capital. Mais garder son indépendance à Hollywood n’est pas une chose facile et Brian va vite s’en rendre compte. Mais, laissons un peu de côté De Palma, car il faut parler ici du grand jeu de l’auteur, l’écriture récursive. Ceux qui ont fait de l’informatique vont vite en comprendre la logique. L’idée est que le programme contient un autre programme qui contient lui même un autre programme. Vous voyez le truc. Puis une condition de fin, fait revenir au début. Franck Buioni, utilise donc De Palma comme boucle récursive qui le mène à Phil Spector le génial/dément producteur des sixties qui lui même, mène à John Lennon, puis logiquement aux Beatles …. On a donc plusieurs chapitres inclus sous celui de De Palma, le tout dans une logique implacable .. pour la lisibilité du propos, je vous laisse seuls juges.

Back To Mono

De Palma donc, ce cinéaste bricolo, fou de Hitchcock, dont la carrière ressemble étrangement à une scie égoïne. Comprenez, il enchaîne avec une régularité métronomique, les succès et les échecs commerciaux. Parmi ses plus belles réussites, on peut citer, Phantom of Paradise dont le personnage principal ressemble étrangement à celui qui prônait le retour de la monophonie, Phil Spector .. vous me suivez ? Ou Carrie, l’adaptation du chef d’œuvre de Stephen King, et Scarface, le film préféré des voyous de toutes obédiences. Malheureusement le naufrage est aussi une seconde nature chez De Palma. Il suffit de voir Blow Out le remake du chef d’œuvre d’Antonioni, l’adaptation désastreuse du Bûcher des vanités, le roman indigeste de Tom Wolfe, ou pire le ratage du Dahlia Noir de James Ellroy pour comprendre que De Palma est le champion du foirage en beauté. Maintenant, à la question, « Brian De Palma est-il fini ? », rien n’est moins sur, car le bougre est capable de flamboyance dans les moments les plus sombres de sa carrière. Alors un seul mot d’ordre, laissons nous surprendre !

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La troisième et dernière partie du livre est consacrée au scénariste préféré de Martin Scorsese, Paul Schrader. Schrader, est lui aussi un drôle de type. Son premier succès fut l’écriture de « Taxi Driver » le monument qui propulsera Scorsese au sommet. Le personnage principal, Travis Bickle est très largement inspiré par la vie vagabonde que menait Schrader à l’époque, à un tel point que Scorsese dira plus tard que le film était plus un film de Schrader qu’un des siens. Le film va lancer la carrière d’un autre monument du cinéma américain, Robert de Niro, l’alter ego de Scorsese. Ils tourneront 8 fois ensemble. Cette partie est aussi l’occasion de casser du sucre sur les autres metteurs en scène du nouvel Hollywood, Spielberg, Lucas et consort. Comme par hasard, ce seront les moins audacieux ou les plus conventionnels (Lucas/Spielberg) qui s’en sortiront le mieux.
Enfin, pour conclure, Franck Buioni dans une énième circonvolution, raconte l’histoire du pire film de l’histoire du 7ème art, « Le jour où le clown pleura ». Ce film de Jerry Lewis, est l’histoire d’un clown qui devait emmener des enfants dans les chambres à gaz à Auschwitz. Le sujet est casse gueule et mérite la plus grande prudence. Jerry Lewis veut ainsi rompre avec son image de crétin d’Hollywood. Malheureusement le tournage est un naufrage, le producteur disparaît avec la caisse laissant Jerry Lewis dans la panade. Il réussit néanmoins à finir le film mais après un montage bancal, le résultat est si mauvais que personne ne veut le sortir. Les rares qui l’ont vu, ont été horrifiés. Lewis lui même reniera le film, même si l’été dernier, il aurait confié son unique bobine à la bibliothèque du congrès à la condition expresse de ne pas le diffuser avant 10 ans. Lewis aura alors 99 ans.

The Clown

Encore une fois avec cet Absolute Directors Volume 2, Franck Buioni nous ouvre une porte sur les coulisses de l’autre Hollywood, et grâce à son style léger mais partisan, fait que cet immense gâteau pour qui prend le temps de le déguster est tout sauf indigeste. Les anecdotes fourmillent à chaque page, et le grand jeu est de revoir tous ces films pendant la lecture des chapitres correspondants. Si l’hiver, est une saison où vous aimez vous cocooner au coin du feu, ce livre est fait pour vous. Il vous durera jusqu’au printemps.
Absolute

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Liens
La chronique du premier volume d’Absolute Directors

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Absolute Directors, le temps de la décadence – Franck Buioni : Edition Camion Noir : ISBN – 9782357794467

3 commentaires sur “Absolute Directors, le temps de la décadence – Franck Buioni

  1. Jerry OX

    Une biographie dense et rutilante comme un bolide,consacrée au cinéma et surtout à une période mythique, une parenthèse enchantée qui démarre en trombe au début des années 60 et se clôture à la fin des années 70. Chouette billet qui fait écho à celui ci :

    http://magicienox.blogspot.fr/2014/07/absolute-directors-de-franck-buioni-une.html

  2. diogene

    Jerry lewis pas Jerry lee lewis ! Ou alors c est un film de rock mais le sujet s y prete mal.

  3. Tom

    Damned, l’habitude .. surement. Merci Diogéne pour avoir relevé cette coquille !

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