À l’occasion de la deuxième édition de la biennale d’art contemporain de Rennes, focus sur 40mcube, qui présente l’exposition INGENIUM d’Emmanuelle Lainé.
Du 30 avril au 18 juillet se déroule la deuxième édition des Ateliers de Rennes. Intitulée Ce qui vient, la biennale s’intéresse cette année à notre relation à l’avenir. Les 50 artistes invités à montrer leurs œuvres au Couvent des Jacobins et dans 7 lieux partenaires (40mcube, La Criée, le Centre Culturel Colombier, le Triangle, le musée des beaux-arts, l’école régionale des beaux-arts, le Grand Cordel) mettent en évidence la complexité de cette relation et proposent différentes manières d’appréhender ce qui n’est pas encore là. De l’incertitude à la spéculation, du progrès à l’éternel retour de ce qui a déjà été, du hasard à l’action, de l’improvisation à la réflexion, nombreuses sont les pistes ouvertes par les œuvres.
Attardons-nous plus longuement sur l’exposition présentée par 40mcube, INGENIUM d’Emmanuelle Lainé. Pour mieux saisir le travail de cette artiste, nous avons rencontré Cyrille Guitard, responsable du service des publics de ce lieu d’exposition, qui nous livres quelques précisions sur le travail d’Emmanuelle Lainé. Où l’on voit que l’artiste joue habilement des matériaux et du temps pour créer des sculptures d’une grande puissance formelle, entre hybridation et rétro-ingénierie.
Une calme homogénéité
En entrant dans l’espace d’exposition, ce qui frappe le visiteur est une impression d’homogénéité parfaite qu’illustre bien l’harmonie presque monochromatique qui règne. Les gris dominent, même lorsqu’ils se teintent légèrement de bleu, au milieu des touches ocres qu’apportent certains éléments des œuvres. L’atmosphère est paisible et sereine. Mais on constate rapidement que cette homogénéité cohabite avec le caractère extrêmement hétéroclite des œuvres.
(Au premier plan) Emmanuelle Lainé, Doline, 2010. Statue en plâtre moulée à la corde, socle en tissu béton. Production 40mcube. Courtesy galerie Triple V (Dijon). (Au second plan) Emmanuelle Lainé, Linda, 2010. Structure en métal, terre cuite, skydôme, pince d’obstétrique, bois, sangle, crêpe, cordon. Production 40mcube. Courtesy galerie Triple V (Dijon). Photo : Patrice Goasduff.
Le choc des matériaux
L’inventaire des matériaux utilisés par l’artiste donne le tournis : acier, argent, terre cuite, bois, plâtre, pulpe de papier, résine, galalithe (un polymère à base de lait), textile, lamelle de crêpe, sangle, toile de béton, fil, plexiglas. Aucune ligne directrice majeure ne semble induite par ces choix, si ce n’est le plaisir exubérant de s’approprier aussi bien des matériaux artisanaux que technologiques, anciens que récents. Par l’usage qu’elle en fait, Emmanuelle Lainé montre diverses modalités d’intervention de l’artiste. Très présente dans la pièce en terre cuite qui trône au sommet de Linda ou dans La connaissance par l’osmose, une sculpture en forme d’étui de prothèse, elle agit plus comme architecte lorsqu’il s’agit de travailler avec une entreprise pour réaliser la grande forme métallique de la même œuvre. Elle va jusqu’à se réapproprier des objets récupérés comme un skydôme en plexiglas (toujours pour l’œuvre Linda).
(Au premier plan) Emmanuelle Lainé, Doline, 2010. Statue en plâtre moulée à la corde, socle en tissu béton. Production 40mcube. Courtesy galerie Triple V (Dijon). (Au second plan) Emmanuelle Lainé, La connaissance par l’osmose, 2010. Boîte à quatre coques réalisée à partir de magazines gratuits Objectif emploi pulvérisés et re-cartonnés, résine, sangle, charnières. Production 40mcube. Courtesy galerie Triple V (Dijon). Photo : Patrice Goasduff.
En somme, c’est le travail de l’artiste qui est rendu visible, et cela d’autant plus qu’elle laisse de nombreuses traces des processus de fabrication nécessaires pour obtenir les œuvres : poussière, empreinte des sangles de maintien, résidus de la corde à partir de laquelle était fabriquée l’un des moules… Tout cela permet de reconstituer ce qu’on pourrait appeler le puzzle des œuvres : tout s’emboîte, il suffit de regarder attentivement.
D’autre part, en faisant usage d’une telle variété de matériaux, Emmanuelle Lainé provoque des confrontations étonnantes. C’est le cas par exemple du jeu d’oppositions créé entre le coquillage en terre cuite et le skydôme qui couronnent tous deux la structure métallique de Linda : matériau artisanal contre matériau synthétique, forme concave contre forme convexe, réceptacle contre bouclier, forme sculptée contre objet récupéré, opacité contre transparence. Dans l’œuvre Doline, le choc visuel de cette statue en plâtre s’insérant dans une toile de béton n’est pas sans rappeler la célèbre comparaison faite par Lautréamont au chant 6 des Chants de Maldoror : « beau […] comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ».
Emmanuelle Lainé, Linda, 2010. Structure en métal, terre cuite, skydôme, pince d’obstétrique, bois, sangle, crêpe, cordon. Production 40mcube. Courtesy galerie Triple V (Dijon). Photo : Patrice Goasduff.
Le temps condensé
Au-delà des matériaux qui, relevant aussi bien d’un usage ancien (terre cuite, plâtre, bois) que récent (résine, toile de béton), brisent la linéarité du temps en le condensant dans une même œuvre, les sources auxquelles l’artiste puise ses formes abolissent la temporalité traditionnelle. Emmanuelle Lainé cite à la fois l’archéologie et l’histoire de l’art. La forme métallique de Linda s’inspire autant d’éléments de mobilier égyptien que de représentations d’architectures visibles sur les fresques de la pré-renaissance. Elle intègre également à sa sculpture une pince chirurgicale de la fin du 18ème siècle, indice discret de l’intérêt qu’elle porte à la science qu’on retrouve aussi dans la statue de plâtre de Doline qui se révèle être une reproduction démesurée d’un cornet acoustique du 19ème siècle.
Avec l’artiste, nous pouvons alors émettre l’hypothèse qu’un temps purement linéaire, définitivement établi comme succession d’un passé, d’un présent et d’un futur, est révolu. C’est ce que nous disent les sculptures d’Emmanuelle Lainé. En ramenant dans un même espace conceptuel les différentes temporalités qui sont contenues dans les matériaux ou les formes qui l’inspirent, l’artiste crée un temps autre qui s’établit dans la permanence et crée une métaphysique vertigineuse : et si ce qui a été était toujours là ? et si ce qui vient était déjà là ?
Emmanuelle Lainé, La connaissance par l’osmose, 2010. Boîte à quatre coques réalisée à partir de magazines gratuits Objectif emploi pulvérisés et re-cartonnés, résine, sangle, charnières. Production 40mcube. Courtesy galerie Triple V (Dijon). Photo : Patrice Goasduff.
Emmanuelle Lainé, INGENIUM.
Exposition présentée dans le cadre des Ateliers de Rennes – Biennale d’art contemporain.
Production 40mcube, en partenariat avec les Ateliers de Rennes.
Exposition du 30 avril au 17 juillet 2010.
Ouvert du mardi au samedi, de 14h à 18h.
Entrée libre.
40mcube
48, avenue Sergent-Maginot
f-35000 Rennes
Renseignements : 02 90 09 64 11
www.40mcube.org – contact@40mcube.org