[2019] Des bouqu’1 sous le sap1 #19 : Un Rambo de papier sinon rien…

Marre de l’esprit de Noël ? Marre du Black Friday et de sa conso qui va dans le mur ? Marre des chocolats ? Marre des joujoux en plastoc ? C’est reparti pour une nouvelle année d’une sélection bigarrée de livres en papier en forme de calendrier de l’avent bibliophile. Coup de projecteur sur le roman qui a inspiré Ted Kotcheff pour le film Rambo sorti en 1982. 

« Fais pas chier ou je te ferai une guerre comme t’en as jamais vue ! «  : autant vous dire que dans le roman qui a servi de matrice au film et à la carrière de Sylvester Stallone, Rambo, l’ancien béret vert, ne parle pas comme ça…

D’ailleurs, vous saviez que le film était l’adaptation (mauvaise ?) d’un roman publié en 1972 et écrit par David Morrell, écrivain canadien ? Ce roman s’appelait First blood et narre l’histoire de Rambo, ancien béret vert, qui erre sans but dans la petite ville de Madison, comté de Basalt dans le Kentucky. Il ne tarde pas à se mettre à dos le shérif Teasle, qui ne voit pas d’un très bon œil le passage de vagabonds dans sa juridiction…

Toute ressemblance avec le film s’arrête là. En effet, là où le film sort ses gros sabots et l’artillerie lourde, fait de John Rambo un culturiste et Peau Rouge des temps modernes, le roman déroule son intrigue beaucoup plus subtilement…

Entre combat de coqs…

Rambo et le shérif Tealse, se jaugent dès les premiers chapitres comme deux jeunes coqs sur leurs ergots. Ils affichent pourtant un pedigree commun : avoir combattu l’ennemi du peuple américain (l’un au Vietnam, l’autre en Corée), détenir de jolies médailles militaires (la Distinguished Service Cross pour le shérif et, on l’apprend en fin de roman, la Medal of Honor, plus haute distinction militaire aux États-Unis, pour Rambo), aimer les armes, arborer un caractère de cochon (les deux refusent de se laisser emmerder, l’un par un vagabond crado, l’autre par un représentant de la loi foutrement zélé). On est loin des portraits tout noir tout blanc présentés dans le film.

Mais on ne peut s’empêcher de s’attacher à Rambo, qui parle tout seul et dont les failles psychologiques sont grandes, qui refuse d’être enfermé dans un lieu humide, qui est lardé de douzaines de cicatrices faites au couteau et au fouet et qui pète un câble quand on lui coupe les tifs… Une jolie démonstration de TSPT (trouble de stress post-traumatique) avant l’heure, du moins, avant que ces traumatismes psychologiques liés au combat ne soient pris en compte au sens médical par le Pentagone. [Le trouble de stress post traumatique a été intégré au Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) américain en 1980 seulement (ouvrage controversé, mais qui fait référence pour l’armée américaine), et reconnu comme maladie par l’Organisation mondiale de la santé en mai 1992…].

D’ailleurs, dans le roman, le shérif Tealse ne cessera jamais de parler de Rambo en employant les termes « le gamin ». Rien à voir donc avec la silhouette bodybuldée du film pour Rambo ! Et rien à voir avec le plouc bête et méchant qui incarne le shérif dans le film !

…et duel à mort

Si le roman se fait donc bien plus psychologique et s’attache à démontrer combien Rambo reste traumatisé par ses expériences militaires précédentes, le conflit qui oppose les deux hommes est bien plus pernicieux. C’est un duel à mort qui se joue entre les deux hommes : « Teasle se jura de traquer le gamin sans relâche, de l’étrangler, de le démolir. […] Il voulait tenir le cou du gamin entre ses mains et serrer, serrer, jusqu’à voir ses yeux lui sortir del a tête et sentir sa gorge craquer sous ses doigts. L’ordure. Putain de salopard ! C’est au moment où il réfléchissait à la façon d’atteindre le sommet de cette maudite falaise et au moyen de mettre la main sur le gamin, qu’il comprit son énorme erreur. Ce n’est pas lui qui traquait le gamin, c’était le contraire. Il avait laissé le gamin les attirer dans un piège. »

Assez curieusement d’ailleurs, chaque chapitre commence par le pronom Il et il faut lire quelques lignes pour comprendre qui parle, du shérif Tealse ou de Rambo. Comme si ces deux personnages finissaient par n’en faire plus qu’un. D’ailleurs le mimétisme fonctionne pleinement quand Teasle, pour assurer sa survie, alors qu’il est traqué par Rambo sans relâche et qu’il voit officiers, hélicoptères et même chiens se faire dézinguer sans pitié par le béret vert/hobo, adopte les méthodes de guérilla et s’enfonce dans un buisson de ronces pour échapper à son détraqueur…

Le shérif se met aussi à parler tout seul au chapitre 17, comme Rambo : « Mais alors, où est-ce qu’il est ? Il me guette ? Il a trouvé ma trace ? Il vient ? Il tendit l’oreille – pas un bruit. Il fallait qu’il continue. Il ne fallait pas réduire la distance entre eux. » 

Troisième partie, chapitre 2 : débarque enfin l’auguste (clown vert ?) en la personne du colonel Sam Trautman. Il essaye d’arbitrer ce combat de poulets emplumés et de raisonner le shérif Teasle : « Je viens pour mon gars. […] Simplement, c’était l’un des élèves les plus brillants que notre école ait eus, et s’il ne s’était pas battu ainsi, on aurait pu se poser de sérieuses questions sur la formation que nous dispensons. […] Il est beaucoup plus malin, beaucoup plus fort que vous ne pouvez l’imaginer. […] Il aura toujours l’avantage. La guérilla, c’est son métier ».

Voilà qui pique au vif le shérif Teasle, qui ne manque pas de critiquer l’armée (sous la plume de David Morell). Et Sam Trautman de répondre en dénonçant l’accueil réservé par la population américaine à ses vétérans. Dans sa préface (dans l’édition anglaise) / postface « Rambo et moi » (dans l’édition française), David Morell dit avoir voulu évoquer à travers Rambo l’indifférence des civils et parfois même leur hostilité envers le sacrifice fait pour leur pays :
« – Moi je ne tue pas pour vivre.
– Bien sûr, mais vous acceptez un système où les autres le font pour vous. Et quand ils reviennent de la guerre, vous ne supportez pas l’odeur de mort qu’ils trimbalent avec eux ». 

Plaidoyer pour les colombes ?

On ne vous dira rien de la fin, seulement qu’elle est beaucoup plus noire et obscure que dans le film. D’ailleurs, tout le roman est un déchaînement de violence et de morts, à l’image de la guerre du Vietnam (et de toutes les guerres) sans aucun doute. Pas de quartier ni pour les hommes, ni pour les animaux qui se dressent sur le chemin des combattants. Chaque chapitre est jonché de cadavres…

Côté bestialité, les deux hommes se partagent la palme. Pas un pour rattraper l’autre ! Rambo n’hésite pas à tuer : « Il n’avait envie de tuer personne, mais il n’avait pas le choix non plus ». Et le shérif ne lui accorde aucune compassion : « Un héros de guerre songeait Tealse. Le gamin avait bien dit qu’il avait fait la guerre, mais qui est-ce qui aurait pu le croire ? Pourquoi n’avait-il rien dit de plus ? Qu’est-ce que ça aurait changé ? Tu l’aurais traité autrement si tu avais su ? Non, ce n’est pas possible. »

Le roman est donc bel et bien l’affrontement de deux Amériques, de deux générations, d’un conflit père-fils… au-delà d’un simple discours sur la guerre du Vietnam et ses ravages. Un roman bien plus subtil donc que le film de Ted Kotcheff. Et qui nous rend enclin à penser encore plus qu’il vaut mieux faire l’amour que la guerre.

On vous recommande vivement de déposer ce roman sous le sapin pour rencontrer enfin le « vrai » Rambo !

A noter: deux version existent chez l’éditeur Gallmeister : la première sortie en 2013 qui porte le titre original « Premier sang » et la deuxième sorti en 2018 et qui porte le titre Rambo.

 

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Rambo / Premier sang – David MORRELL
Titre original : First blood (1972)
Traduction par Eric Diacon
Chez Gallmeister collection Totem (2018), 268 pages, 10,00€

Retrouvez notre sélection 2018 par là.

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