Urbaines 2013 – Casey lacère l’Antipode

Casey

La présence de Casey nous avait laissé sans voix il y a deux ans avec la formation Zone Libre. Retour solo gagnant ce jeudi 14 mars à l’Antipode. Il faut dire que le festival Urbaines 2013 nous proposait une soirée fort alléchante, avec deux des plumes les plus virulentes mais aussi parmi les plus créatives, avec la redoutable affiche La Gale / Casey.

Ces deux jeunes femmes secouent depuis de nombreuses années le hip-hop francophone, à base de rap sombre et percutant. Une approche similaire en marge du rap fm qui leur permet de toucher un public beaucoup plus large : en effet, on remarque tout de suite l’incroyable hétérogénéité du public, de tous âges et largement composé de fidèles du rock au sens large. La prestation de Casey au sein du projet Zone Libre n’y est probablement pas étrangère. Elle avait marqué beaucoup de spectateurs si l’on s’en tient aux discussions lors de l’inter-set.

La Gale

En première partie de soirée, Karine Guignard aka La Gale avait la redoutable tâche d’ouvrir les hostilités : c’est un petit bout de femme qui déboule sur scène, bouteille de scotch à la main et look punk-rock. Cette jeune hélvético-libanaise a conservé l’esthétique et l’urgence de ses premiers groupes punks, mais ce n’est plus dans ce registre musical qu’elle officie, mais bien dans le hip-hop : dès les premiers mots, elle assène son flow, sombre et grave, et balaie d’un revers de rimes le décalage visuel des premiers instants : « La Gale, c’est peut-être du poids plume, mais question lyrics et sale gueule, j’te ferai l’effet d’une enclume ».

Un rap intègre et engagé, avec un prédilection pour les combats menés face au système qui gangrène toutes les couches de la société et la sphère politique. Tout le monde en prend pour son grade, police et justice en tête (Quand la Justice…) mais aussi l’Office des Poursuites (l’équivalent suisse du fisc, dans La Gueule de l’Emploi). Des textes rageurs et incisifs qui ne laissent aucune ambiguité : « Mettre le doigt où ça fait mal, voilà le fond de mes ambitions » (Comptez vos Morts). Les textes sont travaillés, sans concessions, mais l’humour et les clins d’oeil rafraichissants sont aussi présents, notamment les petits interludes extraits du film de Verneuil Un Singe en Hiver, dialogué par Audiard.

Musicalement, les instrumentaux, signés Christian Pahud (batteur de Honey for Petzi) sont un mélange audacieux et réussi d’électro hip-hop et de dubstep, bien mis en valeur par DJ Chikano. Ca tabasse sévère, et c’est parfaitement en accord avec la gravité du propos (à l’exception notable du son un peu racoleur sur Un Singe en Hiver). On a aussi apprécié les petites touches orientales issue de son héritage libanais (On Mate sur les côtés).

La présence de son complice de toujours, Rynox, sert de contrepoint vocal, même s’il n’apporte pas de réelle valeur ajoutée au propos de La Gale. La diction de celui-ci n’est pas aussi précise que le flow de Karine, mais le tout forme un ensemble relativement homogène. Présente depuis de nombreuses années sur la scène hip-hop, on attendait de voir ce projet se concrétiser sur album. La grande qualité de cet opus ne se dément pas sur scène, ce qui laisse augurer un bel avenir pour cet artiste prometteuse.

Casey

Mais celle que tout le monde attend avec impatience, c’est Casey. Depuis son deuxième album Libérez la Bête, paru il y a trois ans déjà, il y a bien entendu eu l’aventure Zone Libre. Mais pas de nouveautés sous son projet solo : c’est dire si l’annonce imminente du nouvel album était attendue. Active depuis plusieurs années sur la scène du collectif Anfalsh notamment, responsable de plusieurs mixtapes mais aussi et surtout de deux excellents albums qui ont marqué les esprits, elle sort d’une résidence conjointe au Manège à Lorient et à l’Antipode MJC. On frémissait à l’idée d’écouter ces nouveaux titres, mais aussi de (re)découvrir les morceaux qui nous avaient scotchés sur album.

Ca commence par Tragédie d’une Trajectoire, tiré de son premier album du même nom, et qui constitue une parfaite entrée en matière. Casey se présente et s’explique : « Pourquoi suis-je si radicale (…) si marginale (…) si peu sociable ? » Un début de set construit comme un retour sur les différents albums de l’artiste, de Tragédie d’une Trajectoire (Pas à vendre) à Ennemi de l’Ordre (Dans nos Histoires) en passant par L’Angle Mort avec Zone Libre (Purger ma Peine) et bien entendu Libérez la Bête (Regard Glacé). Le refrain de Regard Glacé est d’ailleurs revisité sur scène, avec ce sens unique du phrasé saccadé. Son flow virtuose et unique lacère dans tous les sens : « Je manipule ma plume comme un scalpel » (Comme un couteau dans la plaie).

Elle réveille les consciences en abordant une large palette de sujets : la vie dans les cités qui laminent, les rapports de pouvoir et de domination à travers le prisme du colonialisme ou de l’esclavage. Casey détruit les idées reçues sur Les Antilles avec le poignant Chez Moi, taille à grands coups de rimes acérées ses pseudos confrères dans le malicieux Apprends à t’taire. Sans oublier l’illustration sonore à la fin du sombre et glacial Créature Ratée, lorsque le DJ balance les propos racistes de Guerlain.

Et les nouveaux titres ? Eh bien il faudra encore patienter… Casey nous dévoile, un peu gênée, qu’ils ne sont pas suffisament aboutis pour être présentés. Et qu’il nous faudra patienter jusqu’à la rentrée pour découvrir les nouvelles pépites. Qu’importe. L’explication fournie était drôle et touchante, et l’excellence du set proposé nous aura vite fait oublier notre attente. Le concert se termine avec Rêves Illimités, qui nous rappelle la facette optimiste d’une artiste définitivement à part dans le rap hexagonal, et qui nous a prouvé qu’elle conserve cette rage et cette noirceur qui font sa singularité.

Photos : Solène

Retrouvez tous nos articles sur Urbaines 2013.

Laisser un commentaire

* Champs obligatoires