Street art : Žilda, des mythes et des murs

On l’a trouvé bien malheureux, la première fois qu’on la rencontré. En cette fin de printemps 2012, cela faisait 6 mois que le Breton Žilda officiait sur les murs de Naples, sa flamboyante et dévorante maîtresse, celle dont il dit qu’elle l’initia à « la Lumière, stable et gracieuse ». Alors évidemment, le retour dans ses pénates rennaises où les murs sont trop neufs pour qu’y fleurisse la courbe évocatrice d’une fissure et dont même le ciel semble parfois sorti d’une bétonnière… Les pieds dans l’eau, le garçon se sentait un peu à sec.

Il nous laissait cependant l’espoir d’un retour durable en Bretagne, où restent quelques lignes d’horizon dégagé : ne serait-ce qu’à Lorient ou Saint-Malo, ses deux ports d’attache. Žilda, bientôt sur nos murs? 5 mois plus tard, rien n’est moins sûr…

"Angel". D'après une oeuvre d'Abbott Handerson Thayer. (c)Zilda
« Angel », Naples 2012. D’après une oeuvre d’Abbott Handerson Thayer. (c)Zilda

 

« ELLE EST CON, TA QUESTION. IL FAUT PARLER DES ŒUVRES ».

21 juin 2012, première rencontre au Bateau Ivre : elle commence bizarrement, cette interview. On s’installe avec un bon quart d’heure d’avance dans le bar convenu, tout frétillant d’impatience parce qu’on connaît le travail du garçon et que forcément, le personnage intrigue…  Et s’emploie, dès son arrivée, à réfréner cette curiosité.

Aussi cordial que méfiant, Žilda quitte très vite la chaise qui lui était destinée et se rapproche, gardant un oeil sur la prise de notes : tiens donc, un control freak ? On songe un instant qu’il doit exister quelque chose dans le code de déontologie journalistique qui interdit ça -mais on l’a pas lu, alors bon. L’ambiance se détend tout de même, Žilda quitte un peu l’écran des yeux et met beaucoup d’amabilité à nous signifier que certaines questions, d’ordre biographique notamment, sont très connes. Soit. Peu importe après tout, on n’est ni flic ni susceptible…

« Il faut que l’artiste s’efface derrière l’œuvre, il faut parler des œuvres ».

Alors d’accord, parlons-en.

 

GENS DE RENNES

Ses premières productions d’autodidacte, il les a détruites en 2006. Un travail sur toile, dont il dit n’avoir tiré qu’ « un sentiment d’étouffement et d’insatisfaction ». C’est le point de départ de sa longue fugue au grand air, avec notamment ce projet rennais intitulé « Je suis un éphémère ».

Partant du principe que « parler d’une ville, c’est parler de ceux qui font cette ville », Žilda s’emploie au collage de portraits en pied et grandeur nature de personnages souvent bien connus des Rennais, qui « réveillent le macadam par la musique, le chant, le verbe, le livre ou leur simple génie à habiter un espace » : ainsi Fañch Corre, le sémillant bouquiniste de la rue Hoche ou Carlos, le bluesman ambulant. Il ressuscite au passage la présence de Louis-Ferdinand Céline, « 80 ans jour pour jour après son arrivée à Rennes » et tandis que la ville « joue les oublieuses ».

L.-F. Céline à deux pas de son cabinet place des Lices. (c) Zilda
L.-F. Céline à deux pas de son cabinet place des Lices. (c)Zilda

Devant ce travail, on pense immédiatement à Ernest Pignon Ern…

-« Ce serait possible, pour une fois, de ne pas le citer? »

Raté. Mais la démarche est bien différente, explique Žilda : contrairement à son prestigieux prédécesseur, lui n’affiche que des pièces uniques, non reproduites, nécessitant pour chacune une centaine d’heures de travail. Ses travaux ultérieurs empruntent de toute façon une autre direction, ne serait-ce que d’un point de vue géographique :

 

DES HOMMES QUI TOMBENT

Chute d'Icare à Rennes (c)Zilda

Parce qu’il ne faut pas s’y tromper: pour être Lorientais, Rennais, Breton, Žilda est avant tout nomade. En témoigne cette série intitulée « Liber casus» et déclinée à Rennes mais aussi à Paris et Belgrade. L’idée est simple : elle s’inspire de La Chute d’Icare, œuvre de Bruegel l’Ancien qui montre des personnages absorbés par leur labeur et ne prêtant aucune attention à la noyade, en coin de tableau, du jeune Icare.

C’est dans la peau de ces prosaïques travailleurs que nous met Žilda en faisant dégringoler des immeubles de nos villes quatre grands déchus de la mythologie : Icare, Phaéton, Tantale et Ixion. Il s’agit de retravailler au pinceau les gravures du maniériste flamand Hendrick Goltzius, elles-mêmes réalisées d’après les œuvres du peintre Cornelisz van Haarlem. Dans cette série, Žilda précise les fondamentaux de sa démarche artistique : des références classiques opposant à l’impassible modernité urbaine un lyrisme anachronique et subversif ; l’utilisation en peinture des codes esthétiques et graphiques de la gravure ; enfin, une importance toute particulière accordée à la photographie. « La prise de vue photographique des œuvres est anticipée avant la conception de la peinture, je me projette dans le cadrage ».

 

FRAGILES FABULAE

L' Ange de la Mort, Rennes. (c)Zilda
L' Ange de la Mort, Rennes. (c)Zilda

Autant d’éléments que l’on retrouve dans Fragiles fabulae, sa série la plus aboutie à ce jour et qui a récemment été l’objet d’un reportage de l’émission Métropolis, sur Arte. Il s’agit d’un travail d’ « étrangéification de l’espace public », selon les principes de cet aphorisme baudelairien: « le beau est toujours bizarre ». Žilda infuse dans le réel le « romantisme sombre » de grandes figures mythologiques ou dramatiques en puisant largement dans les oubliettes de l’histoire de l’art. En effet, s’il réinterprète quelques toiles de maîtres, c’est surtout chez les seconds couteaux de la peinture et dans des styles quelques peu dévalués qu’il cherche son bonheur:  le pré-raphaélitisme de Burne-Jones et De Morgan par exemple, ou le symbolisme de Carlos Schwabe et Hugo Simberg. Il trouve là ce lyrisme déraisonnable et outrancier, en tout cas hors d’époque, qu’il affectionne. Et quand le pathétique frise le ridicule, ce n’est pas pour lui déplaire:



« L’art doit absolument être ludique, même si les thèmes sont tragiques. Il y a une certaine ironie à aller à fond dans le romantisme, comme dans « Psyché et l’Amour ». Mais c’était inenvisageable de coller la pièce comme ça sur un mur, il fallait installer un tas d’ordures à ses pieds, en contrepoint ».

Car avec cette série, la mise en scène photographique est plus que jamais au cœur du travail. La rue, qui était le lieu d’exposition et de dialogue avec une œuvre éphémère, devient une composante majeure du rendu photographique et même cinématographique pérennisé et exposé sur le net. Toute l’Europe est priée de mettre ses artères à contribution: Rennes bien sûr, Lorient, Saint-Malo, mais aussi Paris, Toulouse, Lisbonne et surtout, Naples: pour la lumière, et pour l’ordure.

Oui mais voilà, Napoli: c’est fini. Žilda est revenu, Žilda est reparti.

 

BEAUTÉS ASSOUPIES

Il lui fallait un port inconnu, sur lequel il pût porter un regard neuf. Adieu donc Lorient, Brest ou Saint-Malo: ce sera Hambourg, où il s’apprête à mettre ses « fables fragiles » à l’épreuve de la grisaille. N’a-t-il pas peur que cette série s’essouffle?

« Au contraire, je me sens encore en phase de rodage. J’irai faire des repérages le mois prochain sur place. Je vais travailler, entre autres, sur les sleeping beauties d’Edward Burne-Jones: des figures féminines assoupies dans une parfaite fixité, qui vont établir avec le paysage un rapport à déterminer, entre le contrepoint et la dissonance ».

Et pour Rennes? Rien de vraiment défini pour l’instant, rien d’exclu non plus. En attendant donc que sa terre natale l’inspire de nouveau, on pourra suivre le travail de Žilda sur son site: http://zildastreetart.blogspot.fr/

 

 


ŽILDA IN NAPLES from Žilda on Vimeo.

1 commentaire sur “Street art : Žilda, des mythes et des murs

  1. 1011

    J’adore l’idée de l’homme qui tombe ! A découvrir une version contemporaine mais néanmoins classique : La chute d’Icare pour les Rencontres Philosophiques d’Uriage en octobre 2019. Ce dessin symbolise ici la chute annoncée de notre monde.
    https://1011-art.blogspot.com/p/icare.html

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