Les joyeux adieux à la Bascule

Le bar concert La Bascule tirait sa révérence avec classe par trois jours de folie du jeudi 5 au samedi 7 décembre 2013. Une ultime programmation somptueuse et foutraque où artistes et habitués auront rendu un dernier hommage fervent à ce lieu hors du commun.

Buildings-Bascule (2)

On se souvient de notre première fois.
Nous avions passé la porte du bar La Bascule, un peu tardivement, en septembre 2010. Nous avions bien repéré la programmation étrange et audacieuse du lieu, mais il aura fallu que le duo canadien folk Evening Hymns y joue pour que nous franchissions le pas. La ferveur du groupe et la proximité de l’endroit firent que le concert fut magique. Nous nous souvenons avec amusement que la singularité et le dépouillement de l’endroit nous avaient presqu’autant impressionnés que l’air pas commode de Gilles le tenancier. Depuis nous y sommes retournés maintes fois. Nous avons vite compris que la magie du lieu restait intacte au fil des concerts et à quel point Gilles est une personne adorable. On y aura été mis sur orbite par The Cesarians, transportés par 2kilos & More, touchés par les improvisations au pied levé de Tom Bodlin, portés à ébullition par Papier Tigre ou Fordamage, subjugués par Enablers
On se souviendra aussi de nos dernières fois.

février@LaBascule-alter1fo (5)

Le début de la fin avait déjà été superbement entamé samedi 23 novembre par la très belle dernière soirée des larrons de Musiq’Alambic, le Jeudi 5 décembre, c’était au tour de la tout aussi fidèle association Kfuel de venir boucler la boucle. Pour cette occasion, les zigues avaient mis les petits plats dans les grands avec trois groupes amplement aptes à enflammer ce final. Le duo Février ouvrait le bal. Choix logique puisque le guitariste accompagnant la chanteuse Emilie n’est autre que Don Lurie, pilier de l’asso, animateur régulier de l’émission Kérozène sur Canal B et grand habitué des lieux. Ce qui ne leur facilite pas la tâche d’ailleurs, puisque le duo se retrouve à jouer devant un public déjà très compact et composé de nombreux proches. Pas facile de se détendre en début de concert avec des vannes qui volent entre chaque morceau. Pourtant le duo tient bon et l’alchimie particulière entre le jeu de guitare contrasté du Don et la voix sensible et écorchée d’Emilie fonctionne à plein. On retrouve avec plaisir les Quit my job et Persistance of memory qu’on connaît déjà par cœur et qui déploient toute la force d’une interprétation fiévreuse et habitée en live. Si le contraste entre la frêle silhouette de la chanteuse et la carrure imposante du guitariste fait son petit effet, c’est surtout l’uniformité de l’intensité de leur jeu de scène qui frappe. Que ce soient les coups de butoir tout en déséquilibre du Don ou la voix au bord de la déchirure de la chanteuse, l’ensemble fait preuve d’une grande cohérence émotionnelle. On a en plus le privilège d’entendre deux de leurs nouveaux morceaux tout à fait à la hauteur des précédents. Le tout se conclut par un Goodbye de circonstance un chouïa plus pop que les autres compos, ce qui n’est pas pour nous déplaire et qui confirme que le projet est à suivre de près.

MollerPlesset@LaBascule-alter1fo (1)

C’est ensuite au tour des Møller Plesset, d’autres familiers du bar, de rendre un dernier hommage au lieu. Si vous êtes des habitués du site vous savez tout le bien que nous pensons de cette formation rennaise au noise-rock puissant et retors. Sinon, sachez que même s’il se murmure que parmi leurs fans les plus hardcore, certains auraient réussi à les voir une fois mauvais sur scène, pour notre part, ils nous ont mis à chacun de leur concert une déculottée atomique. Ce soir confirmera amplement la série, avec un concert généreux et enflammé où une fois de plus le duo de guitares Thomas/Régis fait des étincelles et le jeu puissant et chaloupé de Fred derrière les fûts balaie tout sur son passage. Où ils seront particulièrement en forme ce soir là, c’est sur le duo de voix Gilles/Régis dont le ping pong vocal est particulièrement savoureux. Au premier morceau, on sent déjà que les gars sont très en forme et ont visiblement envie de tout donner. Comme le public a largement répondu présent (les guichetiers peu vénaux de Kfuel finiront même par arrêter les entrées une fois passée la centaine) l’ambiance devient rapidement torride. Les Møller livrent un concert énorme et dédicaceront leur « I hear » à Gilles et bouclent leur set sur un foudroyant Purple Rape. La ferveur du public ne laisse aucun doute sur la possibilité d’un rappel sauf que ce putain de sort va en décider autrement. L’association inopportune d’une bière et d’une multiprise, plonge le bar dans l’obscurité et nous privera hélas d’un morceau supplémentaire.

Enablers@LaBascule-alter1fo (4)

Nous étions plus que confiants sur la capacité des san-franciscains d’Enablers pour clore la soirée en apothéose. Nous les avons déjà vus deux fois à la Bascule. Ce fut à chaque fois énorme. Nous n’avions donc nul doute sur le fait qu’ils marquent le coup pour cette ultime prestation. C’est juste qu’on n’imaginait pas à quel point ils allaient tout donner. Le concert démarre dans une salle bondée et il nous faut même un peu jouer des coudes pour rester en première ligne. Le guitariste Kevin Thomson déboule un peu vénère. Ses pédales ont également souffert de l’inondation houblonesque. Mais la tension va vite se transformer en quelque chose de beaucoup plus positif. Le groupe va une fois de plus faire parler la foudre. Pour notre plus grand plaisir, le grandiloquent Pete Simonelli nous refait son grand numéro de prédicateur punk. Gestuelle et regard de possédé, voix à vous coller des frissons jusqu’aux os débitant des textes tour à tour cru et halluciné, son grand show est asséné sans la moindre baisse d’intensité. Pourtant, le plus fascinant chez Enablers n’est même pas là. Ce qui continue de nous mettre dedans dehors à chacun de leur concert, c’est cet incroyable duo de guitares. L’affrontement d’arpèges titanesque entre Joe Goldring et Kevin Thomson reste toujours aussi sidérant à voir et écouter. Si Goldring reste bien planqué dans le fond gauche, Thomson est lui d’humeur plus ostentatoire. Il tangue avec férocité, vocifère avec rage, rue dans les brancards et nous fait même, le temps d’une petite pause technique de son acolyte, un impressionnant numéro de chant à cappella, hurlé à plus d’un mètre de son micro qui met les poils à toute la salle. Histoire d’installer définitivement le concert dans des hauteurs stratosphériques, le nouveau batteur va se montrer amplement à la hauteur de l’immense Doug Sharin avec un jeu très aérien sur ses cymbales mais d’une puissance assez phénoménale par ailleurs. Comme les Møller, le quatuor est là pour tout donner, voire même plus. Une nouvelle coupure d’électricité interrompant le set au bout d’une bonne heure, ne parviendra même pas à stopper leur élan. Une petite tournée de vodka et les voilà repartis comme si de rien n’était. Nous finirons même par prendre un peu de distance histoire de respirer un peu tant l’ambiance devient caniculaire. On suivra donc de plus loin, une fin de concert volcanique où les gars joueront jusqu’au bout de leurs forces tout en continuant à ponctuer leurs morceaux de « Giiiiillles » ou « La Baaaaascoule » hurlés à plein poumons.
Ce n’est pas commun qu’un groupe arrive à nous mettre à genoux trois fois, et qu’à chaque fois la claque soit encore plus intense que la précédente. Chapeau messieurs et bravo à Kfuel pour cette ultime soirée à la Bascule qui aura conclut leur belle association de bienfaiteurs sur une mémorable apothéose dont chaque participant chérira la mémoire.

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Nous n’avons pas pu assister à la soirée du vendredi 6 donc, si vous y étiez n’hésitez à nous raconter vos impressions en commentaires.
Nous étions par contre bien là samedi 7 décembre pour la der des der. Une tout aussi superbe soirée chaleureuse, hétéroclite, émouvante, joyeusement foutraque et organisée à l’arrache avec qui voulait bien venir rendre un dernier hommage à l’endroit. Ce qui sied parfaitement à l’esprit frondeur qui aura régné sur les 6 années de programmation du bar. Comme jeudi, il y a beaucoup de monde. Beaucoup de fidèles mais aussi pas mal de jeunes gens bien apprêtés découvrant le bar et venus sans doute pour le dernier concert « surprise » de la soirée. Nous sourions (un peu jaune quand même) que ce soit pour ce dernier jour que la Bascule devienne « The place to be » de ce week-end de TransMusicales mais ce n’est pas ça qui va nous gâcher le plaisir.

NaotoYamagishi@LaBascule-alter1fo (3)

L’improvisation fait que la soirée peine un peu à démarrer. Ce n’est que vers 22h que les réjouissances musicales démarrent. C’est le percussionniste Naoto Yamagishi qui ouvre le bal. Assis derrière son tom et ses deux cymbales, le jeune homme puise dans un spectaculaire sac à malice pour trouver de quoi gratter, racler, griffer, frotter… son instrument. Cette chouette exploration sonore improvisée, impressionne par la richesse de la gamme produite et par l’invention continue des enchaînements. La prestation passe comme un charme devant un public attentif et conquis par ce singulier univers. Un bel élan de musique libre qui ouvre élégamment le bal.

ThomasLeCorre@LaBascule-alter1fo (2)

C’est ensuite au tour de Thomas Le Corre, échappé des fureurs de Møller Plesset, pour venir nous livrer les délicates explorations personnelles à la guitare de son projet « les chaises ». Le monsieur s’installe au ras du sol sur un minuscule siège en osier et les premiers rangs suivent le mouvement sans se faire prier. Une ambiance recueillie et attentive s’installe dès les premières notes. Thomas explore avec une tranquille dextérité le manche de ses deux guitares. Sa musique est délicate et tranquillement expérimentale. Ses arpèges tortueux rappellent les sublimes explorations improvisées de Gastr Del Sol. Dans un moment magique, le bar entier retient son souffle et le concert devient une expérience à la fois collective et intime, d’une splendide fragilité. La timidité souriante du musicien rajoute encore à l’aspect feutré de la prestation. La petite demi-heure du set passe comme un rêve éveillé devant un public subjugué qui applaudit dignement une prestation de toute beauté.
On en profite pour saluer les DJ Kfuel qui ont ambiancé avec classe et malice les interludes de la soirée. Un merci tout spécial pour le splendide morceau de Psalm Zero (nouveau projet de Charlie Looker après les fascinant Extra Life) enchainé délicatement derrière la prestation de Thomas Le Corre.

Iroskin@LaBascule-alter1fo (3)

On enchaîne ensuite et sans transition avec du plus dur. Iroskin est également un habitué du bar (et du festival Electroni[k]/Maintenant). Il s’installe derrière ses machines et commence à déployer son électro vrombissante à base de drones bruitistes constellés de rythmes concassés. On ne sait pas si c’est le fait qu’il n’y ait pas d’instruments ou si c’est parce que sa position assise le rend invisible à une grande majorité du bar mais le début de set se fait dans un brouhaha de bavardages. Pourtant le gars va savoir s’imposer petit à petit et faire monter en puissance jusqu’à un final assez imposant. Un joli contrepied musical qui aura su tranquillement prendre son envol.

HawaiMegaSurfDestroy@LaBascule-alter1fo  (2)

Vient alors le moment le plus étrange de la soirée. Le trio Hawaï Méga Surf Destroy déboule avec une formule pas commune. Un chanteur en K-way et lunettes de ski, un batteur hippie et un DJ bidouilleur balance un électro-punk cheap et déjanté devant des projections d’images entre kitcheries hawaïennes, jeux vidéos rétros et tête de bébé phoque éclatée. D’atroces problèmes de son achèvent de rendre totalement port-nawak la prestation et obligent à brutalement écourter un set qui laisse un peu tout le monde ahuri.

Jessica93@LaBascule-alter1fo (5)

La surprise de la soirée avait déjà été largement éventée sur les zinternets et il ne doit pas y avoir grand monde d’étonné quand Jessica 93 débarque pour son second concert de la soirée après sa prestation au Mondo Bizarro en début de soirée dans le cadre des Bars en Trans. Geofroy Laporte a donc le rude honneur d’être le dernier à jouer à la Bascule et il va largement se montrer à la hauteur. Il s’installe prestement et sans prendre de gant, balance tout ce qu’il a. Comme à son habitude, il jongle avec une classe remarquable entre boîte à rythmes, guitare et basse pour construire de diaboliques et irrésistibles mélopées entre coldwave flippante, noise froide et shoegaze vaporeux. Un set rageur et fulgurant qui va mettre le feu au lieu et qui confirme, s’il le fallait encore, que le monsieur est un des artistes les plus impressionnants de cette année 2013. Une prestation mémorable qui offre un point d’orgue largement à la hauteur du lieu.

La Bascule entre donc désormais au panthéon de ces lieux qui, comme les Tontons Flingueurs, n’auront au mieux droit qu’à quelques lignes dans les encyclopédies des spécialistes, mais qui occuperont une place toute particulière dans le cœur des gens qui en auront savouré l’esprit frondeur et aventureux. Adios la Bascule donc et merci encore mille fois à l’équipe pour tous ces moments magiques partagés au fil des années. On retiendra surtout de tout ça l’émotion et le sourire de Gilles, nous annonçant qu’il ne s’arrêterait sûrement pas là et qu’il a la ferme intention de continuer à faire des choses dans la musique. Rendez-vous pris donc. Nous avons plus que hâte de recroiser cette belle bande sur des sentiers tortueux, buissonniers et magnifiques.

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