Entre came et AK-47 : 600 coups par minute de Fred Paulin

Une couverture rouge, un manche d’AK-47 et un titre qui claque : 600 coups par minute. Voilà donc le dernier Paulin, un roman noir dont le fil rouge sang est une arme de guerre : la macabre Kalachnikov.

600-coups-par-minuteSorti en novembre 2014 chez Goater, l’éditeur sis en capitale bretonne, le dernier roman de Fred Paulin, 600 coups par minute, tranche avec les précédents. Si l’on retrouve le chassé-croisé de personnages cher à l’auteur, l’humour et les jeux de mots disparaissent. Il faut dire que l’heure est grave et que l’Histoire prend un sacré virage. On avait quitté une Algérie exsangue dans La Grande Peur du Petit Blanc, on plonge ici en pleine guerre de Yougoslavie dans les années 1990 quand notamment Serbes et Croates s’entretuaient allègrement.

En parallèle des conflits dans les Balkans et de leurs dégâts collatéraux, on s’immerge aussi et surtout, car Fred Paulin est un magicien de la faille spatio-temporelle,  en plein cœur d’un trafic de drogue et d’armes de guerre dans la banlieue parisienne à notre époque. Go-fast, guet-apens, braquages de transports de fonds, conflits de chapelles entre dealers, trahisons : la violence est latente et surgit à la faveur et à la gâchette d’une AK-47 conservée précieusement à Torcy-Cité par un ex-légionnaire des Balkans, accro à la drogue.

Guerre larvée entre flics et bandits

Si le milieu de la drogue, du trafic d’armes et de la Mafia croate nous devient familier, celui de la police également. Fred Paulin, à travers son habituelle galerie de portraits et de personnages, nous dépeint avec force deux univers aux relations « Je t’aime moi non plus ».

Côté police, on trouve toute la panoplie des services en lutte contre le grand banditisme. De la BAC à la Brigade Anti-Gang en passant par l’Antiterrorisme, la Brigade des Stupéfiants, voire même l’Office Fédéral de Police Criminelle de Berlin – la Bundeskriminalamt pour les intimes. Le trafic d’armes et de drogue est international. Ici, il se concentre sur l’Europe, de Paris à la Croatie en passant par Berlin. Les miliciens de l’ex-Yougoslavie ont essaimé derrière eux un vaste arsenal de trafics en tout genre : drogue, prostitution, fusils d’assaut. Tant qu’il y a du business à faire, il y a des mafias qui se créent…

Pour lutter contre ces dernières, le Capitaine Grégoire d’Entrerroches est le représentant principal des  forces  de police en faction. C’est un des maillons forts du roman, lié par le sang (c’est le frère de Genre, l’ex-légionnaire des Balkans, accro à la drogue, par qui le business d’armes de guerre va démarrer) et l’engagement pour la justice.

Le Commandant Pierre Pécheu de la Brigade Recherche et Investigation de la DRPJ de Paris lui tient compagnie, quand il ne quitte pas Paris pour la montagne et la départementale 205 à la recherche de son fils tragiquement disparu.

A leurs côtés également, le lieutenant Samuel Gontier, le lieutenant Klavinski, Stefan Wagner et Aloïs Kurz les deux flics du Bundeskriminalamt, René-Marc Poulet, Jeff Duvalier et Charline Pingeot, trois flics de la Sous-Direction anti-terroriste, le juge Dumesnil dont l’objectif principal est de faire tomber les marchands d’armes qui sévissent en Europe depuis la fin des années 90. Des noms effleurés, juste mentionnés avec leurs grades comme unique défense immunitaire face aux Kalachnikov qui pullulent.

Côté criminels, on jongle entre autres entre :
Farid Laïfaoui, dit le Corse, minable dealer de drogue devenu expert es  « import-export d’artisanat croate » ;
O’Neal, fou du volant ayant raté sa vocation de pilote de F1 au profit d’une carrière sur les chapeaux de roue dans les braquages et go-fast qui tournent au vinaigre ;
Djédjé Tchibaou, « colosse et semi-grossiste » de drogues en tout genre ;
Milorad Kosanovič, ancien militaire serbe dont la vie est rythmée par les rafales de Kalashnikov ;
Nedeljko Petrac, sosie du Parrain en poste avancé pour la Mafia croate à Vukovar ;
Konstantinos Dimopoulos, expert grec  en logistique pour trafic international d’armes…

Bien plus nombreux que les forces de police, ces petits ou psychopathes bandits de grand chemin envahissent chaque recoin du roman, inlassablement. En quête perpétuelle d’argent et de sang.

Des fils qui se mêlent et se démêlent…

Cette série de portraits prend vie sous la plume de Fred Paulin ; comme dans ses précédents écrits, les personnages se croisent et se décroisent, tissent des liens avec des acteurs croisés dans les autres romans : ici, Farid Laïfaoui dit le Corse, n’est autre que le petit fils d’Achraf Laïfaoui, un des officiers du FLN torturé dans La Grande peur du Petit Blanc. Page 184, on nous plonge dans nos souvenirs de Pour une dent toute la gueule avec l’évocation de Paul Gascogne, chef de la BAC de Rennes.

Au-delà des précédents romans, Fred Paulin aime aussi perdre son lecteur dans les méandres d’histoires enchevêtrées : 600 coups par minute est une succession non linéaire d’épisodes de vie, de duos de personnages, de triangle amoureux. Rien qui ne finisse bien évidemment…

Un duo fraternel entre les rescapés d’une famille aristocratique, les d’Entrerroches, en déclin : entre celui qui court après les bandits et celui qui d’un battement d’ailes de papillon (ou plutôt d’une rafale d’arme automatique) déclenche le chaos…

Deux triangles amoureux :
Combinaison 1 sur l’échiquier : un homme pour deux femmes où le Corse ne sait qui choisir entre la ténébreuse croate Teodora et la charmante étudiante française en Droit Marylin.
Combinaison 2 sur l’échiquier : une femme pour deux hommes où Marilyn, tantôt sage étudiante en droit qui voit son avenir tout tracé aux côtés d’un lieutenant de police, tantôt attirée par le côté obscur du bandit dealer de cocaïne, hésite entre le capitaine d’Entrerroches, chef de la BAC 93 et Faustu Albertini, dit le Corse, trafiquant de drogue tenté par le business d’armes automatiques.

Quand la Kalachnikov mène la danse

Mais le fil rouge qui sous-tend la trame du roman, c’est quand même la Kalachnikov. Tantôt « fine gueule noire », tantôt « incarnation du mal », parfois AK-101 ou AK-103, genre « objet de grande consommation, comme un iPhone ou un jean Levi’s », refourguée « comme on vend des patates », en version courte ou à crosse pliable, plutôt cachée dans les arsenaux de guerre de l’armée d’ex-Yougoslavie ou dans le coffre d’un 4×4 puissant et rutilant sur les berges du Danube en partance pour la France, héroïne d’un soir dans « l’Affaire des AK-47 » au 36 Quai des Orfèvres ou aux mains d’un gamin à Marignane, prête à faire claquer ses 950 coups par minute… c’est elle qui donne la cadence du roman.

C’est elle par qui le chaos arrive et repart. C’est elle qui ouvre le roman et le referme. En ayant fait preuve d’une inflation toute surnaturelle en 480 pages : de 600 à 950 coups par minute !

On lit ce livre à toute allure, emporté par le tourbillon des personnages, des trafics et des histoires mêlées. On relit ce livre avec un sentiment étrange après les événements de Janvier 2015. A la fois dans les premiers chapitres, quand on fait connaissance, à Fleury-Merogis avec Farid Laïfaoui, qui pour sauver sa peau en prison, se place sous la tutelle et protection des « religieux, un groupe d’une quarantaine d’hommes, tous barbus, certains portant des djellabas ».
Mais aussi quand Samir Sabri fait son apparition page 281. Il est alors question de combattants djihadistes partis en Syrie, d’islamisme radical. Et quand ce dernier part rencontrer au fond d’un bois non loin de Brétigny-sur-Orge un génie de la mécanique pour armurerie de seconde main  qui lui demande s’il « veut équiper une armée de croyants », on sent une sueur froide couler dans notre dos…
Quant aux paroles prophétiques lancées page 433, « Ton jihad, c’est grâce à la Kalachnikov que tu le gagneras », on aimerait qu’elles s’accompagnent du traditionnel avertissement fictionnel « Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite»…

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Frédéric Paulin : 600 coups par minute, Goater éditions, collection Goater noir, 480 pages
Parution : novembre 2014
ISBN : 978-2-918647-35-5
Prix public 18 €

Le résumé de l’éditeur : Farid Laïfaoui, dit le Corse, comprend vite que le trafic d’armes lui rapportera plus que son petit commerce de came dans la banlieue parisienne. De hasards en rencontres, de compromissions en fusillades, il va devenir l’un des plus importants pourvoyeurs d’armes du milieu et des banlieues d’Europe de l’Ouest. La mafia croate lui fournit les armes; lui les revend en France, en Allemagne ou ailleurs. Une mécanique parfaite. Toujours plus, toujours plus vite.
Puis, une jeune fille vient gripper le jeu qu’il croyait parfaitement huilé. Alors, l’édifice se fissure : il devient l’obsession d’un flic, ses acheteurs tentent de le doubler, ses alliés croates de le flinguer. Le croate se retrouve alors pris au piège d’une guerre perdue d’avance.
Même avec une arme dont la cadence de tir est de 600 coups par minute…

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