Chaque année à Rennes et depuis bientôt plus de dix ans, le Collectif Mardi Gras Jour Férié (relire leur interview ici) relance la tradition burlesque et salvatrice du carnaval et invite la population à se réapproprier Mardi Gras. Pour sa douzième édition, un défilé, avec notamment la présence d’un char requin-loup, d’un dragon asiatique créé par le Village d’Alphonse ou d’un char moumoute, aura de nouveau bien lieu mardi 17 février suivi par un banquet et un bal costumé.
Jeudi dernier se tenait une table ronde organisée par le collectif à l’ Institut Franco-Américain avec Blodwenn Mauffret (Docteure en études théâtrales, spécialiste du carnaval de Cayenne), Violaine Tissier-Le Nénaon (Attachée de conservation aux Archives Municipales de Rennes), David Letort (Vice-Président du Carnaval de Granville) et Régis Guigand (Carnavalier, concepteur des premières affiches de MGJF), le tout animé par Nicolas Roberti (docteur des universités et journaliste) afin de s’interroger sur l’identité du carnaval et de ses devenirs possibles à Rennes.
Régis Guigand (Carnavalier, concepteur des premières affiches de MGJF) : « Au début, les premières éditions ont été faites de manière très spontanée entre nous et avec nos amis. D’une cinquantaine de participants, nous en sommes à plus de mille aujourd’hui. L’événement a bien grandi, il y a de plus en plus de monde et de spectateurs, des personnes extérieures travaillant dans le milieu scolaire ou dans l’animation nous sollicitent même pour y participer. Nous invitons donc toute personne durant cette journée à prendre un rôle et à s’investir totalement dans cette personne : c’est l’essence même du carnaval que de renverser les codes et les valeurs établis… »
Le succès grandissant des dernières éditions du Mardi Gras rappelle d’anciens temps forts festifs de la vie rennaise.
Violaine Tissier-Le Nénaon (Attachée de conservation aux Archives Municipales Rennes) : « Rennes a toujours été une ville commerçante, un lieu d’échange où ce genre de manifestations existaient depuis très longtemps. Grâce aux archives de la police notamment, nous avons pu observer que sous l’Ancien Régime, le carnaval prenait une forme plus individuelle de type charivari mais cela restait encore très sporadique. Le carnaval va commencer à se structurer à partir du milieu du 19ième siècle avec deux temps forts : mardi gras et la mi-carême. D’ailleurs ces derniers ne feront plus qu’un.
Puis, le carnaval va se développer grâce principalement au comité de bienfaisance qui est l’ancêtre du centre communal d’action sociale. Ce dernier avait pour mission d’organiser des actions de bienfaisance : toutes les fêtes de carnaval étaient alors des fêtes de bienfaisance. Elles ont toujours proposé des quêtes, des loteries, des tombolas : les bénéfices récoltés étaient redistribués ensuite aux indigents ou à la petite enfance.
A la fin du 19ième et début 20ième siècle, nous nous rendons compte que la ville va y trouver son intérêt avec le développement du commerce local par exemple, l’affirmation de la laïcité et de la République. Elle va prendre à son compte des formes de carnaval qu’elle travestira en instillant toutes sortes de codes et en les encadrant. La Mi-carême va alors s’effacer au profit d’une fête plus connue sous le nom de la ‘fête des fleurs’ qui avait lieu au printemps, mutation accentuée par la désaffection grandissante de la pratique religieuse à l’époque. La fête des fleurs proposait des défilés, des déguisements, des chars fleuris faisant souvent référence au passé ou à des événements historiques ou magnifiant la ville de Rennes. Cette fête tout comme de nombreuses autres vont brutalement s’arrêter à cause de la seconde guerre mondiale. Elle renaîtra ensuite de façon très modeste à l’initiative cette fois-ci non plus de la municipalité mais de résidents de même quartier comme à Cleunay ou grâce à la commune libre de Sainte Thérèse etc…»
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La mi-carême à Rennes : Réception de Ferdinand Lop par les étudiants (1946)
Aujourd’hui, le collectif Mardi Gras Jour Férié souhaite véritablement ancrer de nouveau le carnaval dans l’agenda rennais. Mais avec son succès grandissant, certaines questions et problématiques se posent comme, par exemple, celle de la pérennité de l’événement tout en préservant une réelle liberté. Comment grandir en nombre tout en préservant l’esprit originel du carnaval et de l’action individuelle ?
Régis Guigand : « Aujourd’hui, nous nous posons la question de savoir comment on transmet cette envie de faire perdurer le carnaval, comment on ‘contamine’ les gens avec ce truc-là et jusqu’où nous pouvons aller. En effet, ceux qui travaillent sur l’événement le font tous de manière bénévole, en ne comptant ni leur temps ni leur énergie. Mine de rien, tout cela tient pour l’instant grâce à un petit groupe de personnes assez restreint. Le jour où ces forces vives décident d’arrêter pour des diverses raisons, je pense que l’aventure ne continuera pas et c’est là où l’on se rend compte que quelque chose n’a toujours pas pris. Pourtant, je me dis que cela ne peut pas être autre chose qu’un mouvement de personnes, d’individualités. Cela renvoie aussi la question du rôle d’être citoyen avec ses droits et ses devoirs. »
Certains membres du collectif l’avouent, leur fonctionnement n’est pas encore optimum sans doute dû au jeune âge du carnaval (à peine 10 ans) mais une volonté existe bel et bien de s’ouvrir aux autres.
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La municipalité rennaise de son côté regarde attentivement ce qui se passe sans trop y prendre part. Aucune subvention n’est versée, seuls quelques moyens logistiques sont proposés notamment pour garantir la sécurité des carnavaliers. David Letort (Vice-Président du Carnaval de Granville et conseiller municipal) amène quelques pistes de réflexions sur la longévité de ‘son’ carnaval qui fêtera cette année sa 141ième édition avec plus de 100 000 festivaliers attendus.
David Letort (Vice-Président du Carnaval de Granville et conseiller municipal) : « A Granville, le carnaval reste un événement majeur dans l’année et la municipalité l’a bien compris. Cet événement populaire renforce la notoriété de la ville et dynamise le tourisme dans une période plutôt creuse. Ce carnaval contraste en plus avec l’image de Granville connue pour être la ville de Christian Dior, avec son casino… 48 000€ de subvention sont alloués par la ville à l’événement pour un budget total de 180 000€. La ville met également à notre disposition un hangar capable d’accueillir la construction de 20 chars.
Nous avons entre 500 et 600 enfants qui participent chaque année au Carnaval à travers la création de dessins sur le thème du carnaval. Nous mettons un point d’honneur à accueillir de nouvelles personnes et notamment les plus jeunes avec des portes ouvertes, des visites guidées de nos ateliers où les chars sont construits. La tradition est ainsi transmise et préservée. »
Le juste milieu entre une tradition festive populaire portée à la base par une somme d’individualités et une organisation cadrée voire institutionnalisée n’est finalement pas si simple à trouver. En attendant de voir l’évolution que prendra le carnaval de Rennes dans les prochaines années, rendez-vous mardi prochain, jour où le pauvre deviendra Roi et où les rois seront les bouffons.
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Toutes les infos sur le site de collectif MARDI GRAS JOUR FÉRIÉ
LE PROGRAMME MARDI GRAS 17 FEVRIER
14H00 : RENDEZ-VOUS DÉFILÉ ESPLANADE CHARLES-DE-GAULLE,
Départ du défilé à 14h30 Arrivée Place Hoche à 16h Arrivée Place de la Mairie à 17h Fin du défilé Place des Lices 18h
18h00 : GRAND BANQUET CITOYEN, LA HALLE MARTENOT
Restauration sur place Pré-vente pour le bal
20h45 : EMBRASEMENT DU MINOTAURE DE VITRUVE Place des Lices
21h00 : BAL MASQUÉ, SALLE DE LA CITÉ
POCKET BURGER (LES DISQUES ANONYMES) MARC DE BLANCHARD DJ SET (DA! HEARD IT RECORDS) SAITAM (KERVINOU RECORDS) MISTRESS BOMB H (KFUEL) LESTER BROME (KFUEL) MONSIEUR HENRI