On vous avait prévénu, l’étape rennaise du festival itinérant Musiques Volantes à l’Antipode n’était à rater sous aucun prétexte. Trois groupes aux styles différents tous importants dans leurs genres respectifs étaient programmés sur la même soirée : Tristesse Contemporaine, Ty Segall et The Soft Moon. Et bien autant le dire tout de suite, on a pris une dérouillée mémorable !
Tristesse Contemporaine
La soirée commence devant un public qui arrive progressivement avec le trio arty anglo-japono-suédois installé à Paris Tristesse Contemporaine. Leur second essai à la pochette expressionniste sorti sur Dirty contenait quelques morceaux qui nous avaient plutôt emballés, à coups de mélange de kraut, de cold wave et de groove infectieux. On attendait donc impatiemment de savoir ce que le groupe donnait en live.
La claviériste japonaise Narumi Omori (ex Telepopmusik), petites bottines sur collants épais violets, robe courte aux motifs anciens et barrette-plume dans les cheveux, se place derrière deux claviers sur la gauche de la scène. Sur la droite, le Suédois Léo Hellden (connu par ici comme membre d’Aswefall, ou comme guitariste de Jay Jay Johanson), longiligne, tout en retenue et en cheveux, prend la guitare. Au centre, le chanteur londonien, Michael Giffts, aka Maik (ex Earthling), chemise boutonnée jusqu’au col débordant sur son jean taille basse, a la particularité de garder le visage dissimulé sous un masque d’âne/cheval (?) pendant tout le concert. Et autant le dire, c’est assez captivant de voir cet homme à tête de cheval dans les lumières clignotantes, sorte d’apparition fantasmagorique et chimère fantômatique.
Le set commence tout en mélancolie et en langueur, sur un premier morceau qui nous plonge dans une ambiance relativement cold et synthétique. On est un peu trop loin pour comprendre d’où viennent les lignes de basse. Sûrement du clavier joué par Narumi Omori (?). L’intro martelée d’Empty Hearts amorce une montée en puissance progressive. In the wake commence toutes percus synthétiques en avant, se poursuit sur un refrain à deux voix (celle de Narumi et celle de Maik), des riffs de guitares noyées de reverb’ très eighties, et gagne progressivement en intensité. Sur les morceaux suivants, les riffs de guitare, plutôt cold, peuvent petit à petit se transformer en sons saturés, accompagnés de stridences lumineuses, de clignotements stroboscopiques sur un fond noir et rouge. Le chanteur apparaît comme figé dans son masque d’âne. C’est assez fascinant de voir cet âne se mouvoir sur cette musique grave et saccadée, dans les scansions répétées d’une voix plutôt désincarnée I didn’t know I didn’t know I didn’t know (ce morceau nous fait vraiment penser à Chloé, qui a d’ailleurs remixé un autre de leur titre).
Néanmoins, on ne peut s’empêcher de craindre que sans les lumières, la musique du trio ne retombe un peu à plat. Car si on reconnaît plusieurs qualités à la musique du groupe au patronyme francophone, il nous manque ce petit quelque chose qui ferait prendre réellement la sauce. Le concert est de très honnête facture, c’est carré, bien mené, sans accroc. Mais voilà. Il manque quelque chose. Peut être que davantage de charisme, davantage de groove vicieux auraient donné un peu plus de relief à la prestation. Plusieurs membres du public adhèrent franchement, d’autres restent de marbre. Nous, on est un peu entre les deux. Le set s’achève pourtant sur un morceau aux abords plus pop auquel on croit moins adhérer jusqu’à un final énergique qui clôt le tout de belle manière. Au final, on a l’impression d’un projet un peu jeune, avec pas mal de bonnes idées, mais qui ne font pas encore corps.
Le contraste entre la mélancolie synthétique de Tristesse Contemporaine et le Californien qui va suivre promet d’être immense. Et pour cause : Ty Segall et ses buddies vont faire débouler un tsunami fracassant dans l’Antipode. On s’attend à en prendre plein les oreilles avec ce jeunot prolifique dont la liste d’albums (en solo ou au sein d’une bonne demi-douzaine de formations annexes) eps, splits (et on en passe) est longue comme la faille de San Andreas (déjà trois disques cette année !). Le Californien, chantre de la scène rock garage avec ses compères feu Jay Reatard ou autres Thee oh sees, sait vous dégommer les esgourdes à coups de brûlots noisy et de chansons barrées dont lui seul a le secret. On vous l’avait dit, le gamin et son groupe étaient totalement immanquables. Et ce soir, il va mettre tout le monde d’accord.
Les premiers rangs changent : devant la scène, une masse virile, prête à en découdre remplace le public plus arty de Tristesse Contemporaine et se serre les coudes. Ty Segall est sur la droite, gueule d’ange et mèches rebelles penchées sur sa Fender, plaçant au centre ses copains, Emily Rose Epstein derrière les fûts, Charles Moothart à la guitare tout à gauche et son bassiste Mikal Cronin (pas un inconnu non plus !) qui s’est laissé poussé une crinière digne de tout métalleux au milieu. Les gamins, tout jeunots qu’ils paraissent, maîtrisent leur sujet sur le bout du manche et dès le premier morceau, une vague de pogos déferle dans les premiers rangs. Ca se bouscule, ça part d’un côté, de l’autre, ça s’écrase et ça se percute. Pris dans le mouvement, on s’accroche à un voisin costaud qui repousse les assauts et nous protège d’une seule main. Intérieurement on maudit brièvement les gars qui pogotent bière à la main, mais autant l’avouer, on s’en fout très vite tant la claque sonique qu’on est en train de prendre est exceptionnelle.
Le quatuor, headbanguant crânement au-dessus de ses guitares et fûts, mélange brûlots noisy, fougue punk, garage qui tache, influences métal, saturations grunge et riffs psyché avec la classe à Dallas ! On ne s’en remet pas. Et le reste de la salle avec nous. A tel point qu’on pensera plusieurs fois à ce concert de Nirvana à Rennes qui rentra dans la légende. On ne serait pas étonné que la prestation du blondinet à la chemise à carreaux devant le public de l’Antipode chauffé à blanc fasse également date, tant le concert est intense. Et immense ! Sur la droite de la scène, le blondinet à la chemise à carreaux décoche des riffs qui vous transpercent les esgourdes, servi magistralement par ses compères, immensément doués eux aussi. Ça hurle, ça décape et ça tranche dans le vif.
Le plus chouette à voir, c’est que les quatre musiciens, qui nous donnent pourtant une correction mémorable, ne se prennent absolument pas au sérieux et rigolent d’eux mêmes, comme sur cette intro a capella à deux voix un peu foirée. Le propos ralentit sur une intro plus blues, d’un blues profond, qui racle le fond avant une déflagration sonique qui renvoie tout le monde une nouvelle fois dans les cordes. Pogo, stage diving, hurlements : le public est totalement en transe. Aussi, quand le set s’achève, tout le monde hurle pour que ça continue. Pourtant, les lumières se sont rallumées, les musiciens sont déjà en train d’enrouler leurs câbles de guitare. Mais les organisateurs leur font finalement signe qu’ils peuvent en jouer encore une. Aussitôt rebranchés, les Californiens nous achèvent alors avec une reprise incendiaire de Paranoid de Black Sabbath, tout en guitares saturées et en hurlements. A plusieurs reprises, Ty Segall hurle a capella, le poing dressé, faisant hurler tout un public en transe, avec lui, avec une intensité furibarde. Et ça une fois. Deux fois. Trois Fois. On rend les armes devant ce final volcanique. Les quatre gamins quittent la scène en nous ayant donné une raclée qui restera dans les annales.
Tout aussi inratable, The Soft Moon, dont on vous a gravé les louanges dans le marbre avant et après leur passage à la Route du Rock, viennent présenter leur petit dernier, Zeroes, sorti en début de semaine. On se demande un peu comment le trio, californien lui aussi, va pouvoir enchaîner après la prestation de Ty Segall, tant les sommets d’intensité ont été atteints avec les jeunots. Cold wave au son massif et à la noirceur vénéneuse, les compositions des musiciens venus de San Francisco n’ont, en plus, rien à voir avec les plages ensoleillées de la Californie ou autres surfin’ USA. La bande menée par Luis Vasquez a plutôt des accointances avec les brumes épaisses rebondissant sur les collines de San Francisco. D’ailleurs, la scène de l’Antipode est plongée dans une fumée épaisse à couper au couteau pour l’arrivée du trio.
The Soft Moon déboule avec un Die Life inquiétant au son massif qui nous renvoie dans nos longueurs et nous fait aussitôt plonger tête première dans ses ambiances dark et cold. Il ne leur faut qu’un morceau pour nous faire quitter les rivages grunge de Ty Segall et gagner les côtes désespérées de leur musique. Un batteur métronomyque qui joue sur des toms et un pad électronique, puissant, racé et implacable sur la droite de la scène. Un bassiste mono-expressif qui ne bouge toujours pas d’un sourcil, qui tricote, impassible, les lourdes cordes de son instrument assymétrique. Et au milieu, Luis Vasquez, guitariste qui crie comme un beau diable et chante le désespoir du monde avec une voix paradoxalement aussi désincarnée qu’habitée et lance quelques notes sur un synthé tout aussi glacé. Lourdes fumées et lumières plombantes ajoutent encore à cette ambiance d’apocalypse inerte et désespérée. L’intro indispensable de Circles nous vrille la tête et les oreilles, marquée par les hululements à la lune de Luis Vasquez.
Le trio dégage une ténébreuse énergie, que ce soit sur les titres de son premier album (Into the dephts, Breathe the fire ou Dead Love, par exemple), de ses eps (Total Decay, Alive ou Parallels) ou du tout récent Zeroes (Die Life, Zeroes). On a entendu que ce dernier était moins bon que le précédent. Sur scène, ce n’est vraiment pas manifeste : le titre Zeroes, par exemple, est une tuerie addictive en diable qui convoque un vol de corbeaux entre vos deux lobes cérébraux figé dans les saccades des stroboscopes.
On est une nouvelle fois complètement immergé dans la noirceur vénéneuse des morceaux de The Soft Moon et complètement bluffé par l’importance maniaque que le trio a accordé à son son. On le prend en pleine face, massif et on en redemande encore une fois. Luis Vasquez, guitariste hypnotique, aussi habité sur scène qu’il peut être doux et calme en interview, nous fascine par sa danse épileptique, la main droite posée sur le corps de sa fender jaguar. Le set est malheureusement trop court et on en aurait bien repris encore un peu, même s’il y a école demain. Au final, les trois Californiens ont encore réussi à nous hypnotiser de bout en bout de leur prestation. Et d’aucuns savent que ce n’était pourtant pas évident après la tornade Ty Segall.
On sort de l’Antipode le sourire jusqu’aux oreilles, tant la soirée a comblé nos attentes. On comprend néanmoins les réserves de certains de nos camarades, qui trouvent au final la soirée compliquée et désarçonnante, tant le line-up a fait le grand écart entre les groupes. On a vraiment eu l’impression que trois publics différents se sont succédés dans les premiers rangs : les fans artys de Tristesse Contemporaine n’avaient pour la plupart pas grand chose à voir avec l’énergie punk des aficionados de Ty Segall. Et pour The Soft Moon, c’est encore un public différent qui s’est pressé devant la scène. On y aura, cela dit, pour notre part complètement trouvé notre compte (notre ipod est coutumier des grands écarts), avec la certitude d’avoir assisté à LA soirée de ces derniers mois.
Photos : Caro
Quel enthousiasme Isa ! ^^ Et moi qui n’avais même pas reconnu le grand et immense Mikal Cronin sur la scène … Je me sens ultra con d’un coup, mais merci pour toute ces précisions 😉
😉 je me suis retrouvée, un peu contre mon gré, au milieu des pogos ! L’enthousiasme au milieu était vraiment chouette à voir et à ressentir… J’imagine que ceux au fond de la salle, n’ont peut être pas vécu la même chose !!
Très heureuse si j’ai pu te donner quelques infos, mais je te rassure, si je n’avais pas su avant (que Ty tournait avec Mikal), je n’aurais peut être pas fait le rapprochement 😉